Activités sociales et culturelles : l'exonération de contributions sociales remise en question !

Publié le 20/03/2019

La Cour de cassation remet à nouveau en cause le fondement juridique des exonérations de cotisations sociales des bons d’achat et cadeaux attribués aux salariés au titre des activités sociales et culturelles. Elle censure une Cour d’appel qui avait statué en faveur de l’employeur « sur le fondement d’une circulaire dépourvue de toute portée normative » Cass.civ2., 14.02.19, n°17-28047.

Le CSE bénéficie d’un monopole dans la gestion des activités sociales et culturelles (ASC). Cette attribution à part entière des CSE, et anciens CE, est certainement la plus connue des salariés, au grand regret des militants qui bataillent sur les attributions économiques. En l'absence de CSE, l’employeur peut aussi décider volontairement d’avoir une politique sociale et culturelle. Les ASC recouvrent des choses diverses, de la place de cinéma à la gestion d’une crèche d’entreprise. Ce qui nous intéresse ici concerne plus précisément les bons d’achat et cadeaux.  

 

Comment se définissent les ASC ?

Le Code du travail ne définit pas précisément les ASC, il se contente d’indiquer dans la partie législative que ce sont des activités « établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires, quel qu'en soit le mode de financement (…)» (1).

La partie réglementaire est plus précise et fixe une liste non limitative des ASC, et notamment :
- « les activités sociales et culturelles tendant à l'amélioration des conditions de bien-être, telles que les cantines, les coopératives de consommation, les logements, les jardins familiaux, les crèches, les colonies de vacances
- les activités sociales et culturelles ayant pour objet l'utilisation des loisirs et l'organisation sportive. » (2) 

Faute de précisions, la jurisprudence a fixé les contours de ce qui peut être qualifié d’ASC. L’activité doit être facultative, non discriminatoire, exercée principalement au bénéfice des salariés de l’entreprise, destinée à améliorer les conditions collectives d’emploi, de travail et de vie au sein de l’entreprise.

 

  • Un traitement social particulier des bons d’achat et des cadeaux en nature

Selon les URSSAF, les bons d’achat et cadeaux bénéficient d’exonérations de cotisations sociales et de contributions CSG / CRDS, sous certaines conditions et limites. Ces conditions ont été fixées par différents textes de valeur infra législative, dont une lettre circulaire de 1996 concernant spécifiquement les bons d’achat et cadeaux en nature (3).

En résumé, est posée une présomption de non-assujettissement de l’ensemble des bons d’achat ou cadeaux attribués à un salarié, par année civile, lorsque le montant global de ces derniers n’excède pas le seuil de 5% du plafond mensuel de la Sécurité sociale, soit pour l’année 2019 : 3377 x 5% = 169 euros.

Il est possible de dépasser ce montant à condition de respecter l'instruction ministérielle du 17 avril 1985, qui prévoit que :

- « leur attribution doit être en relation avec un événement visé par la lettre circulaire de 1996 (mariage, naissance, Noël des salariés et des enfants, départ à la retraite, rentrée scolaire, fête des mères/des pères, Ste Catherine/St Nicolas) ;

- leur utilisation doit être déterminée : l’objet du bon d’achat doit être en relation avec l’évènement. Le bon d’achat doit mentionner soit la nature du bien soit un ou plusieurs rayons d’un grand magasin ou le nom d’un ou plusieurs magasins ;

- le montant doit être conforme aux usages », ce qui revient à appliquer par principe la même règle des 5% sauf cas particulier (ex : si l’ASC concerne les enfants des « salariés », le montant exonéré pourra être de 169 euros par enfant). 

 

Les chèques culture et les financements de biens ou prestations de nature culturelle versés par le CSE au bénéfice des salariés sont totalement exonérés de cotisations et contributions sociales, dès lors qu’ils ont pour objet exclusif de faciliter l’accès de leurs bénéficiaires à des activités ou prestations de nature culturelle.

 

  • La force des lettres circulaires une nouvelle fois remise en cause…

C’est loin d’être une surprise. Dès 1988, la Cour de cassation a remis juridiquement en cause la validité de la lettre circulaire initiale de 1985 en indiquant qu’elle n’était pas opposable aux URSSAF (4). Plus récemment la Cour de cassation avait réaffirmé cette position ce qui laissait peu de place au doute (5). Toutefois, même si on ne peut s’en satisfaire, les URSAFF continuent majoritairement d’appliquer les prescriptions ministérielles…

Dans l’arrêt du 14 février 2019, c’est la Cour de cassation elle-même qui a relevé d’office le moyen de cassation alors que les parties débattaient contradictoirement du point de savoir si les conditions de la lettre circulaire de 1996 étaient bien remplies (notamment puisque 2 salariés n’avaient pas bénéficié de l’avantage en question).

Une circulaire dépourvue de toute portée normative

 

Pour la Cour de cassation la cour d’appel a eu tort de débouter les URSSAF au motif d’une bonne application de la circulaire de 96 puisqu’elle a statué sur « le fondement d’une circulaire dépourvue de toute portée normative ». 

  • A la recherche du fondement perdu…

La Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Poitier, et la tâche s’annonce difficile aussi bien pour les parties que pour les juges s’ils veulent fonder juridiquement les exonérations. Il y a bien eu des tentatives de transcription législatives dans le dernier projet de loi de finance de la sécurité sociale mais l’amendement adopté en première lecture à l’assemblée nationale était très défavorable aux salariés en rendant les ASC imposables et chargeables dans des conditions moins favorables que les tolérances ministérielles. Cet amendement a finalement été retoqué au Sénat suite à la levée de bouclier de la CFDT et de l’ensemble des organisations syndicales.

On pourrait d’une certaine manière penser que cette décision non publiée est un moyen pour la Cour de cassation d’en appeler au législateur, ou à tout le moins à un fondement ayant force contraignante, ce qui n’est pas très rassurant vu les orientations actuelles du gouvernement… S’il est conseillé d’utiliser la technique du rescrit social pour connaitre en amont la position de son URSSAF, la situation se complique lorsque la Cour de cassation soulève d’office ce moyen... Dans cette affaire la complication pourrait se limiter aux frais de justice, certes non négligeables, si et seulement si les URSSAF décident de ne pas introduire le contentieux devant la cour d’appel de renvoi et de s'en tenir à l'arrêt de la Cour de cassation. Comme le dit l’adage, il n’y a pas d’amour mais que des preuves d’amour, les ASC sont en attente !

 

 

 



(1) Art. L.2312-78 C.trav.

(2) Art. R.2312-35 C.trav.

(3) Lettre circ. ACOSS n°96-94, 3.12.96.

(4) Cass. soc., 11.05.88, n° 86-10.122, Cass. soc., 20.12.90, n° 89-11.308. 

(5) Civ.2è., 30.03.17, n°15-25.453.