Barème prud’hommes : le débat judiciaire commence

Publié le 19/12/2018

Par un jugement en date du 13 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de Troyes décide que les barèmes prévus à l’article L. 1235-3 du Code du travail sont inconventionnels. Il y a un peu plus de 2 mois, le conseil de prud’hommes du Mans décidait du contraire. CPH de Troyes, 13.12.18

Le barème prud’hommes est-il conforme ou non aux textes internationaux (précisément à la Convention OIT n°158 et à l’article 24 de la Charte sociale européenne) ratifiés par la France ? Tel est le débat judiciaire, incontournable, qui s’amorce avec cette deuxième décision d’un conseil de prud’hommes qui y répond positivement. Décision qui accorde au salarié en question des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant dépassant ceux prévus par le fameux barème...

  • Deux jugements : deux réponses diamétralement opposées

Le conseil de prud’hommes du Mans de septembre 2018 posait deux conclusions.

- Tout d’abord, il a retenu le fait que seul l’article 10 de la convention OIT n°158 est d’application directe, et non pas l’article 24 de la Charte sociale européenne. Autrement dit, selon lui, les salariés ont la possibilité d’invoquer devant le juge le texte de l’OIT et de soulever la violation de ce texte par la réglementation nationale. Opérant son contrôle du fait de l’applicabilité directe qu’il retient, il a néanmoins décidé que l’article L. 1235-3 du Code du travail est bien conforme à la convention OIT.

- A l’opposé, le conseil de prud’hommes de Troyes a rappelé la jurisprudence relative à l’applicabilité des textes internationaux en droit interne. Il a souligné que « si le Conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des lois à la Constitution, le contrôle de conformité des lois par rapport aux conventions internationales appartient aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat ». Fort curieusement, après cette démonstration, le conseil de prud’hommes de Troyes ne se prononce pourtant pas de manière formelle sur l’applicabilité directe des deux textes internationaux précités...

La suite du jugement sous-entend néanmoins que les conseillers prud’hommes ont considéré que les deux textes internationaux pouvaient être invoqués devant eux. Ils opèrent en effet le contrôle de conventionalité pour retenir que le barème qui introduit « un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi », et par conséquent viole la Charte sociale européenne et la convention n°158 de l’OIT.

Les juges soulignent aussi que les barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaitent licencier un salarié en l’absence de motif de licenciement. Ils pointent aussi le fait que ces barèmes sécurisent d’avantage les fautifs que les victimes, et qu’ils sont de ce fait inéquitables.

  • Une conséquence immédiate pour le salarié : l’inapplicabilité du barème

En prononçant l’inconventionnalité du barème, le conseil de prud’hommes décide de fait que celui-ci n’a pas à s’appliquer. Il retrouve alors son entier pouvoir souverain d’appréciation du préjudice, tel qu’il existait avant l’entrée en vigueur de l’article L. 1235-3 du Code du travail.

Ayant considéré que la rupture du contrat de travail du salarié produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge se livre à l’inventaire des préjudices subis : rupture intervenue dans des conditions délétères, licenciement de son épouse le même jour, absence de ressources financières pour le couple, violation d’un engagement de maintenir le contrat de travail pendant 3 ans au minimum, malhonnêteté de l’employeur...

Là où avec le barème, le salarié n’aurait pu prétendre qu’à une indemnisation plafonnée à 6 mois de salaire, il obtient, au regard de son préjudice, une indemnisation équivalente à 9 mois de salaire.

  • Un essai à transformer

Cette deuxième décision ne peut qu’être saluée par la CFDT, qui s’est fermement opposée, de longue date, à l’introduction d’un tel plafonnement. C’est aussi le courage des conseillers prud’hommes présents dans le bureau de jugement qui mérite d’être souligné.

Cette première victoire ne doit toutefois pas occulter que s’amorce ici un long débat judicaire, passionnant et passionné, à n’en pas douter, devant les juridictions du fond, avec son lot de décisions opposées.

Ce sera in fine à la Cour de cassation de se prononcer. Si la CFDT ne peut que souhaiter une issue favorable aux salariés, elle reste néanmoins consciente que celle-ci est pour l’heure incertaine...