Congés : l’employeur qui impose la 5è semaine doit respecter un délai de prévenance !

Publié le 16/03/2022

Ne nous y trompons pas : si l’organisation des congés payés au sein de l’entreprise relève du pouvoir de direction de l’employeur, ce dernier ne peut pas tout faire non plus ! Lorsqu’il souhaite imposer des jours de congés payés, il doit respecter un délai de prévenance, sauf à justifier de circonstances exceptionnelles. Mais cette règle, qui s’applique aux 4 premières semaines de congés payés, s’applique-t-elle aussi à la 5è semaine ? Voire aux congés éventuellement prévus par un accord collectif ? Pour la première fois, la Cour de cassation vient trancher cette question. Cass.soc.02.03.22, n°20-22261.

Les faits

Alors qu'elle fait face à une grève, qui affectera l’un de ses sites jusqu’au 18 janvier 2018, une entreprise va obliger les salariés non-grévistes, dès le 1er janvier 2018, à poser des congés sur les 2 premières semaines de janvier. Précision essentielle : ces 2 semaines de congés correspondent pour partie à la 5è semaine de congés payés et pour partie à des jours de congés conventionnels.

L’entreprise justifie alors sa décision par la paralysie du site générée par la grève, qui fait elle-même suite à 2 mois de maintenance.

Mais cela ne suffira pas à empêcher l’une des organisations syndicales de saisir le tribunal de grande instance pour contester la mesure prise par la direction, mesure qu’elle juge illicite. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle estime que l’employeur aurait dû respecter le délai de prévenance d’1 mois prévu par le Code du travail pour imposer des congés aux salariés. Et les juges du fond vont d'ailleurs lui donner raison.

 

Si l’organisation des congés payés au sein de l’entreprise relève du pouvoir de direction de l’employeur, celui-ci doit néanmoins respecter un certain nombre de règles.

En principe, c’est un accord d’entreprise ou d’établissement ou à défaut, de branche, qui fixe les modalités de prise des congés payés :
-la période au cours de laquelle ils peuvent être pris,
-l’ordre des départs,
-mais aussi et surtout les délais que doit respecter l’employeur qui entend modifier l’ordre et les dates de départ en congés. Ou, dit autrement, le délai dans lequel l’employeur doit informer le salarié de ses dates de départ en vacances (art. L.3141-15 du Code du travail).

Le Code du travail ajoute qu’à défaut de stipulation dans cet accord collectif, l’employeur ne peut pas modifier l’ordre et les dates de départ moins d’un mois avant la date de départ prévue, à moins qu’il ne justifie de circonstances exceptionnelles (art. L.3141-16 du Code du travail).

L’employeur conteste à son tour. Selon lui, ce délai de prévenance légal ne s’applique qu’au congé principal (qui correspond aux 4 premières semaines de congés payés) (1) et non pas à la 5è semaine, pas plus qu'aux jours de congés conventionnels, ces congés étant soumis à un régime particulier. En bref, selon lui, l’article L.3141-16 ne s’applique pas en l’espèce. L’employeur se pourvoit donc en cassation.

La question posée est simple :

L’employeur qui impose la prise de la 5è semaine de congés payés et de jours de congés d’origine conventionnelle doit-il, au même titre que pour le congé principal, respecter un délai de prévenance ?

Quelles sont les spécificités des règles applicables à la 5è semaine de congé ?

Le régime gouvernant les congés payés ne traite effectivement pas toujours de la même manière le congé principal et la 5è semaine. Tantôt, il  applique à cette dernière les mêmes règles (concernant par exemple le décompte des jours, les règles entourant la charge de la preuve (2), etc), tantôt, il la soumet à un régime particulier.

A titre d’illustration, et sauf exceptions, la 5è semaine de congés payés :  

  • peut être prise à tout moment, alors que le congé principal doit obligatoirement être pris sur la période du 1er mai au 31 octobre(3) ;
  • ne peut pas être accolée au congé principal (4), ce qui favorise un étalement des congés sur l’année ;
  • ne peut pas ouvrir droit à des jours de fractionnement, contrairement aux 24 jours ouvrables(5) ;
  • peut être fractionnée sans l’accord du salarié (6) ;
  • peut être reportée et capitalisée en vue de prendre un congé sabbatique ou pour création d’entreprise (7) ou encore, capitalisée sur un compte épargne-temps (8 ) ;
  • peut faire l’objet d’un don à un autre salarié (9).

Pour autant, la question de l'application du délai de prévenance à la 5è semaine de congé n’avait jusqu’ici pas été tranchée. C’est désormais chose faite !

Pas de distinction à faire entre la 5è semaine et les 4 premières semaines de congés payés

Dans notre affaire, la Cour de cassation approuve les juges du fond. Aucun texte n’autorise l’employeur à fixer les jours de la 5è semaine sans respecter de délai de prévenance. Au contraire, elle reconnaît que l’article L. 3141-16 a une portée générale et s’applique à tous les congés, quelle que soit leur origine, c’est-à-dire aussi bien à la 5è semaine qu'aux congés d’origine conventionnelle.

Aussi, dès lors que la convention ou l’accord collectif applicable à l’entreprise ne fixe pas le délai que doit respecter l’employeur souhaitant modifier l’ordre et les dates de départ en congé (10), et dès lors que celui-ci ne justifie pas de circonstances exceptionnelles, il ne peut pas modifier l’ordre et les dates de départ moins d’1 mois à l’avance. Et ce, qu’il s’agisse de la 5è semaine ou de congés conventionnels.

Pour les Hauts magistrats, la mesure prise par l’employeur est donc bien illicite.

Une décision importante

Soumettre la 5è semaine de congés aux mêmes règles que celles gouvernant les 4 premières, en particulier celle relative délai de prévenance, est une avancée pour les salariés. En effet, alors que le congé principal fait l’objet de règles strictes et protectrices, le régime de la 5è semaine de congés offre plus de souplesse à l’employeur. Or, la Cour de cassation vient ici de limiter son pouvoir.

Et qui plus est, elle le limite également s’agissant des jours de congés d’origine conventionnelle, puisqu’elle les soumet également, sauf dispositions contraires, au même délai de prévenance.

On peut noter qu'en 2017, la Cour de cassation avait également étendu la règle de la preuve qui s’applique aux 4 semaines ainsi qu’à la 5è aux congés conventionnels(11).

 

 

(1) Ces 4 semaines de congé annuel sont d’ailleurs garanties par la Directive 2003/88/CE du 4.11.03.

(2) Cass.soc., 21.09.17, n°16-18898.

(3) Art. L.3141-13 et L. 3141-45 C.trav.

(4) Art. L.3141-18 et L.3141-17 C.trav.

(5) Art. L.3141-19 ; Cass.soc.19.11.87, n°85-41415.

(6) Art. L.3141-19 C.trav.

(7) Art. L.3142-22 C.trav.

(8) Art. L.3151-2 C.trav.

(9) Art. L.1225-65-1 C.trav.

(10) Art. L.3141-15 C.trav.

(11) Cass.soc., 21.09.17, n°16-18898.

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