Discrimination syndicale : quelle possibilité d’invoquer des faits amnistiés?
La Cour de cassation admet qu’un employeur puisse se référer à des faits qui ont motivé une sanction disciplinaire, même si une loi d'amnistie est intervenue entre temps, dès lors que c'est « strictement nécessaire » à l’exercice de ses droits à la défense devant la justice. Cass.soc. 04.06.14, n°12-28.740.

- Cadre légal de la disrimination syndicale
L'affaire qui nous intéresse ici traite de discrimination dans la carrière d'un représentant du personnel.
Pour rappel, il y a discrimination dans l’évolution de carrière d’un représentant du personnel quand il apparaît que le salarié a connu une progression moindre que les autres salariés, non justifiée par des éléments objectifs.
La charge de la preuve repose sur les deux parties :
- Le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.
- L’employeur, quant à lui, doit prouver que cette différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs, c’est-à-dire sans lien avec l’appartenance ou l’activité syndicale du salarié.
L’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination syndicale se prescrit par 5 ans, à compter de la révélation de la discrimination. Lorsque le salarié réclame des dommages et intérêts destinés à réparer l’entier préjudice, il est tenu compte de toute la durée de la discrimination (1). Ce qui est souvent le cas quand la différence de traitement porte sur l’évolution professionnelle et de la rémunération du salarié.
- Les faits
Trois représentants du personnel ont intenté une action en discrimination syndicale en raison de retards de carrière et de rémunérations qui, pour certains d’entre eux, n’avaient pas évolué depuis 1990.
Dans un 1er arrêt, le juge d’appel n’ayant pas suffisamment d’éléments pour reconnaître la discrimination, a ordonné une expertise afin de comparer le taux d’augmentation de salaire des représentants avec celui d’autres salariés de même situation. Le juge n'est remonté que sur la période postérieure au 17 mai 2002, compte tenu de la dernière loi d’amnistie du 6 août 2002 annulant toutes les sanctions avant cette date.
Estimant que l’employeur ne pouvait pas faire référence à des sanctions disciplinaires amnistiées pour justifier de manière objective une différence de traitement, la cour d’appel a également refusé aux salariés de se prévaloir, sur cette même période, d’une discrimination.
Il était de tradition (jusqu'en 2002) à chaque élection présidentielle que le chef de l’Etat nouvellement élu fasse adopter une loi d’amnistie. Un de ses effets, en matière de droit du travail, réside dans l’annulation de toutes les sanctions disciplinaires prononcées contre des salariés pour des faits fautifs commis avant la loi d’amnistie. A l’exception toutefois des sanctions liées à des fautes pénalement sanctionnées, comme le harcèlement moral ou sexuel. L’employeur aura donc l’interdiction d’invoquer ces sanctions à l’avenir.
Dans un second arrêt, la cour d’appel a reconnu l’existence d’une discrimination syndicale pour la période postérieure à la loi d’amnistie et a régularisé les coefficients des salariés concernés.
L’employeur a formé un pourvoi contre cette décision et les salariés ont formé un pourvoi incident pour que soit prise en compte la période antérieure à la loi d’amnistie.
- Précisions de la Cour de cassation
La haute Cour a estimé que la cour d’appel ne pouvait pas arbitrairement limiter la période d’investigation en excluant les périodes couvertes par la loi d’amnistie.
Dans son arrêt du 4 juin 2014, elle dispose que les dispositions de la loi d’amnistie « n’ont pas, par elles-mêmes, pour objet d’interdire à un employeur qu’il soit fait référence devant une juridiction à des faits qui ont motivé une sanction disciplinaire amnistiée, dès lors que cela est strictement nécessaire à l’exercice devant la juridiction de ses droits à la défense ».
- Portée de cet arrêt
Dans un arrêt du 21 décembre 2006 (2), la Cour de cassation avait déjà apporté un tempérament aux effets de l’amnistie, en faveur du salarié cette fois.
La solution de la Cour de cassation peut avoir un effet pervers, car d’un côté elle permet au salarié de faire reconnaître une discrimination syndicale sur l’ensemble de sa carrière (périodes d’amnistie incluses). Mais elle autorise aussi l’employeur, si cela est indispensable à sa défense, à faire référence à des faits amnistiés, s’ils lui permettent de justifier une différence de traitement.
Il faut noter que cette faculté ouverte à l’employeur reste malgré tout très encadrée, car elle suppose qu’il ne soit fait référence à ces faits que devant une juridiction, dans le cadre de ses droits à la défense et uniquement si cela est strictement nécessaire.
(1) C. trav., Art. L. 1134-5, al. 3
(2) Cass., avis, 21 décembre 2006 n°06-00014 : « L’amnistie de sanctions disciplinaires ou professionnelles dont bénéficie un salarié ne peut avoir pour effet de l’empêcher d’invoquer ces sanctions au soutien d’une demande tendant à établir qu’il a été victime de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale ».