
CES (Anglais)
PDF — 1.04Mo
Adoptée le 19 octobre 2022, la directive relative à des salaires minimum adéquats dans l’Union européenne est entrée en vigueur depuis le 25 octobre 2022. Cependant, le gouvernement Danois, soutenu par la Suède, a décidé de contester la directive devant la Cour de justice. Dans ses conclusions, présentées le 14 janvier 2025, l’avocat général a demandé l’annulation de tout ou partie de la directive… La Cour de Justice devrait rendre sa décision au début du mois de mai. CJUE, Aff.C-19/23.
Avant tout, il est important de souligner ce que la directive ne prévoit pas. Elle n’impose ni un salaire minimum unique à l’ensemble des Etats membres (ce qui serait d’ailleurs contraire aux traités), ni l’obligation, pour ceux qui n’en disposent pas, d’en instaurer un.
L’objectif de la directive tend à favoriser la convergence à la hausse des rémunérations minimales dans l’UE en veillant à ce que celles-ci assurent un niveau de vie décent et digne aux travailleurs. Plus concrètement, la directive repose sur 3 piliers essentiels :
- Assurer à tous les salariés européens un salaire minimum légal adéquat, avec une évaluation régulière de son caractère suffisant selon des critères définis ;
- Associer les partenaires sociaux dans le processus de fixation et de mise à jour des salaires minimaux légaux ;
- Promouvoir la négociation collective sur les salaires et soutenir le rôle des partenaires sociaux. Ainsi, dans les Etats où le taux de couverture des conventions collectives est inférieur à 80%, la directive oblige à établir un plan d’action, en lien avec les partenaires sociaux, en vue de promouvoir cette négociation collective.
Si, en France, le système actuel nécessite quelques évolutions pour répondre pleinement aux attentes de la directive, il demeure globalement conforme aux exigences de la directive .
La CFDT a porté devant le gouvernement la nécessité d’impliquer davantage les partenaires sociaux dans le processus de fixation du smic, renforcer la négociation collective, notamment la négociation salariale de branche, etc.
Dans d’autres pays, en revanche, l’adoption de la directive suscite des inquiétudes quant à l’avenir de leur modèle social. C’est notamment le cas du Danemark et de la Suède, où la règlementation du marché du travail repose quasi exclusivement sur la négociation collective sans intervention de l’Etat.
C’est ainsi qu’en 2023, le Danemark a déposé un recours devant la CJUE afin de contester la directive. Dans ses conclusions, l'avocat général de la Cour de Luxembourg a conclu à l’annulation totale ou partielle de la directive, estimant qu'elle contrevient au traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE), lequel exclut la "rémunération" de la compétence du législateur européen . Il considère également que la directive porte atteinte à l'autonomie des partenaires sociaux.
En réponse, la Confédération européenne des syndicats (CES) a élaboré un contre-avis, en lien avec son équipe juridique et les membres du réseau d’experts juridiques des syndicats (ETUCLEX). Ce document vise à rejeter l’ensemble des arguments juridiques avancés dans les conclusions et demander à la Cour de justice, de confirmer la validité de la directive dans son intégralité.
La directive a été adoptée sur la base de l’article 153 §1, b) du TFUE qui vise « les conditions de travail ». Or, la CJUE reconnait de longue date que la rémunération constitue un élément essentiel et intégral des conditions de travail.
La directive n’a d’ailleurs pas pour objet de fixer la rémunération minimale précise des Etats membres. La CES reproche à l’avocat général de s’être fondé sur une conception trop large de la notion de rémunération, en considérant que même les exigences générales et imprécises de la directive concernant le cadre de fixation des salaires constituent une interférence directe avec l’exclusion de la « rémunération » du champ des compétences sociales de l’UE.
De plus l’UE a bien adopté par le passé des textes ayant une incidence plus ou moins directe sur la rémunération (ex : la directive sur les travailleuses enceintes qui garantit une rémunération adéquate pendant le congé de maternité, la directive sur le temps de travail qui garantit des congés annuels payés, etc.)
Enfin, le respect de l’autonomie des partenaires sociaux s’accompagne de l’obligation de ne pas interférer dans leur liberté contractuelle mais son corolaire est aussi l’obligation de protéger et promouvoir cette autonomie.
Les reculs actuels, tant sur les ambitions en matière de transposition en droit interne des avancées permises par l’UE – la notion de surtransposition étant maintenant bien installée dans le débat public- qu’au regard des nouvelles règles qui seront prochainement adoptées au niveau européen (concernant le devoir de vigilance, et les indicateurs en vue de mieux piloter la transition écologique) sont très inquiétants.
Dans un tel contexte, et au-delà du fait que l’annulation de la directive réduirait à néant les avancées sociales qu’elle apporte, l’initiative du Danemark nous semble d’autant plus déterminante pour l’avenir des compétences de l’UE en matière sociale.