Défenseurs syndicaux : le champ d’intervention n’est plus strictement limité

Publié le 16/03/2020

Depuis les ordonnances Macron de 2017, le champ d’intervention géographique du défenseur syndical était strictement limité. Ce dernier ne pouvait défendre les salariés que devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel de sa région, quand bien même le dossier se poursuivait en appel dans une région différente de celle en première instance.

Le champ d’intervention n’est désormais plus strictement limité. Cela fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par la Cour de cassation en décembre dernier. Le Conseil Constitutionnel reconnait que le défenseur doit pourvoir suivre le dossier (défendu en 1ère instance) devant une cour d’appel située dans une région administrative autre que la sienne (et ce, y compris en cas de renvoi après cassation). Décision n° 2019-831 QPC du 12 mars 2020.

C’est enfin chose faite ! Le Conseil constitutionnel permet de rétablir l’exception, prévue antérieurement aux ordonnances dites Macron de 2017, permettant au défenseur syndical de continuer à défendre son dossier en appel lorsque la cour d’appel se situe dans une autre région. Il va même plus loin en précisant que cette exception s’applique également en cas de renvoi après cassation.

Pour le rappel du contexte et de la problématique, voir l’article suivant. 

  • Une QPC transmise au Conseil constitutionnel

 Dans l’affaire qui a conduit à cette QPC, la défense a soulevé l’irrecevabilité de l’appel formé devant la cour d’appel de Rennes, au motif que le défenseur syndical qui représentait le salarié n’avait pas capacité pour le faire. Il n’était inscrit que sur la liste des défenseurs syndicaux établie par arrêté du préfet de la région Pays de la Loire. Une QPC a alors été posée par la défense.

La Cour de cassation a accepté de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel sur la conformité au principe d’égalité (1) des dispositions de l’article L.1453-4 alinéa 3, qui limitent l’intervention du défenseur syndical au « périmètre d’une région administrative ».

« La différence (…) quant aux règles d’assistance et de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel statuant en matière prud’homale entre les justiciables selon que ceux-ci recourent à un avocat ou à un défenseur syndical, seul le périmètre d’intervention géographique du second étant restreint à une région administrative, est susceptible de ne pas être justifiée et de causer un déséquilibre entre les droits des justiciables selon que ces derniers sont assistés ou représentés par un avocat ou par un défenseur syndical » pour les hauts magistrats, pour qui la question est d'importance.

  • La disposition est constitutionnelle…

Le Conseil constitutionnel reconnaît la limitation du périmètre d’intervention pour le défenseur syndical à sa région administrative comme constitutionnelle.

Il considère que « tous les justiciables ont la même faculté d’être représentés devant le conseil de prud’hommes, entre autres, par un avocat ou par un défenseur syndical inscrit sur la liste de la région dans laquelle est située cette juridiction. Le « seul fait, lors de l’exercice de cette faculté, d’être contraint de choisir un défenseur syndical compétent dans le territoire de la région ne crée aucune distinction entre les justiciables ».  En outre, « ces dispositions n’établissent, en elles-mêmes, aucune différence, devant le conseil de prud’hommes, dans les règles de procédure ou les droits des parties selon qu’elles sont représentées par un défenseur syndical ou par un avocat ».

Pour finir, « en limitant la compétence du défenseur syndical au territoire d’une seule région, les dispositions contestées ne portent atteinte ni à l’organisation ou au fonctionnement des syndicats ni, en tout état de cause, à la faculté des syndicats d’assister et de représenter les parties devant les juridictions du travail". Le grief tiré de la méconnaissance de la liberté syndicale « doit donc être écarté ».

  • … sous réserve pour le défenseur de pouvoir suivre le dossier en appel 

Toutefois, le Conseil constitutionnel considère que lorsque le défenseur a suivi le dossier en première instance, il doit pouvoir poursuivre à hauteur d’appel, peu importe le changement de région (y compris en cas de renvoi après cassation). Dans le cas contraire, il y a atteinte au principe d’égalité devant la justice.

« Toutefois, les dispositions contestées pourraient avoir pour effet que, dans le cas où une cour d'appel n'est pas située dans la même région que le conseil de prud'hommes, le justiciable représenté par un défenseur syndical soit contraint d'en changer lorsque l'affaire est portée devant la cour d'appel, y compris en cas de renvoi après cassation, à la différence d'un justiciable représenté en première instance par un avocat. Cette différence de traitement ne trouve de justification ni dans les contraintes résultant du financement public du défenseur syndical, ni dans la spécificité du statut des défenseurs syndicaux, ni dans aucun autre motif. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la justice, priver la partie ayant choisi de se faire assister par un défenseur syndical devant le conseil de prud'hommes de continuer à être représentée, dans tous les cas, par ce même défenseur devant la cour d'appel compétente ».

  • Cette réserve est applicable immédiatement 

La décision du Conseil constitutionnel se suffit à elle-même pour être applicable.

Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait une modification législative.

Par ailleurs, ne s’agissant pas d’une abrogation avec (le plus souvent) un effet différé, cette interprétation est immédiatement applicable à toutes les instances en cours.

Autrement dit, désormais, un défenseur syndical qui a défendu un justiciable en première instance, aura la possibilité de poursuivre sa défense en appel quelle que soit la région dans laquelle s’exercera cet appel.

Le texte législatif applicable jusqu’ici (art. L.1453-4, al.3), ne pourra plus être opposé lorsque le défenseur en appel est celui qui a défendu le salarié en première instance, y compris sur renvoi après cassation.

La CFDT ne peut que se réjouir de cette décision. Depuis fin 2017, elle avait en effet alerté la DGT sans relâche sur les lourdes conséquences d’une telle limitation.

 

 

 

 

(1) Plus précisément, les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, art. 1 de la Constitution de 1958 et alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946.

TÉLÉCHARGEMENT DE FICHIERS