
Cass.soc.2.04.25 n°23-22190
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Soyons clairs : aucune prime d’ancienneté n’est prévue par le Code du travail. Et si elle est fréquemment instaurée dans les entreprises, c’est le plus souvent en application d’une convention collective. Son versement n’est donc jamais automatique ! Dans un arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation rappelle que, lorsque la convention subordonne cette prime à la perception d’un salaire réel, un salarié en arrêt non rémunéré, même pour accident du travail, peut en être privé. Cass.soc.2.04.25, n°23-22190.
Le salarié travaillait depuis 2007 pour une entreprise de logiciels lorsque, en mars 2018, il a été victime d’un accident du travail. Immédiatement placé en arrêt de travail, il y est resté jusqu’en avril 2020, date à laquelle il a finalement été licencié pour inaptitude. Soit plus de 2 ans plus tard…
Contestant la rupture de son contrat devant le conseil de prud’hommes, le salarié en a profité pour réclamer le paiement de la prime d’ancienneté dont il avait été privé durant ses 2 années d’absence.
Rien ! Aucune disposition légale ne prévoit l’obligation pour l’employeur de verser une prime d’ancienneté. Celle-ci peut être prévue par le contrat de travail ou un usage dans l’entreprise, mais le plus souvent, elle est mise en place par une convention ou un accord collectif, qui fixe alors ses propres conditions d’attribution et de versement.
Aussi, la question de savoir si un salarié a droit à sa prime d’ancienneté lorsqu’il est en arrêt pour maladie ou accident, dépend-elle directement de ces dispositions conventionnelles. Car une prime d'ancienneté peut, tout aussi bien, avoir été instaurée pour récompenser la fidélité des salariés à l’entreprise, auquel cas, les périodes d’absence n'auront pas d’impact sur le bénéfice de la prime, que leur assiduité, auquel cas, les périodes d’absence pourraient être prises en compte [1].
La convention collective des industries métallurgiques, applicable à l’entreprise, prévoit l’attribution d’une prime d’ancienneté qui s’ajoute au salaire réel de l’intéressé, calculée en fonction du minimum hiérarchique de l’emploi occupé, dont le montant varie avec l’horaire de travail et supporte, le cas échéant, les majorations pour heures supplémentaires [2].
La cour d’appel va pourtant rejeter la demande du salarié. Pour les juges du fond, les dispositions conventionnelles sont claires : le versement de la prime d’ancienneté est conditionné au versement d’un « salaire réel ». Or, dès lors que le salarié est en arrêt de travail non rémunéré, même en raison d’un accident du travail, il ne perçoit plus de « salaire réel ».
Lorsqu’il est en arrêt de travail pour maladie ou accident, le salarié qui en remplit les conditions, perçoit des indemnités journalières de la Sécurité sociale (IJSS) ainsi qu’une indemnité complémentaire de son employeur. Seulement, les sommes versées par la Sécurité sociale relèvent d’un régime d’indemnisation, et non d’une rémunération au sens strict. Seul un maintien de salaire par l’employeur peut être assimilé à un salaire et justifier, ici, le maintien du versement de la prime d’ancienneté.
Pour la cour d’appel, les sommes perçues par le salarié durant son arrêt de travail (certainement uniquement des IJSS) ne constituant pas une rémunération, elles n’ouvrent pas droit à la prime d’ancienneté. Le salarié ne peut donc pas y prétendre…
Le salarié a contesté la décision de la cour d’appel et avance deux principaux arguments.
1- Les juges ont fait une mauvaise interprétation de la convention collective. Selon lui, celle-ci ne subordonne le versement de la prime d’ancienneté ni à une condition de présence effective, ni à la perception d’un « salarié réel ». Elle se contente d’indiquer que la prime « s’ajoute au salaire réel », ce qui est, pour lui, différent. Il estime que si le salaire réel est remplacé par des indemnités journalières, la prime doit donc s’y ajouter. En tout état de cause, il n’est pas possible de déduire de cet accord que la prime peut être supprimée en cas d’absence pour accident du travail [3].
2- Refuser le versement de la prime d’ancienneté au motif qu’elle serait conditionnée à la perception d’un salaire réel, constituerait par ailleurs une discrimination fondée sur l’état de santé [4].
En bref, pour le salarié, la prime doit être maintenue pendant toute la durée de l’absence.
La Cour de cassation ne partage pas cette analyse et approuve la décision de la cour d’appel.
Elle rappelle que selon les dispositions conventionnelles, la prime d’ancienneté s’ajoute au salaire réel, varie en fonction de l’horaire de travail et supporte les majorations pour heures supplémentaires.
Elle précise que cela ne signifie pas que la prime peut être réduite ou supprimée en cas d’absence du salarié [5].
En revanche, si cette absence n’est pas rémunérée, le salarié ne peut prétendre au versement de la prime, même si l’absence résulte d’un accident du travail. Autrement dit, « il n’y a pas d’ajout possible à un salaire qui n’est pas dû ».
Le salarié n’ayant, en l’espèce, perçu aucune rémunération pendant sa période d’arrêt : il n’est pas en droit de réclamer la prime d’ancienneté.
En l’occurrence, ce n’est donc pas l’absence du salarié en elle-même, qui justifie la suppression de la prime, mais bien le fait que cette absence ne soit pas rémunérée. La rémunération de l’absence est donc déterminante. Il en aurait par exemple été autrement si le salarié avait bénéficié d’un maintien de salaire par l’employeur durant son absence. Quoi qu’il en soit, cette décision n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ne faisant que confirmer sa jurisprudence antérieure, rendue à propos de cette même convention collective [6].
Vous l’aurez compris, la manière dont sont rédigées les dispositions conventionnelles est donc d’une importance cruciale ! Si la convention avait prévu que le montant de la prime était déterminé en adéquation avec la durée du travail et supportait de ce fait les majorations pour heures supplémentaires, l’employeur aurait été contraint de verser la prime y compris durant les absences du salarié [7].
[1] Cass.soc.17.03.82, n°80-40167.
[2] Avenant « mensuels » du 2 mai 1979 à la CCR des industries métallurgiques (art.15).
[3]Cass.soc.8.09.21, n°20-10107.
[4] Art. L.1132-1 C.trav.
[5] Ce qu’elle a déjà eu l’occasion d’affirmer par le passé : Cass.soc.1er.02.12, n°10-20984.
[6] Cass.soc.6.12.17, n°16-17137.
[7] Cass.soc.8.09.21, n°20-10107.