Prise d’acte : procédure judiciaire accélérée... Attention à la précipitation!

  • Prise d'acte et résiliation judiciaire du contrat

Après une série de décisions  de la Cour de cassation imposant au salarié d’agir vite, afin que la prise d’acte puisse avoir les effets un licenciement sans cause réelle et sérieuse (et non d’une démission), c’est au tour de la loi d’imposer une certaine célérité, cette fois-ci aux conseils de prud’hommes, dans le traitement de ces contentieux. Loi du 01.07 14 n°2014-743.

  • Ce que prévoit la loi : une procédure judiciaire accélérée

La loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié a été adoptée par le Sénat début juillet.

Cette loi comporte un seul article: lorsque le conseil de prud’hommes est saisi de la question de savoir si la prise d’acte doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou en une démission (selon la gravité des faits reprochés à l’employeur), l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui doit statuer dans un délai d’un mois (nouvel article L1451-1 du Code du travail).

  • Les enjeux de la loi

En pratique, il est primordial pour les salariés ayant pris acte de la rupture de leurs contrats de travail de savoir rapidement le sort qui va être le leur et, en particulier, s’ils auront droit aux allocations de l’assurance chômage (qui n'est possible que pour les cas de perte involontaire d'emploi).

En effet, la prise d’acte de la rupture par le salarié n’est pas sans risque : si les faits qu’il reproche à l’employeur sont suffisamment graves, celle-ci aura les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui donnera donc droit, entre autres, à l’indemnisation par l’assurance chômage. En revanche, si d’aventure, les juges prud’homaux ne sont pas convaincus que les faits justifiaient la prise d’acte, celle-ci aura les effets d’une démission. Le salarié aura alors non seulement perdu son emploi, mais aussi son droit à l’allocation chômage.

Or, depuis quelques temps, la jurisprudence de la Cour de cassation tend à ne considérer comme justifiant la prise d’acte que les faits se rapprochant d’une « faute grave de l’employeur » en ce sens que ceux-ci doivent rendre impossible la poursuite du contrat de travail par le salarié et que celui-ci doit en conséquence réagir rapidement (1). L’appréciation des faits justifiant la prise d’acte est donc  de plus en plus restrictive et oblige le salarié à agir vite.

Autant d’éléments qui font de la prise d’acte une décision à haut risque. Les salariés ne devraient la prendre que lorsque le fait de rester dans l’entreprise dans l’attente d’une résiliation judiciaire de leurs contrats de travail (démarche plus prudente car tant que le juge ne l’a pas prononcée le salarié conserve son emploi) devient trop insupportable et que le manquement est d’une gravité telle (ex. absence totale de paiement du salaire) que le salarié ne peut attendre pour quitter l’entreprise et chercher un autre emploi.

C’est pourquoi, la loi du 1er juillet 2014, pour bien intentionnée qu’elle soit, n’est pas sans limites.

  • Les principaux dangers et les zones d’ombre de la loi

Cette loi part sans doute d’un bon sentiment: tenter de régler la situation des salariés vivant dans l’incertitude quant à leurs droits, à la suite de leur prise d’acte de la rupture, au plus vite. Si l’intention est louable, il n’est pas certain que cette nouvelle disposition n’ait pas quelque effet pervers.

Ainsi, il est singulier de prévoir une procédure prud'homale accélérée en cas de prise d’acte, tandis que rien n’existe en matière de résiliation judiciaire. De ce fait, les salariés pourraient être incités à choisir la voie de la prise d’acte, alors que celle-ci est beaucoup plus risquée pour eux.

Par ailleurs, il est pour le moins surprenant que le Code du travail en vienne à réglementer la procédure applicable à un mode de résiliation du contrat de travail qu’il ne prévoit, ni ne définit… A cet égard, une simple reprise de la jurisprudence prévoyant que la prise d'acte ait soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, lorsque les faits reprochés par le salarié la justifient, soit les effets d’une démission, dans le cas contraire, aurait été de bon aloi !

Sans compter qu’avant d’introduire de nouveaux délais de jugement, encore faudrait-il que les juridictions prud’homales soient en mesure de respecter ceux qui existent déjà.

La CFDT a fait valoir ces griefs tant devant le Sénat que devant l’Assemblée nationale, malheureusement sans succès (document annexé).

 

(1)    Cass.soc.26.03.14, P n°12-23634 et n°12-21372.

Ces articles peuvent également vous intéresser

  • Contentieux du licenciement : les témoins peuvent parfois avancer masqués

    Lire l'article
  • IA dans l’entreprise : le juge peut-il suspendre son utilisation si le CSE n’est pas consulté ?

    Lire l'article
  • L’admission des preuves illicites et déloyales : le point sur les dernières décisions

    Lire l'article