Temps de trajet : dans l'enceinte d’une entreprise, il peut constituer du temps de travail effectif
Dans un arrêt du 7 juin 2023, la Cour de cassation a considéré qu’un trajet de 15 minutes entre l’entrée du site d’une centrale nucléaire et les bureaux où se situe la pointeuse peut être considéré comme du temps de travail effectif dès lors que le salarié était soumis à un important protocole de sécurité, l'empêchant ainsi de s'adonner librement à ses occupations. Cette solution n’est pas nouvelle mais apporte une nouvelle illustration à la notion de temps de travail effectif. Cass.soc. 07.06.23, n°21-12.841.
Un temps de trajet au sein de l’entreprise non-rémunéré
Dans cette affaire, un salarié travaillant dans une centrale nucléaire est licencié. Il saisit le conseil de prud’hommes d’une demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires. Il considère en effet que les déplacements de 15 minutes qu’il effectuait entre l’entrée de l’enceinte du site et les bureaux, où se trouvait la pointeuse, devaient être considérés comme du temps de travail effectif, car il ne pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles.
Selon l’article L. 3121-1 du Code du travail, la durée que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
Ces temps de trajet au sein de l’entreprise se distinguent des temps de déplacement pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail de l’article L. 3121-4 du Code du travail. La loi dispose expressément que ces derniers ne constituent pas du temps de travail effectif.
L’existence de contraintes de sécurité
Pour appuyer sa demande, le salarié relève les fortes contraintes de sécurité pesant sur lui lors de ces temps de trajet, l’empêchant ainsi d’être libre de ses mouvements. Il était tenu notamment de :
- pointer au poste d’accès principal ;
- se soumettre à des contrôles ;
- respecter l’ensemble des consignes de sécurité ;
- respecter un protocole de sécurité ;
- respecter les consignes du règlement intérieur sous peine de sanction disciplinaire.
Le tout sur une durée de seulement 15 minutes.
La cour d’appel rejette cette argumentation. Elle retient tout d’abord à l’appui de cette solution que les règles de sécurité sont édictées par la société propriétaire du site et non pas par l’entreprise employeur. Elle estime en second lieu que le salarié n’était pas à la disposition de la société avant d’atteindre les pointeuses dans les bureaux. Selon les juges d’appel, il s’agit donc d’un temps de trajet ne pouvant être considéré comme du temps de travail effectif.
La reconnaissance d’un temps de travail effectif
La Cour de cassation rejette la solution d’appel et fait droit aux demandes du salarié en se fondant sur l’article L. 3121-1 du Code du travail précité.
Pour elle, le fait que le règlement intérieur soit imposé par le propriétaire du site ne change rien. La cour d’appel aurait dû regarder si « du fait des sujétions qui lui étaient imposées à peine de sanction disciplinaire, sur le parcours, dont la durée était estimée à quinze minutes, entre le poste de sécurité à l'entrée du site de la centrale nucléaire et les bureaux où se trouvaient les pointeuses, le salarié était à la disposition de l'employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles ».
Cet arrêt est bienvenu car il illustre bien la notion de temps de travail effectif et rappelle qu’un temps de trajet dans l’enceinte de l’entreprise peut tout à fait être qualifié comme tel, et ainsi donner lieu à rémunération. La solution n’est cependant pas nouvelle(1) mais dépend d’une appréciation des juges au cas par cas. C’est en fonction du niveau de contrainte pesant sur le salarié que la notion de temps de travail effectif pourra ou non être caractérisée.
(1)Cass.soc. 09.05.19, n°17-20.740, pour l’exemple d’un aéroport.