Forfaits jours et mandat syndical : Une lacune juridique enfin comblée !

Publié le 08/01/2020

La question des heures de délégation pour les représentants du personnel soumis au forfait jours a longtemps posé problème. Difficile (voire impossible) en effet de décompter des heures pour des salariés dont la logique de calcul du temps de travail consiste précisément à échapper à tout décompte horaire au profit d’un décompte en jours...

Si la loi Travail et un premier décret d’application sont venus combler cette insuffisance juridique, la tâche n’était que partiellement remplie, car les textes ne visaient pas tous les mandats représentatifs. C’est désormais chose faite !

Décret n°2019-1548 du 30.12.19 relatif à l’organisation et au fonctionnement des instances représentatives du personnel et à l’exercice du droit syndical.

  • Le dispositif de décompte des heures de délégation introduit par la loi Travail

Rappel : contrairement à la grande majorité des salariés, le temps de travail des salariés en forfait jours ne se décompte pas en heures mais en jours. C’est à l’accord collectif, qui met en place ce dispositif, qu'il incombe de fixer le nombre de jours de travail que le salarié doit effectuer sur l’année, dans la limite de 218 jours par an.
Etant exclus de tout décompte horaire, les salariés soumis au forfait jours se trouvent également exclus de la règlementation relative aux durées maximales de travail et aux heures supplémentaires. Ils sont en revanche soumis aux repos minimum obligatoires (1).

Jusqu’à la loi Travail, le législateur n’avait apporté aucune précision quant à la façon dont des salariés en forfait jours pouvaient exercer leur mission représentative. Il était difficile d’apprécier ce que pouvait recouvrir un mandat de délégué syndical de 24 heures. Le plus souvent, ces modalités se règlaient dans le cadre de la négociation d’accord collectifs d’entreprise, sans aucun cadrage légal. On imagine d’ailleurs que nombre de cadres élus ou désignés ne prenaient tout simplement pas ces heures de délégation...

L’article 28 de la loi Travail du 8 août 2016 a partiellement comblé cette insuffisance juridique en intégrant dans le Code du travail un système de conversion pour l’ensemble des salariés en forfait jours exerçant une mission représentative (2).

Ainsi, le crédit d’heures est-il regroupé en demi-journées, qui viennent en déduction du nombre de jours travaillés fixé dans la convention individuelle de forfait. Une demi-journée correspond à 4 heures de mandat.

Exemple : un salarié en forfait jours dispose de 24 heures de délégation par mois. S’il utilise tout son crédit d’heures sur le mois, il verra ces 24 heures regroupées en 6 demi-journées. On imputera donc 3 journées sur son nombre de jours travaillés annuel(3).

Ces dispositions sont supplétives, c’est-à-dire qu’elles ne trouvent à s’appliquer qu’à défaut de dispositions spécifiques prévues par un accord collectif !

 

Restait alors à déterminer ce qu’il advenait du crédit d’heures ou de la fraction de ce crédit lorsque celui-ci est inférieur à 4 heures. La loi Travail a, sur ce point, renvoyé, à un décret en Conseil d’Etat. 

  • Le sort de la fraction du crédit d’heures inférieur à 4 heures : des précisions bienvenues !

Un décret du 29 décembre 2017(3) s’est attaché à définir ces modalités : lorsque le crédit d’heures ou la fraction du crédit d’heures restant est inférieur à 4 heures, les représentants du personnel qui en bénéficient au titre des heures additionnées sur l’année bénéficient d’une demi-journée supplémentaire qui vient, elle aussi, en déduction du nombre annuel de jours travaillés, fixé dans la convention individuelle du salarié.

Exemple : Dans les entreprises comptant entre 25 et 49 salariés, chaque élu bénéficie de 10 h par mois, ce qui correspond, pour les salariés en forfait jours, à 2 demi-journées de 4 h par mois et un reliquat de 2 h.

Or, ce décret, si bienvenu soit-il, ne visait pas tous les représentants du personnel ! Ces modalités n’étaient en effet prévues que pour les membres titulaires du CSE (5) et pour les représentants syndicaux au CSE ou au CSE central. En revanche, aucun texte ne visait expressément le délégué syndical, le délégué syndical central, ni le représentant de section syndicale.

C’est désormais chose faite ! Un décret du 30 décembre 2019 est venu combler cette dernière lacune en étendant ces modalités aux représentants de section syndicale (7), aux DS et aux DSC (8).

Attention toutefois ! Ces dispositions ne s’appliquent bien évidemment qu’au reliquat d’heures existant à la fin de l’année et, pour en bénéficier, le représentant au forfait devra selon nous avoir précédemment utilisé les nouvelles modalités de report d’un mois sur l’autre. 

 

La mise en place d’un système de conversion des heures de délégation pour les salariés en forfait jours est, en soi, tout à fait honorable. Tout d’abord, elle permet de garantir un socle minimum uniforme. Attention, nous l'avons vu, ces dispositions n’ont vocation à s’appliquer qu’à défaut d’accord collectif ! Il est donc complètement envisageable de prévoir, par la voie de la négociation collective, un dispositif plus avantageux (pour un crédit de 24 heures, pourquoi ne pas envisager 7 ou 8 demi-journées au lieu des 6 prévues par la loi ?).

Ensuite, ces mesures obligent les employeurs à adapter la charge de travail des salariés en forfait jours, en intégrant dans leur temps de travail le temps que ces derniers consacrent à l’exercice de leur mission représentative. Est-il nécessaire de rappeler que les employeurs ont l’obligation légale de veiller à une charge de travail raisonnable et bien répartie dans le temps de cette catégorie de salariés ?

La question de la charge de travail et de sa compatibilité avec l’exercice d’un mandat doit donc rester centrale et s’imposer tant dans la négociation collective d’entreprise, que dans la négociation entre le manager et le salarié en forfait jours.

 



(1) Art. L.3121-387 et s  C.trav.

(2) Pour le délégué syndical (L.2143-13), délégué syndical central (L.2143-15), représentant de section syndicale (L.2142-1-3), les membres titulaires du CSE (L.2315-7 et R.2315-3).

(3) Question/Réponse n°67 du ministère du travail.

(4) Décret n°2017-1819 du 29.12.17 sur le comité économique et social.

(5) Art. R.2315-3 C.trav.

(6) Art R.2315-4 C.trav.

(7) Art R.2142-1 nouv. C.trav.

(8) Art R.2143-3-1 nouv. C.trav.