Représentativité : comment apprécier l’audience électorale d’un syndicat catégoriel ?

  • Règles de négociation collective

Lorsque des organisations syndicales (OS) représentatives n’ont pas recueilli plus de 50% des suffrages exprimés lors des dernières élections CSE, l’accord d’entreprise qu’elles ont négocié et signé n’est pas valable. A moins qu’une ou plusieurs de ces OS, ayant recueilli plus de 30% des suffrages exprimés, ne demandent l’approbation de cet accord par les salariés. Mais comment calculer ce seuil de 30% lorsque parmi ces OS, se trouvent un syndicat représentatif catégoriel, tel que la CFE-CGC. C’est à cette question que répond ici la Cour de cassation. Cass.soc.22.01.25, n°23-21936.

Les faits

En février 2023, des élections professionnelles sont organisées au sein de la société Codirep. A cette occasion, les suffrages exprimés se sont répartis de la manière suivante :

-          51,29 % pour la CFDT ;

-          17,36 % pour la CGT ;

-          23,79 % pour la CFTC ;

-          7,56 % pour la CFE-CGC, sachant que celle-ci avait obtenu 51,65% des suffrages exprimés sur le seul collège cadre.

2 mois plus tard, un accord portant sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur au sein de l’entreprise est signé entre la société et la CFTC, la CGT et la CFE-CGC. La CFDT, syndicat majoritaire, refuse de signer.

Les conditions de validité d’un accord d’entreprise

Or, pour être valable, un accord doit en principe être signé par des organisations syndicales représentatives (OSR) ayant recueilli plus de 50% des suffrages exprimés au 1er tour des élections des titulaires au CSE.  C’est du moins ce que prévoit l’alinéa 1 de l’article L.2232-12 du Code du travail. Or, dans notre affaire, les comptes ne sont pas bons puisque les 3 OS signataires réunies n’atteignent que 48 ,71 % des suffrages…

Mais, peu importe, puisque l’alinéa 2 du même article prévoit une session de rattrapage pour les accords dont les signataires n’atteignent pas cette audience d’au moins 50% (qu’on appelle aussi des « accords minoritaires »). Dans ce cas, une ou plusieurs des OS signataires peuvent demander une validation de l’accord via une consultation des salariés. Cette demande n’étant possible qu’à la condition qu’elles aient, ensemble, recueilli plus de 30% des suffrages.

 

C’est précisément ce qu’il s’est passé ici : les OS signataires n’ont certes pas atteint le seuil de 50%, en revanche, la CFTC et la CFE-CGC, dépassent celui de 30% (plus précisément, 31,35 % des suffrages), leur permettant ainsi de soumettre l’accord à l’approbation des salariés. Et c’est chose faite : en juin 2023, 66% des salariés approuvent l’accord d’entreprise.

Précisions sur les modalités de la consultation des salariés

Lorsque la condition des 50% n’est pas remplie, une ou plusieurs des OS qui ont recueilli au moins 30% des suffrages exprimés, disposent d’1 mois à compter de la signature de l’accord pour indiquer qu’elles souhaitent une consultation des salariés afin de valider cet accord. Au terme de ce mois, l’employeur peut demander l’organisation de cette consultation si l’ensemble de ces OS ne s’y opposent pas.

Si, au bout de 8 jours à compter de cette demande (émanant d’une ou plusieurs OS ou de l’employeur), les conditions ne sont toujours pas remplies, la consultation doit être organisée dans un délai de 2 mois.

-          L’accord est valide s’il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés,

-          Dans le cas contraire, l’accord est réputé non-écrit.

La CFDT conteste pourtant la validité de cet accord. Elle saisit le tribunal judiciaire et lui demande d’annuler la consultation des salariés et de juger que l’accord est réputé non écrit.

Son raisonnement est simple :

-          Selon elle, la CFE-CGC n’est pas représentative au niveau de l’entreprise. Elle se fonde sur l’article L.2122-1 du Code du travail selon lequel sont représentatives les OS qui satisfont à certains critères [1] et qui ont recueilli au moins 10% des suffrages exprimés au 1er tour des élections des titulaires au CSE, quel que soit le nombre de votants. Or, lors de ces dernières élections, la CFE-CGC a obtenu moins de 10% d’audience électorale tous collèges confondus (soit 7,56%).

-          Et parce que la CFE-CGC n’est pas représentative au niveau de l’entreprise, la part de ses suffrages n’aurait pas dû être prise en compte pour apprécier le seuil de 30% permettant la consultation des salariés. En conséquence, la CFTC seule avec ses 23,79% n’était pas en mesure de demander cette consultation…consultation qui doit donc être annulée.

Pourtant, les juges du fond déboutent la CFDT et valident l’accord. La CFDT se pourvoit alors en cassation.

La question étant de savoir comment apprécier la représentativité et la part d’audience d’un syndicat catégoriel, lorsque ce dernier demande, avec d’autres syndicats intercatégoriels, à faire valider un accord d’entreprise par les salariés ?

Une représentativité appréciée au niveau de son seul collège

La Cour de cassation va confirmer la décision des juges du fond. Et elle répond en plusieurs temps :

Oui, la CFE-CGC est bien représentative au sein de l’entreprise

La CFE-CGC ayant obtenu 51,65% des suffrages exprimés au sein du collège cadre, elle a bien atteint le seuil de 10% au sein de ce collège. Elle est donc bien représentative au sein de la Société.

Le "privilège" de la CFE-CGC : 

La Cour de cassation rappelle que, selon le Code du travail, dans l'entreprise ou l'établissement, les organisations syndicales catégorielles affiliées à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale qui satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au 1er tour des dernières élections des titulaires au CSE dans ces collèges, quel que soit le nombre de votants, sont représentatives à l'égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels leurs règles statutaires leur donnent vocation à présenter des candidats [2].

La CFE-CGC peut conclure, avec d’autres OSR intercatégorielles, un accord d’entreprise intéressant l’ensemble des salariés

La Cour de cassation rappelle qu’un syndicat catégoriel peut tout à fait négocier et signer avec des syndicats représentatifs intercatégoriels, un accord d’entreprise qui va intéresser l’ensemble du personnel (et donc dépasser le cadre restreint des salariés qu’il a statutairement vocation à représenter, ici les cadres) et ce, sans avoir à établir sa représentativité au sein de toutes les catégories de personnel.

Il faut alors tenir compte de sa part d’audience tout collège confondu pour apprécier les conditions de validité de l’accord.

Après avoir relevé que le syndicat catégoriel est bien représentatif au sein de l’entreprise, reste à savoir quelle est la part de son audience qui doit être prise en compte pour calculer le seuil de 30% requis pour demander une consultation des salariés. La Cour de cassation rappelle que c’est son audience électorale rapportée à l’ensemble des collèges électoraux, qui doit alors être prise en compte pour apprécier les conditions de validité d’un accord (qu’il s’agisse des 50% ou des 30% requis pour initier une consultation des salariés)[3].

Dans notre affaire, la CFE-CGC a recueilli 7,56% des suffrages au niveau de l’entreprise, tout collège confondu, et la CFTC, 23,79%, soit 31,35% au total. Le seuil de 30% des suffrages exprimés requis a donc bien été dépassé. De sorte que ces 2 organisations syndicales pouvaient parfaitement à elles seules demander une consultation des salariés visant à valider l’accord.

Peu importe donc qu’un syndicat catégoriel n’ait pas obtenu 10% des suffrages exprimés lors du 1er tour des élections au niveau de l’entreprise, c’est-à-dire tout collège confondu. Ce qui compte est qu’il ait atteint ce seuil dans son collège lui permettant ensuite de cumuler ses suffrages avec les autres syndicats représentatifs signataires pour atteindre la barre des 30% permettant d’initier la consultation des salariés.


 

[1] Critères fixés par l’article L.2121-1 du Code du travail.

[2] Art. L.2122-2 C.trav.

[3] Cass.soc.31.05.11, n°10-14391.

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.soc.22.01.25, n 23-19384

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