Devoir de vigilance : le point sur la récente loi

Publié le 21/10/2020

Pour la première fois en France, le Parlement a adopté en 2017 une loi responsabilisant les grands groupes transnationaux s’agissant des atteintes graves aux droits humains et à l’environnement qui pourraient résulter des activités de la société mère, de ses filiales, mais aussi des fournisseurs et des sous-traitants avec lesquels elles traitent. Quels sont les apports de cette loi ?

La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 vise à prévenir les atteintes graves aux droits humains, libertés fondamentales, à la santé et sécurité des personnes et à l’environnement causées par les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre ou par leurs filiales. La loi sur le devoir de vigilance est intervenue en réaction à la catastrophe du Rana Plaza qui a eu lieu au Bangladesh, en avril 2013. L’effondrement du bâtiment qui abritait des usines textiles a provoqué la mort de plus de 1100 ouvriers et 2000 blessés. Ces usines étaient essentiellement des sous-traitants et des fournisseurs qui travaillaient principalement pour de grandes multinationales européennes et françaises.


Désormais, les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre couvertes par la loi française sont responsables à l’égard de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs pour les activités qu’elles conduisent et qui peuvent avoir un impact négatif sur les droits de travailleurs, les droits humains ou l’environnement. Cette nouvelle responsabilité se concrétise au travers de trois obligations préventives : l’obligation d’établir un plan de vigilance, l’obligation de le publier et l’obligation de le mettre en œuvre. L’entreprise qui manque à ces obligations pourra être sanctionnée.

  • Quelles entreprises sont concernées par l’obligation d’établir, de publier et de mettre en oeuvre un plan de vigilance ?

La loi prévoit que les sociétés mères ou donneuses d’ordre dépassant un certain seuil d’effectifs ont l’obligation d’établir, de publier et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance couvrant leurs activités et celles de leurs filiales mais également celles de leurs sous-traitants et fournisseurs « avec lesquelles est entretenue une relation commerciale établie », c’est-à-dire des rapports directs et stables.

La loi couvre les grands groupes puisque sont visées :

- d’une part, toute société ayant son siège en France et employant en son sein et dans ses filiales directes et indirectes au moins 5 000 salariés ;
- d’autre part, toute société ayant son siège en France ou à l’étranger (et ayant des activités en France) qui emploie en son sein et dans ses filiales directes et indirectes au moins 10 000 salariés au total.

  • Qui établit ce plan de vigilance ?

Le plan de vigilance n’est pas forcément établi unilatéralement par la direction des entreprises visées puisque la loi encourage la direction à l’élaborer et le mettre en œuvre « en association avec les parties prenantes » - et en premier lieu avec les organisations syndicales.

La loi sur le devoir de vigilance reconnaît un rôle spécifique des syndicats à jouer dans la mise en place du mécanisme d’alerte et de recueil des signalements, lequel doit être établi « en concertation avec les organisations syndicales représentatives » dans l’entreprise (article L.225-102-4, alinéa 4, 4° C.com.).

Pour la CFDT, les parties prenantes et plus particulièrement les organisations syndicales doivent nécessairement être associées à l’élaboration du plan. Ces acteurs internes à l’entreprise ont, en plus de la mise en place du mécanisme d’alerte, un rôle essentiel à jouer, notamment dans l’identification des risques et l’évaluation de la mise en œuvre du plan.

  • Quel est le périmètre d’application du plan de vigilance ?

Le plan de vigilance doit couvrir :

- les filiales ou les sociétés contrôlées par la société mère, qu’elles soient françaises ou étrangères ;

ainsi que

-les sous-traitants et les fournisseurs français ou étrangers avec lesquels la société mère ou l’entreprise donneuse d’ordre entretient « une relation commerciale établie», c’est-à-dire une relation « régulière, stable et significative » selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. com., 6.09.11, n° 10-30.679 ; Cass. com., 20.03.12, n° 10-26.220).

L’adoption d’un tel plan de vigilance relève donc d’une démarche prospective et d’une responsabilité préventive des entreprises. En effet, l’obligation d’établir un plan de vigilance est déconnectée de toute atteinte avérée aux droits de l’homme ou à l’environnement.

A noter également que contrairement à d’autres lois nationales spécifiques à un secteur d’activité ou à un domaine particulier, cette loi a pour singularité de couvrir tous les secteurs d’activité et un vaste domaine de droits.

  • Que doit contenir le plan de vigilance ?

Le plan de vigilance comporte des « mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes graves » aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement. Les risques dont il est question sont ceux occasionnés par l’activité de la société mère ou de l’entreprise donneuse d’ordre mais aussi ceux générés par les activités des sociétés qu’elle contrôle et par les activités des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels la société mère ou le donneur d’ordre entretient une « relation commerciale établie ».

Plus précisément, la loi énonce que le plan doit comporter 5 mesures.

  1. Une cartographie des risques identifiés.
  2. La mise en place de procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels la société mère ou l’entreprise donneuse d’ordre entretient une relation commerciale établie.
  3. Des actions adaptées pour atténuer les risques ou prévenir les atteintes graves.
  4. Une procédure d’alerte lorsqu’un risque existe ou se réalise. Il convient de souligner que ce mécanisme d’alerte est établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives.
  5. Enfin, pour s’assurer que le plan de vigilance est bien mis en œuvre, un dispositif de suivi des mesures et d’évaluation de leur efficacité est mis en place.

Où doit-être publié le plan de vigilance ? Une fois que le plan est établi, la société mère ou donneuse d’ordre a l’obligation de le rendre public tous les ans, de même que le compte rendu de sa mise en œuvre effective (art. L.225-102-4, alinéa 5 du Code de commerce). Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en œuvre doivent être insérés, au même titre que la déclaration de performance extra-financière, dans le rapport annuel de gestion de la société, qui est accessible sur internet.

En cas de manquement à l’obligation d’établir un plan de vigilance ou de manquement à l’obligation de le mettre en œuvre, des sanctions sont prévues par la loi (voir Devoir de vigilance: recours et sanctions en cas de manquement).

 

Pour aller plus loin: voir le numéro 236 d'Action Juridique « La loi sur le devoir de vigilance : décryptage ».