Actions de groupe : ce qui est déjà possible aujourd'hui

Publié le 12/06/2013

Annoncée début mai par le Gouvernement, la « class action » à la française a suscité nombre de commentaires, enthousiastes ou alarmistes, d'associations de consommateurs, d'industriels ou d'avocats. En attendant que le projet de loi « Consommation » arrive dans l'hémicycle (fin juin), voici ce qui existe, d'ores et déjà, en matière d'actions de groupe.

Ce que prévoit le projet de loi.

Le projet de loi (non encore définitif) prévoit la transposition en droit français (moyennant quelques aménagements) de la procédure de « class action ».

Les étapes de l'action de groupe :

-        Une association de défense de consommateur agréée et représentative au niveau national (elles sont au nombre de 16[2]) agit en justice pour obtenir réparation au nom d'un groupe de consommateurs qui se trouvent dans une situation identique, causée par un même professionnel, du fait de manquements à ses obligations légales ou contractuelles.

-        Le juge détermine le groupe de personnes concernées par le litige et les critères de rattachement à ce groupe.

-        Il fixe les délais et la manière dont les personnes concernées par ce litige peuvent se joindre au groupe, pour espérer obtenir réparation.

-        Le juge statue sur la responsabilité du professionnel et rend public la décision (aux frais du professionnel) pour permettre aux consommateurs lésés d'adhérer au groupe.

-        Il évalue le préjudice global, en tenant compte des préjudices individuels de chaque consommateur concerné par l'action de groupe.

-        L'indemnisation est versée, soit par le professionnel à chaque consommateur, soit par l'association qui se charge de diviser les indemnités octroyées.

Quel intérêt des actions de groupe par rapport aux actions existantes ?

-        Pas de mandat. L'association n'a pas à attendre le feu vert d'un ou de consommateurs pour lancer une action contre une pratique qui porte préjudice à un groupe de personne. L'adhésion au groupe, par le/les consommateurs vaut « mandat tacite » et peut se faire en cours de procédure.

-        Centralisation. Tous les recours sont regroupés dans une seule procédure, sans avoir besoin d'identifier individuellement les requérants. Cette procédure allégée niveau formalités permet de mutualiser les coûts, ce qui incite les requérants de se joindre, même pour un faible préjudice, sans crainte de perte financière au final.

-        Un effet « masse ». L'action de groupe a aussi pour intérêt de faire face à la force de frappe des grands groupes industriels, multipliant ainsi les chances de remporter le recours.

Quelle différence avec la « class action » américaine ?

-        Voie de recours réservée. Le projet de texte limite les structures habilitées à représenter les consommateurs : la procédure ne pourra être engagée que par l'une des 16 associations de défense des consommateurs, agréées par l’État. Ce qui exclut la possibilité pour les avocats de diligenter eux-mêmes des actions de groupe, et devrait éviter un engouement trop important pour ce type de procédure (et rassurer les professionnels).

-        Champ réduit. Le projet de loi n'ouvre l'action de groupe qu'aux préjudices matériels liés à la consommation et aux pratiques anticoncurrentielles (vente de biens ou fournitures de services, clauses abusives, etc.). Cette voie de droit ne pourra, en revanche, pas être utilisée pour obtenir la réparation de préjudices matériels résultant d’un dommage corporel ou de préjudices moraux environnementaux ou liés à la santé (il ne sera pas possible de s'en prévaloir pour des catastrophes écologiques ou sanitaires type Erika ou Médiator).

-        Dédommagement limité. À la différence des États unis, où les indemnités peuvent être « exemplaires » et dépasser largement la réalité du préjudice, en France, le juge se devra d'évaluer la réalité du préjudice, au regard de la situation individuelle de chaque consommateur inclus dans le groupe déterminé. Les sommes ne pourront donc pas dépasser certaines limites, ce qui devrait éviter la « spéculation » judiciaire.

Ce que prévoit le droit français actuellement ?

  • En matière de droit de la consommation

S'il n'est, pour l'heure, pas possible pour une association de se « substituer » à un/ou des consommateurs dans un recours en justice contre un professionnel[3], il existe d'ores et déjà des possibilités pour les individus de se faire épauler, voire représenter par des associations agréées, dans leur action en matière de consommation (publicité trompeuse, clauses illicites, pratiques abusives, anticoncurrentielle…)

- L’action en défense d’intérêt collectif : l’association agit en son nom propre, pour défendre l'objet pour lequel elle a été conçue[4].

Dans ce cas l'association agit de sa propre initiative, ce qu'elle obtiendra ne bénéficiera pas directement aux consommateurs (ex : les dommages et intérêt ne pourront pas être répartis entre les consommateurs lésés) en revanche, son action pourra avoir pour conséquence de faire cesser la pratique illicite et de créer un précédent qui servira d'appui pour les actions individuelles.

- L’action conjointe : l'association agit aux côtés du consommateur.

Il ne s'agit pas d'agir à la place, mais d'agir aux côtés du consommateur lésé. Il s'agit de la possibilité pour une association agréée de se joindre à un/ou des consommateurs dans leur action devant les juridictions civiles. Ce qui permet au consommateur de se sentir « épaulé » et assisté dans son action.

- L'action en représentation conjointe : addition d'actions individuelles, coordonnées par une association.

Cette action permet à des associations d'agir devant les juridictions (civiles et pénales), à condition que les requérants lui aient donné mandat individuellement, par écrit.

« Lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national peut, si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs. »[5]

En revanche, ce mandat « ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée. », ce qui réduit la capacité pour les associations de « populariser » l'action et de toucher toutes les personnes potentiellement lésées.

- Quelle différence avec les futures « actions de groupe » ?

L'action de groupe est une action en « substitution ». À la différence de l'action en représentation (qui nécessite un mandat explicite de la personne qui habilite l'association à la représenter), la substitution permet à l’association d'agir dans l'intérêt de consommateurs lésés, sans solliciter leur accord en amont. À eux de décider avant (ou en cours de procédure) s'ils prennent part à l'action engagée par l'association, pour pouvoir bénéficier des dommages et intérêt. L'objectif étant la centralisation de l'action dans les mains d'associations spécialisées et la simplification des procédures pour les consommateurs.

  • En matière de droit du travail : L'action en substitution des syndicats

En matière de droit du travail, l'action de substitution est déjà une réalité puisque les syndicats ont une habilitation spécifique pour se substituer aux salariés dans certains cas limitativement énumérés par la loi.

Pour mémoire les syndicats ont 3 voies pour agir :

-        Le syndicat peut agir en son nom pour défendre ses intérêts propres ou ceux de ses adhérents (immeuble, noms, contrat, etc.)[6]

-        Il peut agir pour défendre les intérêts collectifs qu'il défend.

-        Il peut agir pour la défense des intérêts individuels des salariés

-        Avec un mandat : action en représentation et assistance devant le CPH et juridictions de sécurité sociale.

-        Sans mandat : action en substitution dans certains cas limitativement énumérés

Action en substitution limitée à certaines actions.

Le syndicat dispose (à titre exceptionnel) du droit de faire une action en substitution : c'est-à-dire d'agir, seul, sans mandat, pour défendre une personne (ou plusieurs) qui soit ou non adhérente, à la seule condition d'avoir averti le/les salariés concernés par écrit et que celui-ci ne s'y soit pas opposé.

Cette faculté est prévue pour un nombre limité de cas

- non-respect d'une disposition conventionnelle[7]

-            inobservation des règles régissant le licenciement économique[8]

-            les contrats précaires.[9]

-            le statut des travailleurs étrangers[10]

-            le travail à domicile[11]

-            la sous-traitance et le prêt de main-d'œuvre illicite[12]

-        l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes[13]

-        la prohibition des discriminations[14]

À condition de justifier d'un accord écrit de l'intéressé, le syndicat peut également exercer en justice toutes actions en faveur d'un salarié de l'entreprise lorsqu'il y a harcèlement sexuel ou moral en matière sexuelle dans les relations du travail[15].


[1]Ce texte devrait être examiné en première lecture par l'Assemblée nationale le 25 juin. Il comprend six chapitres. Le premier concerne l'action de groupe.

[3]Au nom du principe selon lequel, en France « nul ne plaide par procureur ».

[4]ArtL.421-1 du Code de la consommation.

[5]L422-1 Code de la consommation.

[6]Art. L. 2132-3 c.trav.

[7]Art. L. 2262-9 , art. L. 2262-11c. trav.

[8]Art. L. 1235-8

[9]Art. L. 1247-1

[10]Art. L. 8255-1

[11]Art. L. 8255-1

[12]Art. L. 8233-1

[13] Art. L. 1144-2

[14]Art. L. 1134-2

[15]Art. L. 1154-2