CDD : les limites à la suppression du délai de carence

Publié le 24/05/2022

Le Code du travail autorise les accords de branche étendus à prévoir les cas où le délai de carence entre deux CDD n’est pas applicable. Il autorise ainsi également à compléter ou adapter la liste des exceptions légales.

Interprétant strictement cette faculté, le Conseil d’Etat affirme qu’un accord de branche ne peut se contenter de prévoir « qu’aucun délai de carence n’est appliqué dans tous les cas de succession de CDD » et annule sur ce point l’arrêté d’extension de la convention collective nationale de Pôle emploi.

CE, 27.04.22, n° 440521. 

Rappel des dispositions légales sur le délai de carence

À l’issue d’un CDD ou d’un contrat de mission (travail temporaire), la conclusion d’un nouveau CDD pour pourvoir le même poste doit respecter un délai de carence qui dépend de la durée du contrat initial :

  • le tiers de la durée du contrat initial, renouvellement inclus, si la durée de ce contrat est au moins égale à 14 jours ;
  • la moitié de la durée du contrat initial, renouvellement inclus, si la durée de ce contrat est inférieure à 14 jours (1).

Il existe des exceptions à cette règle. La règle du délai de carence pourra ne pas s'appliquer en fonction du cas de recours au CDD (CDD saisonnier, CDD d’usage…), ou dans certaines situations (rupture anticipée du contrat à l’initiative du salarié, refus par le salarié du renouvellement de son contrat…) (2).

Des règles similaires sont applicables lorsque l’employeur a recours au travail temporaire (3).

Le délai de carence, objet de la négociation de branche

Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017 (4), les branches professionnelles ont la possibilité de définir, pour les CDD et les contrats de mission, la durée totale des contrats, le nombre maximum de renouvellements possibles, les modalités de calcul du délai de carence et enfin, ce qui nous intéresse ici, « les cas dans lesquels le délai de carence (…) n’est pas applicable » (5).

Il s’agit d’une compétence exclusive de la branche professionnelle, un accord d’entreprise ne pouvant être valablement conclu sur ces sujets (6).
En outre, l’accord de branche doit être étendu, autrement dit un acte administratif est nécessaire pour rendre obligatoire l’accord à tous les salariés de la branche.

Certaines branches se sont emparées de cette faculté, c’est par exemple le cas de la métallurgie, qui écarte l’application du délai de carence lorsqu’un des deux contrats successifs en CDD (ou en contrat de mission) est conclu en cas d’accroissement temporaire d’activité par exemple (7).

C’est aussi le cas de Pôle emploi, qui a la particularité de disposer d’une convention collective nationale (CCN) agrée et étendue, applicable au personnel relevant du droit privé, et pour certaines dispositions aux agents de droit public encore présents (8).

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours, à l’initiative de FO, suite à l’extension d’un avenant à cette CCN, qui avait posé pour principe qu’« aucun délai de carence n’est appliqué dans tous les cas de succession de CDD ».

Une négociation qui connaît des limites...

Avant d’aborder l’apport de l’arrêt, il est important de préciser que le Conseil d’Etat a considéré, s’agissant du statut social particulier applicable aux agents de Pôle emploi, que la CCN était bien assimilable à un accord de branche, et non à un accord d’entreprise, comme le soutenait FO, et que cette CCN ne pouvait déroger aux dispositions du Code du travail relatives à la carence. En cela, la décision est bien applicable à l’ensemble des entreprises régies par le Code du travail.

Ensuite sur le fond, le Conseil d’Etat relève que les stipulations litigieuses ont pour objet d’exclure de façon générale l’application du délai de carence dans tous les cas de succession de CDD. Or la faculté « de déroger au principe » du délai de carence n’est ouverte que dans certains cas seulement, qu’il a appartient à la branche de définir, affirme le Conseil d’Etat.

Cette analyse sous forme de principe/exception tirée de la lettre de l’article L. 1244-4 du Code du travail permet de supposer qu’un accord de branche ne peut pas supprimer totalement le délai de carence, même si les négociateurs prenaient le soin d’énumérer un à un l’ensemble des cas de dérogation.

On peut effectivement se demander à partir de combien de dérogations l’exception devient trop générale... Suffit-il qu’il reste un seul cas où le délai de carence est applicable pour que les exceptions soient valables ? Ou alors faut-il s’attacher au volume de contrats conclus sans carence pour en apprécier le caractère exceptionnel ?

Il faut en effet rappeler que le champ de la négociation de branche concernant les CDD et les contrats de mission est limité par les dispositions d’ordre public en vertu desquelles ces contrats, quel que soit leur motif, ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Si une large majorité des contrats conclus dans une branche se succèdent sans carence, comment alors ne pas considérer que l’embauche aurait dû avoir lieu en CDI ?

En tous les cas dans ce litige, le Conseil d’Etat annule partiellement pour excès de pouvoir l’arrêté du 15 janvier 2020 portant extension de l’avenant du 18 septembre 2019 (9). En effet, d’autres stipulations considérées comme divisibles dans l’article litigieux de l’avenant restent étendues, notamment celles fixant un plafond de recours au CDD pour accroissement d’activité à 4% de l’effectif sous plafond par année civile. Or il y a fort à parier que la suppression générale de la carence était précisément en lien avec cette disposition limitant de manière importante le recours aux contrats précaires…

 

(1) Art. L1244-3 C.trav.

(2) Art. L1244-4-1 C.trav.

(3) Art. L1251-36-1 et suivants C.trav.

(4)Ordonnance n° 2017-1387 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

(5)Cf. art. L1244-4 C.trav pour les CDD et L1251-37 C.trav. pour les contrats de mission.

(6)Exception faite des règles dérogatoires liées au covid 19 ayant donné compétence en la matière à l’accord d’entreprise jusqu’au 30 septembre 2021

(7)Saisi d’un recours, le Conseil d’Etat a validé l’arrêté ayant étendu ces dispositions : CE, 19.05.21, n°426825. 

(8)Art. L5312-9 C.trav.

(9)Avenant relatif à la révision de l’article 8.4 de la CCN de pôle emploi du 21 novembre 2009 étendue.