Discrimination: peut-on limiter à 30 ans l’âge de recrutement pour les policiers ?
La fixation d’un âge maximum pour le recrutement de policiers constitue une discrimination fondée sur l’âge. Ainsi en a jugé la Cour de justice de l’Union européenne en censurant une disposition légale espagnole qui approuvait les conditions d’un concours fixant à 30 ans l’âge maximum pour pouvoir s’y présenter. CJUE, 13.11.14, n°C-416/13.

- Les faits
Un ressortissant espagnol conteste un avis de concours destiné à pourvoir 15 postes d’agent de la police locale des Asturies, en Espagne, fixant à 30 ans maximum les conditions d’accès au recrutement. Pour le requérant, cette exigence viole son droit fondamental d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques, droit consacré par divers textes (1).
De son côté, la commune en cause fait valoir que l’avis de concours est non seulement conforme à la loi en vigueur sur son territoire, que la Cour de justice a déjà statué en faveur d’une telle limite d’âge dans le cadre du recrutement de pompiers (2) et qu’enfin cette exigence d’âge se justifie par l’objectif légitime de garantir le caractère opérationnel et le bon fonctionnement du corps des agents de police.
Saisi de l’affaire, le tribunal administratif espagnol a choisi de surseoir à statuer et s’est adressé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), afin de savoir si les dispositions légales régionales espagnoles étaient conformes à la directive de l’Union européenne du 27 novembre 2000 interdisant toute discrimination fondée sur l’âge.
La CJUE a répondu par la négative en jugeant que « les articles (…) de la directive portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règlementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui fixe à 30 ans l’âge maximal de recrutement des agents de la police locale ».
- Le cadre juridique : le principe de non-discrimination
Si l’employeur (public ou privé) est libre dans le choix du salarié qu’il envisage d’embaucher, il n’en reste pas moins que cette liberté connaît des limites. Il ne peut notamment pas fonder sa décision de recruter ou non sur des motifs considérés comme discriminatoires (3).
En droit européen, c’est la directive de l’Union européenne de 2000 qui établit un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail afin notamment de lutter contre certaines discriminations fondées sur la religion ou les convictions, le handicap, l’orientation sexuelle, ou encore l’âge (4).
- Les dérogations possibles au principe de non-discrimination
La directive autorise néanmoins une différence de traitement fondée notamment sur l’âge (5), dès lors qu’elle est « objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ».
Elle ajoute que ces différences peuvent notamment comprendre « la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite ».
Dans ce cadre-là, chaque Etat membre est donc ensuite libre de prendre des dispositions spécifiques.
C’est précisément ce qu’a fait la Commune espagnole. Pour elle, la fixation d’un âge maximum pour le recrutement des agents de la police locale avait été instaurée dans l’objectif légitime de garantir la bonne condition physique des agents.
- Une condition considérée comme disproportionnée par la CJUE
Si la CJUE reconnait dans un premier temps que la nature de certaines fonctions des agents de la police locale puisse justifier l’exigence d’une condition physique particulière, elle considère néanmoins que ces capacités physiques ne sont pas forcément propres aux personnes de moins de 30 ans. Ainsi, l’objectif légitime de garantir le caractère opérationnel du corps de la police ne justifiait pas cette condition d’âge qui constitue donc une exigence disproportionnée, pas nécessaire et inappropriée.
La Cour avance par ailleurs que le même avis de concours prévoyait, outre cette limite d’âge, des épreuves physiques spécifiques exigeantes et éliminatoires. Ce qui permettait de s’assurer aisément, et d’une façon moins contraignante et plus juste, que les agents de police avaient la condition physique spécifique nécessaire à l’exercice de leurs fonctions.
Enfin, elle a rappelé que si elle avait auparavant validé la condition d’âge maximale pour le recrutement des pompiers, c’était uniquement en raison des capacités « exceptionnellement physiques » exigées dans certaines tâches qui leur été confiées (lutte contre les incendies, etc.) incomparables avec celles attribuées aux agents de police.
Si le droit européen et certains droits nationaux admettent, dans certaines circonstances, des différences de traitement fondées sur des motifs pourtant discriminatoires, on peut toutefois se réjouir de constater que ces dérogations restent appréciées de façon restrictive.
(1) La Constitution espagnole et la Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27.11.00, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
(2) CJUE, 12.01.10, WOLF (affaire C-229/08).
(3) En droit français, cette interdiction figure à l’article L.1132-1 du Code du travail qui liste l’ensemble des critères dont l’employeur ne peut tenir compte dans l’ensemble des décisions qu’il peut être amené à prendre tels que les mœurs, l’orientation sexuelle, la situation de famille, les convictions religieuses ou encore l’âge.
(4) CJCE, 22.11.05, Werner Mangold, C-144/04,§75 Ce principe de non-discrimination en fonction de l’âge a d’ailleurs été reconnu comme un principe général du droit communautaire en ce qu’il constitue une application spécifique du principe général de l’égalité de traitement.
(5) Art 4 et 6 de la directive 2000/78.