Accident du travail mortel : les conditions de la responsabilité pénale de l’employeur

Publié le 15/11/2017

En cas d’accident du travail mortel, la responsabilité pénale de l’entreprise peut être engagée en cas d’infraction pénale, ceci en l’absence de délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité. Peu importe que le représentant légal de l’entreprise ne travaillait pas physiquement sur les lieux de l’accident. Cass.crim., 31.10.17, n°16-83683

  • Rappel des faits

Dans l’affaire en question, un salarié, agent de maintenance, a été victime d’un accident du travail mortel après avoir été heurté violemment au front par une pièce d’une machine qu’il tentait de remettre en marche. Une expertise, diligentée par le procureur de la République, a constaté un dysfonctionnement du système de freinage de ladite machine, due à un défaut de lubrification. Le rapport de l’inspecteur du travail indique que de défaut de lubrification était imputable à une information insuffisante des opérateurs sur les règles de maintenance de la machine en cause.

L’entreprise a été poursuivie pour homicide involontaire et déclarée coupable des faits par les juges du premier degré. Mais, après avoir fait appel, l’entreprise a été relaxée par la cour d’appel.

 

  • La décision de la cour d’appel

 Tout d’abord, la cour d’appel relève que le dysfonctionnement ayant conduit à l’accident du travail était lié à un défaut de maintenance ancien et habituel et que par conséquent, la faute à l’origine de l’accident était bien établie.

Elle ajoute que, même si aucune délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité n’avait été établie, la faute n’était pas le fait d’un organe ou représentant de la société. Elle justifie cela en expliquant que le dirigeant de la société n’avait commis personnellement aucune faute en lien avec l’accident dès lors que celui travaillait au siège social de l’entreprise et n’intervenait pas sur le site de l’accident.

 

  • Quelle responsabilité pénale pour le représentant légal d’une personne morale ?

Saisie, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a dû rechercher si la responsabilité du dirigeant pouvait être retenue alors même que celui-ci ne travaillait pas sur l’établissement dans lequel s’est produit l’accident.

 

Une responsabilité de principe

Au visa des articles 121-2 et 121-3 du Code pénal, la Cour de cassation rappelle que les personnes morales sont pénalement responsables des infractions lorsque celles-ci sont commises pour leur compte par leurs organes ou leurs représentants.

Elle ajoute que lorsque la matérialité d’une infraction non intentionnelle est constatée et découle soit d’une mise en danger délibérée d’autrui ou d’une faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, les juges doivent rechercher qui des organes ou représentants de la personne morale est responsable de la faute à l’origine du dommage.

Elle énonce ensuite qu’est responsable le « représentant légal qui omet de veiller lui-même à la stricte et constante mise en œuvre des dispositions édictées par le code du travail et les règlements pris pour son application en vue d'assurer la sécurité des travailleurs ».

 

Sauf délégation de pouvoir

La Cour précise néanmoins que la responsabilité du représentant légal de la personne morale peut être écartée en cas de délégation de pouvoir à un préposé.

Pour que la délégation soit retenue, la Cour ajoute que le représentant doit  apporter « la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires au respect des dispositions en vigueur ».

En l’espèce, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel : elle explique que cette dernière aurait dû rechercher si les carences dans la conception et l’organisation des règles de maintenance ne découlaient pas, en l’absence de délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité, d’une faute d’un organe de la société, faute constitué notamment par la violation des prescriptions des articles R4322-1 et R4323-1 du Code du travail.

Elle retient également que la cour d’appel s’est appuyée, pour rendre sa décision, sur des considérations inopérantes. Ces considérations semblent renvoyer au fait que le dirigeant ne travaillait pas sur l’établissement de l’accident.

 

L’article R.4322-1 prévoit que les équipements de travail et moyens de protection sont maintenus en état de conformité avec les règles techniques de conception et de construction applicables lors de leur mise en service dans l'établissement. L’article R.4323-1 prévoit quant à lui que l'employeur informe de manière appropriée les travailleurs chargés de l'utilisation ou de la maintenance des équipements de travail.

 

  • Une application stricte des règles relatives à la responsabilité pénale des personnes morales en réponse à l’exigence de sécurité des salariés

La Cour de cassation applique ici de manière stricte les règles relatives à la responsabilité pénale des personnes morales, notamment en matière de règles relatives à la sécurité : sans délégation de pouvoir valable, pas d’exonération de responsabilité possible ! Peu importe que le représentant légal ne travaille pas sur le site de l’accident, peu importe qu’il n’ait pas contribué directement à la commission de l’infraction, peu importe encore que celui-ci n’ait été en mesure de veiller au respect des règles de sécurité. Les entreprises doivent, par l’intermédiaire de leur représentant, veiller au respect des règles de sécurité et au fait qu'à défaut, en cas d’accident, leur responsabilité puisse être engagée. Aux entreprises de faire en sorte qu’en pratique, ces règles soient respectées.

Ici, la Cour de cassation ne retient pas, fort heureusement, l’argument selon lequel le représentant ne travaillait pas sur l’établissement, lieu de l’accident, mais au siège social de l’entreprise. En effet, nombreuses sont les situations dans lesquelles une entreprise est divisée en de multiples établissements, ou encore intervient sur de multiples chantiers. De fait, le représentant légal ne peut être présent sur l’ensemble de ces lieux. Dans de telles situations, l’entreprise doit malgré tout faire en sorte que les règles de sécurité soient observées, ceci par exemple en procédant à des délégations de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, le préposé étant alors chargé et responsable du respect de ces règles.  Si elle ne le fait pas, le risque est grand pour les salariés, comme les faits l’ont montré ici. Si elle ne le fait, elle prend tout simplement le risque d’être condamnée pénalement en cas d’accident grave.