Elections professionnelles : le CSE n’a définitivement plus voix au chapitre lors du licenciement d’un candidat

  • Protection des représentants

Il fut un temps où la loi prévoyait expressément que tout candidat aux élections du comité d’entreprise (CE) ne pouvait être licencié sans que, dans un 1e temps, ledit comité ait pu librement s’exprimer sur le bien-fondé d’un tel projet. Puis, après avoir longuement vacillée, cette disposition protectrice a fini par s'éteindre. Véritable chronique d’une mort annoncée, cette « abrogation » au long court, aussi improbable qu'ambigüe, a connu son dénouement ultime, il y a quelques jours de cela par le biais d'un avis rendu par la plus haute juridiction administrative du pays. Conseil d’Etat, 4e et 1e chambres réunies, décision n° 498924 du 16.05.25, requête n° 25-289 bis, mentionné dans les tables du Recueil Lebon   

 

 

Flou artistique. Jusqu’à ce que le Conseil d’Etat rende son avis, le vendredi 16 mai 2025, la réponse à la question de savoir si le CSE devait être consulté « pour avis » lorsque le licenciement d’un candidat aux élections CSE était envisagé ne connaissait pas, en droit, de réponse tout à fait stabilisée. Et c’est d’ailleurs cette incertitude qui a conduit la cour administrative d’appel de Nancy, dans un contentieux pendant, à se tourner vers le Conseil d’Etat afin de solliciter son éclairage.

 

Un problème de droit pas franchement apparent

A première vue, difficile de comprendre en quoi il y avait là une difficulté juridique majeure !

En effet, le seul texte actuellement en vigueur qui prévoit l’organisation d’une telle consultation, c’est l’article L. 2421-3 du Code du travail qui, lui-même, trouve place au sein d’une sous-section qui ne vise que 3 catégories de salariés protégés : les membres de la délégation du personnel du CSE en fonction d’une part, les représentants de proximité en fonction d’autre part. Et, par extension, les représentants syndicaux au CSE (RSCSE) en fonction. Aucune trace dans cette courte énumération, ni de celles et ceux qui ne sont pas encore membres de la délégation du personnel au CSE -les candidats et les candidats imminents-, ni de celles et ceux qui l’ont été mais qui ne le sont plus.

Mieux encore, à propos des candidats aux élections CSE, l’article L. 2411-7 du Code du travail se contente de préciser que « l’autorisation de licenciement est requise pendant 6 mois » sans, à aucun moment, faire état d’une quelconque obligation de consultation du CSE.

Alors, au fond, c’était quoi le problème ?

Si la loi actuelle ne prévoit pas de consultation du CSE dans le cadre de la procédure de licenciement applicable aux candidats aux élections CSE, c’est bien que ce droit n’existe pas ou qu’il n’existe plus !

Rien de plus simple, ni de plus évident…

Voilà pour la surface des choses.

 

Un droit des candidats et du comité apparemment débranché depuis 2008

Mais que constate-t-on lorsque l’on creuse un peu plus avant le sujet ?

D’abord qu’à une époque donnée, ce droit a bel et bien existé, s’agissant des candidats aux élections CE mais aussi, pendant un temps donné des ex-représentants au CE ayant exercé un minimum de temps [1]. L’idée bien comprise était alors de permette au CE de donner son avis sur le projet de licenciement susceptible d’affecter l’un de ses membres, actuel, futur ou ancien.

Ensuite, bien plus intéressant encore, si ce droit a de longue date disparu du Code du travail, notamment en ce qui concerne les candidats aux élections CE, ce fût, disons-le, dans un contexte aussi trouble qu’incertain : celui attenant à la recodification du Code du travail mise en œuvre le 1e mai 2008.

Trouble et incertain ? Mais pourquoi donc ? Parce que, conformément à ce que son nom laissait présager, « sauf dispositions expresses contraires », une telle recodification aurait dû se faire « à droit constant » [2]. Celle-ci n’avait en effet pour objet que de réorganiser et de réarchitecturer le corpus du Code du travail alors existant, dans le seul but de le rendre davantage lisible et accessible aux citoyens. Et qu’il était en principe hors de question que ces travaux permettent également au gouvernement et au législateur d’alors de court-circuiter, ni vu, ni connu, tel ou tel droit existant.

Or, en l’occurrence, c’est précisément ce qui s’est passé !

Car il est ici clairement établi que, d’une part, la consultation « pour avis » du CE dans le cadre de la procédure de licenciement touchant le salarié qui candidate aux élections CE était expressément prévue par la loi avant qu’il y ait recodification du Code du travail et que, d’autre part, aucune « disposition expresse » n’était, à cette époque, venue permettre d’officialiser l’effacement d’une telle consultation.

En conséquence et aussi étonnant que cela puisse paraître, bien que ne figurant plus dans les entrelacs du Code du travail depuis belle lurette, l’obligation patronale de consulter le CE « pour avis » lorsqu’un projet de licenciement d’un candidat aux élections CE se faisait jour était toujours active ! Ce qui ne manquait pas d’interroger sur la lisibilité du droit puisque, techniquement parlant, une telle approche conduisait, ni plus ni moins, à considérer une consultation ne figurant plus expressément dans les textes comme étant, malgré tout, opposable aux employeurs. Situation d’autant plus bancale que cette consultation était, en fait, une « formalité substantielle » puisqu’il était admis en jurisprudence que « l’autorisation de licenciement ne pouvait être accordée que si le comité avait été mis à même d’émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui n’étaient pas susceptibles d’avoir faussé sa consultation » [3].

Ainsi le droit du travail entretint-il la survie d’un droit devenu -de manière bien   implicite. Sans jamais que personne ne songe à réparer l’ « erreur » originelle de 2008 en reformalisant correctement le droit applicable.

Ainsi les choses allèrent-elles durant presque 10 années, de 2008 à 2017.

Un droit des candidats et du comité vraiment débranché depuis 2017

Comme nous le savons tous, pour le droit de la représentation du personnel, l’année 2017 fût celle du big bang ! Les historiques instances représentatives du personnel -comités d’entreprise mais aussi comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, délégués du personnel et autres délégations uniques du personnel- furent contraintes de céder le pas à une instance en apparence unique : le comité social et économique (CSE).

Et les rédacteurs des ordonnances d’alors, plus enclins à réduire la voilure des droits des représentants du personnel qu’à en garantir la pérennité, furent encore moins tentés que leurs prédécesseurs de réintroduire dans notre droit positif cette obligation de consultation du comité restée flottante depuis si longtemps !! Et la loi de ratification des ordonnances qui vit le jour l’année suivante ne se préoccupa pas davantage de la question [4]...

Aussi la problématique demeurait-elle pleine et entière, avec même une dose de complexité supplémentaire : l’obligation de consultation en cas de licenciement envisagé d’un candidat aux élections CE qui était demeurée juridiquement active malgré sa non-reprise dans les textes de 2008 l’était-elle toujours à l’heure du CSE, bien que les textes s’y référant ne la visait pas davantage ?

Bref, cette obligation de consultation qui avait survécu à la recodification du Code du travail -malgré le silence coupable des textes de l’époque- avait-elle également survécu à la disparition du CE et à la survenance du CSE ?  

Voilà la question technique à laquelle le Conseil d’Etat a eu à répondre le 16 mai dernier.

Comme un mauvais présage, pour le rapporteur public, la réponse apportée fut négative. Puisque à l’en croire, une telle survie n’est possible que « tant que la règle réputée avoir été codifiée à droit constant n’est pas substantiellement modifiée ». Or, le passage de CE à CSE devait, en tant que tel, être considéré comme une substantielle modification.

Et le Conseil d’Etat de lui emboiter le pas en considérant que, d’une part, « aucune des dispositions du Code du travail ne prévoit désormais que le licenciement envisagé par l’employeur » des candidats aux élections CSE « requiert la consultation de ce comité » et que, d’autre part, l’article R. 2421-8 du Code du travail -issu du décret du 29 décembre 2017[5]- énonce que « l’entretien préalable au licenciement a lieu avant la consultation du CSE en application de l’article L. 2421-3 », article de loi qui, encore une fois, ne vise que les élus CSE en fonction, les représentant de proximité en fonction et, plus accessoirement, les représentants syndicaux au CSE (RSCSE) en fonction.

Une solution qui interroge sur la loyauté dans l’évolution du droit

Ainsi, la messe est-elle dite : l’obligation de consulter le comité pour les candidats aux élections CSE pris dans un process de licenciement doit, une bonne fois pour toute, être considérée comme relevant d’un passé révolu. Il n’en reste pas moins que la position du Conseil d’Etat n’est pas exsangue de critiques. Puisque via une approche purement littéraliste du droit, elle vient en quelque sorte donner un blanc-seing à l’incurie d’un recodificateur qui, en 2008, n’avait pas hésité à outrepasser son cadre d’intervention en élaguant indument un certain nombre de droits existants. Et qu’il y a là comme une ratification à rebours, par la plus haute juridiction administrative, de pratiques pour le moins déloyales dans la construction du droit. Ce qui ne saurait être considéré comme satisfaisant.


 

[1] Art. L. 436-1 ancien C. trav.

[2] Cass. soc., 27.01.10, n° 08-44.376

[3] CE, 04.07.18, n° 397059 A et 410904 B.

[4] Loi n° 2018-217 du 29.03.18.

[5] Décret n° 2017-1819 du 29.12.17.

 

 

Décision n° 498924 - Conseil d'État

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