Non-concurrence : quel est le sort de la contrepartie financière en cas de clause nulle ?

  • Clauses du contrat de travail

Il faut savoir que la clause de non-concurrence n’est pas définie par la loi, mais qu’elle est encadrée par des décisions de justice. C’est donc la jurisprudence qui, au fil du temps, s’est attachée à en préciser les conditions de validité, mais aussi les conséquences qui résultent de son invalidité, de son application et/ou de son non-respect. Par cet arrêt, la Cour de cassation poursuit son travail et porte, cette fois, son attention sur le sort de la contrepartie financière lorsque la clause de non-concurrence est jugée nulle. Plus précisément, à quelles conditions l’employeur peut-il en demander la restitution au salarié ? Cass.soc.22.05.24, n°22-17036.

Après avoir travaillé 4 années en qualité de commercial pour la société Air France, le salarié démissionne. Il est alors lié par une clause de non-concurrence inscrite dans son contrat de travail. C'est précisément l’application de cette clause qui fait l’objet de notre arrêt.

Qu’est ce qu’une clause de non-concurrence ?

Une clause de non-concurrence vise à limiter la liberté du salarié d’exercer des fonctions équivalentes chez un concurrent de son employeur ou à son propre compte, après la rupture de son contrat de travail (et ce, quel que soit le motif de la rupture). Le plus souvent, cette clause est insérée dans le contrat de travail.

Cela dit, pour être valable, une clause de non-concurrence doit remplir certaines conditions cumulatives. Elle doit donc tout à la fois :
   - être indispensable à la protection des intérêts de l’entreprise ;
   - être limitée dans le temps et dans l’espace ;
   - tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié (être liée à une activité spécifiquement visée) ;
   - prévoir la contrepartie financière versée au salarié en cas d’application de la clause.

A défaut de remplir l’une de ces conditions, la clause n’est pas valable.

Dans notre affaire, l’employeur estime que le salarié n’a pas respecté sa clause de non-concurrence. Il saisit donc le conseil de prud’hommes afin de :

  • faire reconnaître cette violation,
  • et demander le remboursement de l’indemnité de non-concurrence qu’il a versé au salarié ainsi que des dommages-intérêts.

De son côté, le salarié demande l’annulation de cette clause qui, selon lui, n’était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise (et donc pas valable…).

Les juges d’appel donnent raison au salarié. Ils considèrent que les conditions de validité de la clause ne sont pas remplies, et qu’elle porte une atteinte excessive à la liberté de travailler du salarié. Ils jugent que la clause est nulle et que l’employeur n’était donc pas fondé à réclamer au salarié le remboursement de la contrepartie financière qu’il lui avait versé.

L’employeur se pourvoit en cassation. Il estime que ce n’est pas parce que la clause de non-concurrence est jugée nulle que les juges doivent écarter sa demande d’indemnisation. Selon lui, les juges d’appel auraient d'abord dû rechercher si le salarié avait respecté son engagement de non-concurrence sur la période litigieuse (c’est-à-dire avant qu’elle ne soit déclarée nulle par les juges). Et que dans l’hypothèse où le salarié n’avait pas respecté la clause, l’employeur pouvait obtenir la restitution des sommes versées au titre de la clause de non-concurrence.

La question posée étant de savoir si la nullité d’une clause de non-concurrence empêche, à elle-seule, l’employeur d’obtenir la restitution de la contrepartie financière qu’il a versé au salarié.

Tout dépend du respect ou non de la clause !

La Cour de cassation est d’accord avec la cour d’appel sur un point : la clause de non-concurrence est bien nulle. En revanche, elle ne l’approuve pas d’avoir rejeté la demande d’indemnisation faite par l’employeur.

Elle rappelle en effet que si un contrat nul ne peut produire aucun effet, les parties, au cas où il a été exécuté, doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient auparavant, compte tenu des prestations de chacune d’elles et de l’avantage qu’elles en ont tiré.

Pour la Cour de cassation, cette règle conduit donc à distinguer 2 situations en cas de nullité d’une clause de non-concurrence :

  • Soit le salarié a respecté la clause avant que celle-ci ne soit jugée nulle : auquel cas il peut prétendre au paiement d’une indemnité visant à réparer le fait de s’être vu imposé une clause nulle qui a porté atteinte à sa liberté de travailler. Et, l’employeur n’est pas fondé à demander la restitution des sommes qu’il a versées au titre de l’obligation qui a bien été respectée.
  • Soit le salarié n’a pas respecté la clause avant que celle-ci ne soit jugée nulle : l’employeur est alors fondé à demander le remboursement de la contrepartie financière indûment versée à compter de la date à laquelle la violation est établie. A l’inverse, le salarié ne peut pas conserver le bénéfice d’indemnités versées en contrepartie d’une obligation qu’il n’a pas respecté.

Pour les Hauts magistrats, avant d’écarter la demande d’indemnisation de l’employeur, les juges d’appel auraient donc dû rechercher si le salarié avait ou non violé la clause de non-concurrence. Et ce, pendant la période au cours de laquelle elle s’est effectivement appliquée avant que la nullité ne soit reconnue. La Cour de cassation renvoie l’affaire devant la cour d’appel sur ce point.

Charge de la preuve : Attention ! c’est à l’ancien employeur de prouver que le salarié a violé la clause de non-concurrence(1).

Une véritable contrepartie au respect de son obligation de non-concurrence par le salarié

La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser les règles entourant la contrepartie financière. Cette dernière ayant pour objet « d’indemniser le salarié tenu, après rupture du contrat de travail, d'une obligation limitant ses possibilités d'exercer un autre emploi(2) », elle est avant tout due au salarié qui respecte l’obligation de non-concurrence. A l’inverse, elle ne l’est pas dès lors que le salarié ne respecte pas l’interdiction de concurrence(3). Il peut néanmoins percevoir l’indemnité pour la période antérieure à la violation de la clause(4), c’est-à-dire pour la durée où il l’a respectée.

En revanche, la Cour de cassation est très ferme : dès lors que le salarié ne respecte plus sa clause de non-concurrence, il perd définitivement le bénéfice de la contrepartie financière pour l’avenir et ce, même si la violation de la clause n’a duré que très peu de temps ou si le salarié a ensuite cessé de la violer(5).

 

 

(1) Cass.soc.13.05.03, n°01-41646 ; Cass.coc.15.11.23, n°22-18632.

(2) Cass.soc.15.01.14, n°12-19472.

(3) Cass.soc.05.05.04, n°01-46261.

(4) Cass.soc.18.02.03, n°01-40194.

(5) Cass.soc.22.05.84, n°81-42915 ; Cass. Soc.31.03.93, n°88-43820 ; Cass.soc.24.01.24, n°22-20926.

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