AT/MP : La protection en cas de licenciement est-elle constitutionnelle ?

  • Accidents du travail et maladies professionnelles

Pendant un arrêt lié à un accident du travail ou une maladie professionnelle (AT/MP), le Code du travail accorde une protection spéciale contre la rupture du contrat au salarié en raison de sa vulnérabilité pendant cette période. Dans le cadre d’un litige devant la Cour de cassation, un employeur a contesté ce régime dérogatoire par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) l’estimant contraire à des principes constitutionnels. Cass.soc.12.03.25, n° 24-19.110.

Les faits et la procédure

Un salarié est convoqué à un entretien préalable à licenciement en mars 2018 puis est placé la semaine suivante en arrêt de travail pour maladie professionnelle par son médecin. L’entreprise décide de poursuivre la procédure pendant la suspension de son contrat et le licencie pour faute grave.

Devant la cour d'appel de Rennes, le salarié obtient la nullité de son licenciement. L’employeur se pourvoit en cassation et dépose dans le même temps une question prioritaire de constitutionnalité (1).  
L'objectif de l'employeur avec cette QPC est de déclarer contraires à la Constitution les dispositions interdisant à l'employeur, sauf exceptions, de rompre le contrat de travail d'un salarié dont le contrat est suspendu en raison d'un AT/MP. Pour lui, les dispositions en cause du Code du travail (2) doivent rester inappliquées dans ce litige en ce qu'elles contreviennent à la liberté d'entreprendre et au droit à un recours juridictionnel effectif. En ne prévoyant pas de mécanisme de recours, le législateur aurait fait preuve d'incompétence négative.

Qu’est ce que l’incompétence négative du législateur ? 

L’article 34 de la Constitution prévoit que « la loi détermine les principes fondamentaux : du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. »
Il en ressort deux conséquences pour le législateur : 
•    si la loi va au-delà des principes fondamentaux, elle empiète sur le domaine réglementaire (art 37 de la Constitution). On parle alors d’incompétence positive.  
•    si la loi ne définit pas les principes fondamentaux, le législateur est alors en deçà de sa compétence. On parle dans ce cas d’incompétence négative.

La protection contre le licenciement en cas d’ATMP

Le salarié bénéficie d’une protection qui limite les motifs permettant à l’employeur de rompre son contrat de travail. Cette protection est applicable tout au long de la relation de travail, de la conclusion du contrat jusqu’au préavis, et concerne les différents modes de rupture à l’initiative de l’employeur (rupture de la période d’essai, licenciement, mise à la retraite...). Elle est applicable dans les conditions suivantes.

La période de suspension 
 

La protection est limitée à la période de suspension du contrat de travail. Celle-ci débute avec l’arrêt de travail prescrit par le médecin traitant et prend fin immédiatement le jour de la reprise, pour les absences de moins de 30 jours liées à un accident du travail. En revanche, pour l’arrêt de travail causé par une maladie professionnelle ou pour une absence d’au moins 30 jours liée à un accident du travail, le contrat est suspendu jusqu’à l’organisation par l’employeur de la visite de reprise par le médecin du travail.

La caractérisation de l’origine professionnelle

L’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie est incontestable lorsque celle-ci a été reconnue par la caisse d’assurance maladie, mais retenir un tel critère serait préjudiciable au salarié au regard du délai d’instruction des demandes de reconnaissance et à la possibilité d’obtenir cette reconnaissance au terme d’un long parcours judiciaire.

C’est pourquoi, dans le silence de la loi, la Cour de cassation a retenu que la protection était applicable dès que l’employeur avait connaissance de la volonté du salarié de faire reconnaître le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie. Les juges du fond apprécient souverainement les critères démontrant cette connaissance par l’employeur. Cela se déduit de la déclaration d’accident du travail formulée auprès de l’employeur ou de la transmission de la déclaration de maladie professionnelle. La connaissance de l’origine professionnelle peut aussi se déduire des circonstances de l’accident dans la situation particulière où l’employeur ne peut l’ignorer, parce qu’il était présent lors de sa réalisation, et même à l’origine de celui-ci. C’est ce que les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, ont pu retenir dans une affaire où une salariée a eu de graves troubles après un choc émotionnel lors d’un entretien avec le directeur de l’entreprise lui annonçant la suppression de son poste pour motif économique (3).

L’origine professionnelle de la suspension doit être connue par l’employeur avant la rupture du contrat, c’est-à-dire, pour un licenciement, à la date de l’envoi de la lettre de licenciement. Quand bien même les critères vus précédemment seraient remplis, le salarié qui informe son employeur après la réception de la lettre de licenciement ne bénéficie pas de la protection.

Bon à savoir : 

En cas d’arrêt de travail d’origine non professionnelle, l’employeur conserve la faculté de rompre le contrat de travail à condition que le motif invoqué ou réel ne soit pas en lien avec l’état de santé, ce qui constituerait une discrimination.

Les exceptions
 

La rupture du contrat de travail est rendue possible par exception pendant la suspension du contrat, à condition que l’employeur invoque une faute grave ou une impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’ATMP.


La faute grave

Une première exception oblige l’employeur à se placer sur le terrain disciplinaire.
La faute grave peut avoir été commise avant la suspension du contrat, ou dans le même temps. Si l’employeur a débuté une procédure pour faute grave avant la suspension du contrat de travail, cette exception au principe de protection autorise l’employeur à notifier la rupture pendant cette période.
Elle peut également intervenir au cours de la suspension du contrat, mais alors nécessairement pour un motif lié à un manquement à l’obligation de loyauté, puisque le salarié a cessé par définition d’accomplir son travail.
 

L’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’ATMP

Cette seconde exception s’apprécie à la date de rupture du contrat (4) et permet à l’employeur de mettre fin au contrat pendant la période de suspension, à condition de justifier de circonstances indépendantes du comportement du salarié (5). Le plus souvent, il s’agit d’un motif économique, étant toutefois précisé que « l'existence d'un motif économique de licenciement ne caractérise pas, en lui-même, l'impossibilité de maintenir, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie, le contrat de travail … (6).


La décision de la Cour de cassation

Il revient aux juridictions d’opérer un filtre pour transmettre ou non la QPC au Conseil constitutionnel.

L’examen de la QPC par la Cour de cassation 

Pour être transmise au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation doit examiner 3 critères :

La disposition contestée est-elle applicable au litige ?
A-t-elle déjà été déclarée conforme à la constitution ? 
La question a-t-elle un caractère nouveau ou sérieux ?

La QPC est déposée par un mémoire distinct, et la Cour de cassation dispose d’un délai de 3 mois pour transmettre ou non la QPC.

Après avoir passé le filtre des deux premiers critères – les dispositions en cause sont bien applicables au litige et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution-  la Cour de cassation commence par relever que la question n’est pas nouvelle dans la mesure où elle porte sur l’interprétation de dispositions constitutionnelles déjà discutées devant le Conseil constitutionnel.

Et surtout, la question n’est pas « sérieuse » pour les raisons suivantes :

  • Pas d’incompétence négative ni d’atteinte au droit à un recours effectif

L’employeur peut tout d’abord diligenter une contre-visite en cas d’arrêt de travail qui peut conclure au caractère non justifié de celui-ci.
Lorsqu’il a eu connaissance du lien entre l’arrêt et un ATMP (en dehors d’une reconnaissance par la sécurité sociale), l’employeur peut également saisir le conseil de prud’hommes afin de voir écarté le lien de causalité entre l’arrêt de travail et l’ATMP.

  • Pas d’atteinte à la liberté d’entreprendre 
     

Enfin, l’interdiction de licencier répond à un motif d’intérêt général de maintien en emploi du salarié victime d’ATMP et n’apporte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

Pour ces raisons logiques, la QPC n’est donc pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Cette décision permet de rappeler le régime particulier de la protection pendant l’arrêt de travail en cas d’ATMP très mal connu des employeurs comme l’affaire l’illustre, mais aussi des salariés.

 

 

 1. « Les articles L. 1226-7, L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail, en ce qu'ils disposent que le contrat de travail d'un salarié ne peut, sous peine de nullité du licenciement, être rompu pendant la durée d'un arrêt de travail provoqué par un accident du travail ou une maladie professionnelle, sauf cas de faute grave ou d'impossibilité de maintenir le salarié, sans toutefois prévoir aucune voie de droit permettant à l'employeur de contester l'arrêt de travail pour cause de maladie professionnelle établi par le médecin, sont-ils contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, et en particulier au droit à un recours juridictionnel effectif et à la liberté d'entreprendre, garanti respectivement par les articles 16 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ensemble l'article 34 de la Constitution (incompétence négative du législateur) ? ».

 2. Art. L. 1226-7, L. 1226-9 et L. 1226-13 C.trav.
 3. Cass.soc. 29.06.11, n°10-11.699.
 4. Cass.soc. 16.03.94, n° 89-43.586.
 5. Cass.soc.13.12.89, n° 87-42.850.
 6. Cass.soc. 18.02.15, n° 13-21.820. 
 

 

L'arrêt de la Cour de cassation :

  • Cass.soc.12.03.25 n°24-19110.

    PDF — 55Ko

Ces articles peuvent également vous intéresser