Salaires minimaux adéquats : la CJUE confirme l’essentiel de la directive, une victoire pour l’Europe sociale !

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Après plusieurs mois d’attente, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a enfin tranché : elle rejette le recours introduit par le Danemark -soutenu par la Suède- visant à annuler la directive sur les salaires minimaux adéquats. Seules deux dispositions ont été annulées. Pour le reste, l’essentiel de la directive demeure en vigueur : elle promeut la négociation collective, renforce le rôle des partenaires sociaux et oblige les Etats à s’assurer du caractère adéquat des salaires minimums. Même partielle, cette décision constitue une victoire majeure pour les travailleurs européens. CJUE, 11.11.25, aff. C-19/23.

Rappel du contexte

En 2023, le gouvernement danois, soutenu par la Suède, a introduit un recours devant la CJUE pour contester la directive sur les salaires minimaux adéquats, adoptée en octobre 2022. Celle-ci était alors en pleine période de transposition [1]. Selon ces Etats, la directive a outrepassé ses compétences et portait atteinte à la répartition des compétences entre le droit de l’UE et les Etats membres prévue par le Traité de fonctionnement de l’UE (TFUE). 

Que prévoit ce traité ? 

Le TFUE dresse la liste des domaines dans lesquels l’Union peut intervenir, c’est-à-dire là où elle peut soutenir et compléter l’action des Etats membres : l’amélioration du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité, les conditions de travail, la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et employeurs, etc [2].

Puis le TFUE énumère les domaines dans lesquels, l’Union n’a, au contraire, pas le droit de légiférer. Il s’agit des rémunérations, du droit d’association, de grève et de lock-out. Ces domaines exclus du champ de compétence de l’UE relèvent donc par principe du droit national de chaque Etat membre de l’Union[3].

Or, pour le Danemark, la directive comportait une ingérence directe dans 2 de ces domaines pourtant exclus : la détermination de la rémunération au sein de l’UE et le droit d’association. D’où le recours en annulation de la directive.

Mais que prévoit la directive sur les salaires minimaux adéquats ?

La directive vise à tirer vers le haut les rémunérations minimales dans l’UE, en veillant à ce qu’elles assurent un niveau de vie décent et digne aux travailleurs. 

Pour cela, elle s’appuie sur 3 piliers majeurs :  

-Assurer à tous les travailleurs européens un salaire minimum légal adéquat, dans les pays qui en disposent, via une évaluation régulière fondée sur des critères définis ;

-Renforcer le rôle des partenaires sociaux dans la fixation et la révision des salaires minimaux légaux ;

-Promouvoir la négociation collective sur les salaires. Avec l’obligation pour les Etats dont le taux de couverture des conventions collectives est inférieur à 80%, d’établir un plan d’action, en lien avec les partenaires sociaux, afin de promouvoir cette négociation collective.

  • Une directive largement confirmée par la Cour de justice de l’UE

La CJUE rappelle d’abord que le simple fait qu’un domaine soit exclu des compétences de l’Union – comme la détermination des rémunérations- ne veut pas dire que toute mesure qui présente un lien plus ou moins étroit avec cette matière ou qui a des incidences ou répercussions sur celle-ci, échappe automatiquement au législateur européen.

Admettre le contraire empêcherait d’ailleurs le droit de l’Union d’exercer certaines des compétences qui lui sont pourtant attribuées pour soutenir et compléter l’action des Etats, comme en matière de conditions de travail…[4].

En revanche, la CJUE pose une limite : le droit de l’UE ne peut pas opérer d’ingérence directe dans ces domaines. Et cela aurait par exemple été le cas si la directive avait eu pour objet d’harmoniser, en tout ou partie, les éléments constitutifs du salaire ou leur niveau dans tous les Etats membres, ou encore, d’instaurer un salaire minimal commun au niveau de l’Union.

Ce qui n’était évidemment pas le cas ici. C’est pourquoi la CJUE a validé la directive tout en examinant une à une les principales dispositions critiquées par le Danemark et la Suède, afin de vérifier si elles dépassaient cette ligne rouge.

  • La directive encourage la négociation collective et impose un plan d’action lorsque la couverture conventionnelle est inférieure à 80% ?[5]

La CJUE y voit bien là une forme d’intervention étatique dans les modalités de négociation collective en vue de la fixation des salaires, mais il ne s’agit pas d’une ingérence directe du droit de l’UE dans la détermination des rémunérations ! La directive ne prescrit pas le résultat des négociations, ni un taux de couverture impératif de 80%. Elle demande seulement aux Etats concernés de mettre en place un cadre favorable à la tenue de négociations collectives.

  • La directive impose aux Etats membres disposant d’un salaire minimum légal (SML; comme le Smic en France), d’établir des procédures de fixation et d’actualisation de ces salaire fondées sur des critères d’adéquation ? [6]

Là encore, la CJUE estime qu’il n’y a aucune ingérence directe.  La directive ne dicte ni la méthode de fixation du salaire minimum, elle laisse aux Etats la liberté de définir le caractère « adéquat » des salaires minimum. Cette obligation ne concerne d’ailleurs que les pays dotés d’un salaire minimum légal.

La Cour de justice ne voit pas davantage d’atteinte au droit d’association ni à l’autonomie des partenaires sociaux[7]. Lorsque la directive encourage les négociations collectives, elle n’oblige pas les Etats à imposer l’adhésion d’un plus grand nombre de travailleurs à une organisation syndicale, ni à rendre automatiquement applicables les conventions collectives à l’égard de tous.

Si la Cour de justice rejette le recours en annulation (intégrale) de la directive formé par le Danemark, elle identifie toutefois deux dispositions constituant une ingérence directe dans la détermination de la rémunération. Ces dispositions visant spécifiquement les Etats dotés d’un salaire minimum légal.

L’exclusion des critères à prendre en compte pour déterminer les SML (art. 5§2)

Ce que prévoyait la directive : pour garantir le caractère adéquat des SML, les Etats membres devaient obligatoirement tenir compte de 4 critères lors de la fixation et de l’actualisation de ces salaires : le pouvoir d’achat des salaires minimaux légaux, compte tenu du coût de la vie ; le niveau général et la répartition des salaires ; le taux de croissance des salaires ; les niveaux et évolutions de la productivité nationale à long terme [8].

Pour la CJUE, cette exigence constitue une ingérence directe dans la détermination de la rémunération : en prescrivant les éléments devant entrer dans la composition du salaire minimum légal, elle a une incidence directe sur son niveau. La directive introduit une forme d’harmonisation, même partielle, des éléments constitutifs des SML. La CJUE annule la liste des critères.

Pour la CFDT :

Si cette exclusion est regrettable, la CJUE n’a pas remis en cause l’essentiel : les Etats membres restent tenus de faire reposer leurs procédures de détermination des SML sur des critères clairement définis et conçus pour garantir leur caractère adéquat (art. 5§1). La directive maintient également la possibilité de s’appuyer sur des valeurs de référence indicatives telles que 50 % du salaire moyen et 60 % du salaire médian (art.5 §4), pour apprécier ce qu’est un seuil assurant un niveau de vie décent. Ces éléments restent donc des outils essentiels pour guider la fixation d'un salaire minimum légal adéquat et garantir que les salaires minimums protègent les travailleurs contre la pauvreté au travail. 

De son côté, pour remédier à la suppression de cette disposition et orienter les Etats membres dans la mise en place de salaires minimums légaux adéquats, la Confédération européenne des syndicats (la CES) invite la Commission européenne à formuler des recommandations assorties de critères éventuels[9].

L’exclusion de la clause de non-régression (art. 5 §3, in fine)

Ce que prévoyait la directive : elle interdisait qu’un mécanisme automatique d’indexation des salaires minimaux légaux puisse conduire à une baisse du salaire minimum.  

Pour la CJUE, il s’agit là d’une clause de non-régression du niveau des salaires. En fixant une limite stricte à la manière dont les Etats ajustent leur salaire minimum, la directive opère une ingérence directe du droit de l’UE dans la détermination des rémunérations. Elle annule cette interdiction.

Pour la CFDT :

Si cette exclusion est, là aussi, regrettable, il reste que l’article 16 rappelle expressément que la directive n’est pas une justification valable pour une régression du niveau général de protection déjà accordé aux travailleurs dans les Etats membres (notamment en ce qui concerne l’abaissement ou la suppression des salaires minima) et qu’elle n’empêche absolument pas les Etats membres d’adopter des dispositions plus favorables aux travailleurs.

 La CFDT salue la décision de la CJUE

La décision de la CJUE constitue une avancée majeure et structurante pour les travailleurs européens. Elle confirme non seulement les principales dispositions relatives à la fixation des salaires minimaux légaux, mais souligne également l’importance de la négociation collective et le rôle essentiel des partenaires sociaux dans ce processus. 

Bien que partiellement satisfaisante, cette décision a également le mérite de clarifier la répartition des compétences entre Etats membres et droit de l’UE : si une directive ne peut fixer un montant de salaire minimum, elle peut néanmoins peser indirectement dans le processus de détermination des rémunérations.

Alors oui, l’Union européenne a toute compétence et légitimité à agir pour améliorer les conditions de vie et de travail, conformément aux objectifs de progrès social inscrits dans les traités de l’Union européenne[10]

Quel est l’impact pour la France ?

L’arrêt de la CJUE n’a pas de conséquences directes et ne remet pas en cause notre mécanisme de fixation du Smic. En revanche, l’Etat français a déjà engagé la transposition de la directive, en imposant, au moins tous les 4 ans, une évaluation du montant du Smic sur la base de valeurs de référence indicatives [11].

Pour la CFDT, cette transposition reste malheureusement insuffisante au regard des exigences de la directive. Elle devrait être l’occasion de renforcer réellement l’implication des partenaires sociaux dans la fixation et la revalorisation du Smic, en amont de toute décision de l’Etat.

 


 

[1] Entrée en vigueur le 15 novembre 2022, les Etats membres devaient transposer la directive au plus tard le 15 novembre 2024 (art.17, Directive n°2022/2041 du 19.10.2022 relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne).

[2] Traité de fonctionnement de l’UE (art. 153, §1).

[3] TFUE, art. 153, §5.

[4] TFUE, art. 153, §1, sous b). Voir communiqué de presse de la CJUE.

[5] Art. 4 de la directive : sur la promotion des négociations collectives en vue de la fixation des salaires.

[6] Art. 5, § 1 et 3 de la directive : sur la procédure de fixation des salaires minimaux légaux adéquats.

[7] Critiques visant l’article 4, §1 d) et article 4 §2.

[8] Art. 5§2 de la directive : Ces critères doivent contribuer au caractère adéquat de ces salaires, dans le but « d’atteindre un niveau de vie décent, de diminuer la pauvreté au travail, ainsi eu de promouvoir la cohésion sociale et la convergence sociale vers le haut et de réduire l’écart de rémunération entres les femmes et les hommes ».

[9] Résolution de la CES adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 19 et 20 novembre 2025 « Promouvoir la négociation collective et l’adéquation des salaires minimums dans l’UE après l’arrêt de la CJUE sur la directive AMWD ».

[10] Communiqué de presse de la CFDT du 13 novembre 2025.

[11] Nouvel article D.3132-2-2 du Code du travail transposant les paragraphes 4 et 5 de l’article 5 de la directive : « Tous les quatre ans au moins, le ministre chargé du travail transmet à la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle une évaluation du montant du salaire minimum de croissance réalisée au regard des valeurs de référence suivantes :

-60 % du salaire mensuel net médian en équivalent temps plein des salariés ;

-50 % du salaire mensuel net moyen en équivalent temps plein des salariés.

Cette évaluation peut être prise en compte pour l'application des articles L. 3231-10 et L. 3423-3. »

 

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