IRP : l’absence de mise en place cause nécessairement un préjudice au salarié

Publié le 07/11/2018

L’employeur qui n’a pas mis en place les IRP alors qu’il était soumis à l’obligation, et qui prononce un licenciement économique collectif, cause nécessairement un préjudice au salarié sans que ce dernier n’ait à le justifier. Cass.soc., 17.10.18, n°17-14392  

  • Le préjudice nécessaire : de quoi parle-t-on ?

Le préjudice nécessaire, autrement dit la violation par l’employeur de certaines obligations lui incombant, cause nécessairement au salarié un préjudice sans qu’il lui soit besoin d’en démontrer l’existence et l’étendue. Tel était le principe bien connu par nos militants défenseurs syndicaux et conseillers prud’hommes, qui permettait à un salarié d’obtenir des dommages et intérêts en invoquant la seule violation par l’employeur, par exemple de son obligation de remise du certificat de travail et de l’attestation Pôle emploi.

Ce principe a pourtant subi un sérieux revers suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2016 (Cass.soc., 13.04.16, n°14-28293) qui a affirmé, au sujet de la violation par l’employeur de son obligation de remise du bulletin de salaire, que « l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ». Cet arrêt imposait ainsi au salarié d’apporter des éléments pour justifier le préjudice allégué.

Décision lourde pour le salarié, qui doit depuis lors démontrer l’existence du préjudice en cas de violation par l’employeur de certaines de ses obligations, chose parfois délicate à démontrer, à mettre en perspective avec le barème de dommages et intérêts limitant aujourd’hui l’indemnisation du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation a depuis confirmé sa position sur la question notamment du non-respect de la procédure de licenciement, pour lequel le salarié doit apporter la justification de son préjudice s’il entend obtenir des dommages et intérêts (Cass.soc., 13.09.17, n°16-13578).

  • Une exception à la nécessité de démontrer son préjudice

Par cet arrêt du 17 octobre 2018, commenté dans ces quelques lignes, la Cour de cassation pose une exception à sa nouvelle jurisprudence : « L'employeur qui met en œuvre une procédure de licenciement économique, alors qu’il n’a pas accompli, bien qu’il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel et sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts ».

Cette affaire concernait un salarié licencié pour motif économique dans le cadre d’un licenciement collectif, ayant saisi le conseil de prud’hommes afin d’obtenir des dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement sur le fondement de l’article L. 1235-15 du Code du travail. En clair, le salarié reprochait à l’employeur d’avoir prononcé ce licenciement alors même que ce dernier n’avait pas mis en place les délégués du personnel et qu’il était soumis à cette obligation, l’employeur étant par ailleurs dans l’incapacité de démontrer qu’un PV de carence avait été établi.

L’article L. 1235-15 du Code du travail précise qu’ « Est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité social et économique n'a pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi. Le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis. » La Cour de cassation considère que cet article a vocation à s’appliquer aux seuls licenciements économiques collectifs (Cass.soc., 19.05.16, n°14-10251).

La Cour d’appel, reprenant le revirement de jurisprudence évoqué ci-dessus, après avoir constaté que l’employeur n’avait pas respecté ses obligations légales, a néanmoins débouté le salarié de sa demande au motif que ce dernier ne démontrait pas la réalité du préjudice.

Décision censurée par la Cour de cassation qui, après avoir fixé le principe repris ci-dessus, affirme que la cour d’appel a violé l’article L. 1235-15 du Code du travail en déboutant le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts en raison du fait que ce dernier ne démontrait pas la réalité du préjudice, ceci alors même qu’elle constatait en parallèle que la société n’avait pas rempli ses obligations.

  • Une nouvelle exception fondée sur le principe du droit à la représentation des salariés

Une nouvelle exception qui vient s’ajouter à celle déjà énoncée par l’arrêt du 13 septembre 2017 précité ayant considéré, au sujet d’un licenciement abusif sur le fondement de l’ancien article L. 1235-5, « que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue ».

Comment aurait-il pu en être autrement dès lors que le droit à la réparation « adéquate » dans une telle situation est un grand principe rappelé par les textes internationaux ratifiés par la France, en particulier l’article 10 de la convention OIT n°158 sur le licenciement ?

Cette deuxième exception est elle aussi fondée sur un grand principe du droit, à savoir le droit pour les travailleurs à la représentation collective garanti par la Constitution et le droit européen. Pour affirmer cette exception, la Cour de cassation se fonde sur l’article L.1235-15 du Code du travail, mais aussi sur l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 382, devenu 1240, du Code civil et l’article 8 § 1 de la Directive n° 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne.

A l’image de la première exception posée en septembre 2017, cette nouvelle exception est elle aussi fort logique, puisqu’elle découle d’un droit fondamental reconnu aux salariés. Cependant, si l’on peut à première vue saluer cette décision, elle sera  limitée dans les conséquences qu’elle produit, notamment lorsque le licenciement sera considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse. En effet, depuis l’introduction du barème d’indemnisation, l’article L. 1235-3 du Code du travail précise que les dommages et intérêts pouvant être attribués en cas licenciement sans cause réelle et sérieuse peuvent se cumuler avec l’indemnité prévue à l’article L. 1235-15 du Code du travail, mais dans la limite des montants maximaux prévus par ledit barème...