Harcèlement : de simples soupçons ne justifient pas une rupture immédiate

  • Harcèlement / VSST

La Cour de cassation juge que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures en vue de prévenir ou de faire cesser une situation de harcèlement moral n’implique pas, en elle-même, la rupture immédiate du contrat de travail du salarié suspecté. Cass.soc, 22.10.2014, n°13-18862.

  • L’affaire

En l’espèce, une salariée est licenciée pour faute grave en raison d’un management autoritaire et d’une attitude agressive à l’égard des salariés placés sous sa subordination.

Elle décide de saisir les tribunaux afin de contester le bien-fondé de son licenciement. La salariée obtient gain de cause devant la cour d’appel qui retient que l’existence de la faute grave n’est pas démontrée, tout en validant le licenciement pour faute.

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation. Selon lui, son obligation de prévenir tout fait de harcèlement dans l’entreprise, lui imposait de tirer sans délai les conséquences face au comportement du salarié, en mettant fin immédiatement à son contrat de travail.

La Cour de cassation a donc dû répondre à la question suivante : l’obligation de prévention du harcèlement à la charge de l’employeur implique-t-elle la rupture immédiate du contrat ?

La Haute Cour juge que non, pas nécessairement. Elle rappelle sa jurisprudence sur les méthodes managériales. Puis, elle affirme, que l’obligation de prévention n’implique pas nécessairement la rupture immédiate du contrat du salarié responsable d’une gestion autoritaire et inappropriée. Elle retient toutefois que cette gestion puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.  

  • Méthodes managériales : dans quelles conditions peuvent-elles constituer un harcèlement moral ?

Pour la Cour de cassation, les méthodes managériales ne peuvent caractériser un harcèlement moral que "si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

Cela n’était pas le cas en l’espèce. 

  • Obligation de prévention : elle ne justifie pas systématiquement un licenciement pour faute grave 

La Cour de cassation retient que « l’obligation faite à l’employeur de prendre toute les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement moral n’implique pas par elle-même la rupture immédiate du contrat de travail d’un salarié à l’origine d’une situation susceptible de dégénérer en harcèlement moral ».

Ainsi, selon la Haute Cour, lorsqu’un employeur suspecte un harcèlement moral ou bien lorsqu’il craint qu’une situation ne dégénère, son obligation de prévention ne lui permet pas de justifier un licenciement pour faute grave du salarié concerné.

  • Gestion autoritaire et inappropriée : motif de licenciement

Après avoir évacué la reconnaissance du harcèlement moral, puis de la faute grave, la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi, termine néanmoins en validant le fait que "le grief de gestion autoritaire et inapproprié" puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, sans pour autant justifier la rupture immédiate.

  • Une incitation à la prudence dans la gestion de la prévention du harcèlement moral

Cet arrêt invite les employeurs à la prudence dans la gestion de la prévention du harcèlement.

En vertu de l’article L. 1152-4 du Code du travail, l'employeur doit prendre toutes "dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral». Il s'agit d'une obligation de sécurité de résultat (Cass.soc, 21 juin 2006, n°05-43914).

Quelles mesures peut-il alors prendre pour prévenir les agissements de harcèlement moral, tout en sachant que sa seule obligation de prévention ne justifie pas la rupture immédiate du contrat du salarié soupçonné ?

Le rejet de l’argument de l’employeur selon lequel la seule solution face à un comportement inapproprié d’un salarié serait son licenciement pour faute grave met en avant la nécessité d’utiliser d’autres solutions pour prévenir d’un harcèlement.

En l’espèce, l’employeur aurait pu, avant d’en arriver à une solution pour le moins radicale, utiliser les outils à sa disposition pour prévenir une situation de harcèlement : face à un comportement dénoncé par des salariés de son entreprise, ne pouvait-il pas plutôt interpeler le CHSCT, qui a un rôle fondamental en matière de prévention du harcèlement moral, ou encore le médecin du travail ? 

Cet arrêt ne remet pas en cause la jurisprudence selon laquelle le harcèlement moral peut constituer une faute grave dès lors que l’employeur est en mesure de démontrer que les conditions du harcèlement sont réunies (Cass.soc, 21 mai 2014, n°12-25315).

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