Le point sur : les accords de performance collective
Créé par les ordonnances de 2017, l’accord de performance collective (APC), dont le régime est inscrit à l’article L2254-2 du Code du travail, est un accord collectif un peu particulier par rapport aux autres accords et conventions (accord d’entreprise, convention collective de branche…). En effet, ses dispositions peuvent s’appliquer en dépit des clauses contraires et plus favorables du contrat de travail.
Si le salarié est en droit de refuser l’application de l’accord, il risque néanmoins un licenciement sur un « motif spécifique ». Dans quelles conditions l’employeur peut-il invoquer ce motif spécifique ?
Question d'actualité à laquelle la Cour de cassation a répondu le 10 septembre 2025 en réaffirmant le pouvoir des juges d'apprécier la justification du licenciement. Dans la foulée, la cour d'appel de Versailles a récemment appliqué la solution dégagée au licenciement d'un salarié résultant de son refus de se voir appliquer les dispositions salariales de l'accord de performance collective conclu pendant la crise sanitaire.
Nous revenons ici sur les principaux éléments du régime de ces accords et sur ses effets en termes de droits des salariés.
Raison d’être et champ des APC
-Finalités des APC : préservation ou développement de l’emploi, voire réponse aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise. L’APC a pour finalité, voire pour raison d’être, de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou de préserver ou de développer l’emploi. C’est pourquoi l’accord doit comporter un préambule qui définit ses objectifs.
-L’APC ne peut avoir pour objet la suppression de postes. En cohérence avec l’objet de ces accords, les juges ont pu décider que « un accord de performance collective ne peut avoir pour objet ou pour effet de supprimer des postes » (Cour d’appel de Nancy, 6 février 2023, n°21/03031). En effet, si les APC peuvent in fine conduire à des licenciements, ils ne doivent pas se substituer à des PSE et permettre à l’employeur de contourner le droit du licenciement pour motif économique, qui est d’ordre public.
-L’APC peut primer sur les clauses contraires du contrat de travail dans les domaines suivants :
- aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;
- aménager la rémunération dans le respect des salaires minima hiérarchiques applicables ;
- déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
-Par ailleurs, l’accord peut préciser :
- les modalités d’information des salariés sur son application et son suivi pendant toute sa durée, ainsi que, le cas échéant, l’examen de la situation des salariés au terme de l’accord ;
- les conditions dans lesquelles les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l’accord, les mandataires sociaux et les actionnaires fournissent des efforts proportionnés à ceux des salariés ;
- les modalités de conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle des salariés ;
- les modalités d’accompagnement des salariés ainsi que l’abondement du compte personnel de formation au-delà du montant minimal réglementaire.
-Dispositif de forfait annuel. Lorsque l’APC met en place un forfait annuel, il doit être accepté par le salarié. En cas de refus, l’employeur ne pourra pas utiliser ce motif pour justifier un licenciement sur le « motif spécifique » tiré du refus d’application de l’APC. Lorsque l’APC modifie un forfait annuel, l’employeur peut mobiliser le régime juridique de l’APC et se fonder sur le refus d’application de l’accord par le salarié pour prononcer un licenciement sur un « motif spécifique » (sur ce motif, v. ci-dessous).
Négociation et validité des APC
-Niveaux de négociation. Dans le silence de la loi, les APC peuvent a priori être conclus au niveau de l’entreprise, de l’établissement ou du groupe. Toutefois, si un APC est conclu à un autre niveau que celui de l’entreprise, il sera sans doute plus délicat de dégager des objectifs justifiant la conclusion d’un accord au niveau du groupe ou encore à celui de l’établissement.
-Règles de conclusion et de validité des accords. Les conditions de négociation et de conclusion de ces accords sont celles relatives à la conclusion d’accords collectifs de droit commun. Elles varient selon que l’entreprise est, ou non, pourvue d’un délégué syndical et/ou d’un CSE.
Dans les entreprises pourvues d’un délégué syndical, l’accord doit être conclu d’une part par « l’employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants » (1).
-Dans les entreprises d’au moins 50 salariés. Le CSE peut mandater un expert-comptable afin qu’il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer la négociation relative à l’APC. Malheureusement, le Code du travail ne prévoit que le droit de recourir à l’expertise, mais pas ses modalités de financement (2).
Dans tous les cas, la CFDT encourage vivement les syndicats à négocier la prise en charge des frais d’expertises.
-Les conditions de négociation dans les entreprises de moins de 50 salariés. Dans ces entreprises, il est tout à fait possible de conclure des APC. Toutefois, les juges considèrent qu'"au regard des enjeux considérables s'agissant des salariés", la négociation d’un tel accord doit être appréciée en s’assurant du respect scrupuleux des règles de négociation prévues par l’article L.2232-29 du Code du travail, à savoir en particulier la conclusion d’un accord de méthode et la concertation avec les salariés (3).
Effet de l’APC : le contrat de travail (temporairement) écarté
Par exception à la règle de faveur toujours applicable au rapport entre contrat de travail et accord collectif (4), aux termes de l’article L2254-2 du Code du travail, les stipulations de l’APC se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail. Ainsi, dans les domaines définis par la loi, le contenu de l’APC s’impose au salarié même s’il est moins favorable que son contrat de travail.
-Obligation d’information et de recueil du consentement des salariés. L’employeur doit informer les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l’existence et du contenu de l’accord, ainsi que du droit de chacun d’eux d’accepter ou de refuser l’application à son contrat de cet accord.
Les APC peuvent en effet prévoir des clauses contraires aux contrats des salariés dans certains domaines (mobilité professionnelle et géographique, rémunération, aménagement du temps de travail). L’employeur doit alors recueillir le consentement des salariés à la modification de leur contrat en application de l’accord.
Le Code du travail ne précise pas si la substitution est définitive. Si, à notre connaissance, aucune décision de justice ne répond à ce jour à cette question, pour la CFDT, il serait opportun d’interdire la conclusion d’APC à durée indéterminée, ce qui aurait pour mérite de régler la question, puisque les clauses d’un accord collectif ne s’incorporent en principe pas au contrat de travail !
-Droit au refus du salarié et risque d’un licenciement. Le salarié dispose d’un délai d’1 mois pour faire connaitre son refus par écrit à l’employeur. Ce délai court à compter de son information par l’employeur.
Le salarié est donc en droit de refuser l’application de ces clauses contraires à son contrat de travail, et, s’il refuse, il n’est pas fautif. Toutefois, un régime spécifique de licenciement a été prévu pour donner plein effet à ces accords ; on parle de « licenciement pour un motif spécifique ». En effet, ce motif « constitue » selon le Code une cause réelle et sérieuse. Voyons ce que cela signifie, pour la Cour de cassation.
L’invocation du motif « spécifique » doit avoir lieu dans les délais
-Un délai de 2 mois pour invoquer le motif spécifique. A compter de la notification du refus du salarié, l’employeur dispose d’un délai de 2 mois pour engager une procédure de licenciement. Le licenciement repose alors sur un motif spécifique. Ainsi, le refus du salarié du salarié d’accepter la modification de son contrat de travail par un APC constitue un motif sui generis de licenciement, c’est-à-dire que ce n’est ni un licenciement pour motif économique au sens du droit français, ni un licenciement pour motif personnel.

Bon à savoir !
Les dispositions de l’article L2254-2, V, du Code du travail prévoient qu’en cas de refus par un salarié de l’application des clauses de l’APC, « L'employeur dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement. Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. »
Les juges ont décidé qu’à défaut de respecter ce délai, l’employeur ne peut se fonder sur ce motif pour licencier le salarié (5).
Le contrôle du juge sur la justification du licenciement réaffirmé
-La réaffirmation du contrôle du juge prud’homal. Comme le Code du travail prévoit que le motif spécifique tiré du refus d’application de l’APC « constitue » une cause réelle et sérieuse, beaucoup ont donc douté que le juge ait voix au chapitre sur la justification de ces licenciements.
Et pourtant, par une décision du 10 septembre 2025, la Haute juridiction tranche a décidé qu’en application des dispositions relatives aux accords de performance collective et de la Convention OIT n°158, le juge prud’homal doit contrôler la justification d’un licenciement fondé sur le refus de l’application de l’accord (6).
Plus récemment, la cour d'appel de Versailles a fait une application de ce principe en décidant qu'était dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement d'un salarié ayant refusé l'application des dispositions salariales de l'APC. En effet, pour les magistrats, les raisons ayant justifié la conclusion de l'APC n'étaient pas démontrées (7).
-L’étendue du contrôle opéré par le juge. Pour la Cour de cassation, le juge doit opérer un double contrôle. Il doit d’abord vérifier que l’accord collectif est bien conforme aux dispositions du Code du travail régissant les APC. Cela implique en particulier que le Préambule de l’accord mentionne les nécessités de fonctionnement ou les objectifs de préservation ou de développement de l’emploi justifiant de sa conclusion. Mais ce n’est pas tout ! Le juge doit également contrôler la justification du licenciement au regard de l’existence des nécessités de fonctionnement de l’entreprise.
Autrement dit, les juges ne sauraient s’arrêter au constat de la mention d’un objectif conforme aux dispositions de l’article L2254-2 du Code du travail, ils doivent en outre vérifier l’existence des nécessités ou des objectifs en termes d’emploi.
En outre, la Haute juridiction a réaffirmé le caractère « autonome » du motif spécifique à l’égard du droit du licenciement pour motif économique. Le juge n’a donc pas à contrôler la justification économique du licenciement (difficultés, sauvegarde de la compétitivité etc.), mais simplement à contrôler la réalité « matérielle », l’existence, des objectifs posés en préambule de l’APC, qu’il s’agisse de nécessités de fonctionnement ou d’objectifs de préservation ou de développement de l’emploi.
Le licenciement de salariés protégés pour un motif spécifique
-Le motif spécifique ne doit pas se substituer au motif économique. Pour les juges administratifs, si le Code du travail prévoit un régime de licenciement pour « un motif spécifique » en cas de refus d’application d’une clause d’un APC, les dispositions de l’article L.1233-3 du Code du travail prévoient l’application du droit du licenciement pour motif économique lorsque le refus de la modification du contrat de travail par le salarié résulte d’une cause économique.
S’inspirant de la jurisprudence judiciaire, la cour administrative d’appel de Versailles a pu décider que tel était le cas lorsque l’APC a eu pour objet ou pour effet de supprimer des emplois. En conséquence, ils ont annulé l’autorisation de licencier (8).
Aux termes de l’article L1233-3 du Code du travail, le droit du licenciement pour motif économique s’applique non seulement au licenciement mais aussi à la modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutive notamment à : des difficultés économiques ; des mutations technologiques ; une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; la cessation d'activité de l'entreprise.
-Le droit du licenciement pour inaptitude prévaut sur le motif spécifique. En cas de demande d’autorisation de licencier le salarié à la suite de son refus de la modification de son contrat résultant de l’application de l’accord, le Conseil d’Etat a décidé que l’inspection du travail « ne peut légalement faire droit à une telle demande si à la date à laquelle il se prononce, le salarié a fait l'objet d'un avis d'inaptitude émis par le médecin du travail, son licenciement, en un tel cas, ne pouvant en principe avoir d'autre fondement que l'inaptitude et étant, par suite, régi par les dispositions des articles L. 1226-10 du code du travail et suivants. » (9)

Des garanties supplémentaires en cas de licenciement pour inaptitude
Le licenciement du salarié en raison d’une inaptitude d’origine professionnelle est entouré de davantage de garanties que celui reposant sur un « motif spécifique » en cas de refus d’application des clauses d’un APC. En particulier, l’employeur ne peut licencier qu’après avoir recherché le reclassement du salarié au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe (articles L1226-10 à L1226-12 du Code du travail).
(1) Art. L2232-12 C.trav.
(2) Art. L2315-80 et L2315-92, II C.trav.
(3) CA Nancy, 6 février 2023, n°21/03031.
(4) Art. L2254-1 C.trav.
(5) CA Toulouse, 23 juin 2023, n°21/01577.
(6) Cass.soc.10.09.25, n° 23-23231.
(7) CA Versailles, 2.10.25, n°23/03110.
(8) Cour administrative d’appel de Versailles, 20.03.2025.
(9) Conseil d’Etat, 4.04.2025, n°471490.