Lois, règlements, Constitution : quels contenus?
Quand on élit des députés, on leur donne le pouvoir d’adopter des lois nouvelles et de modifier des lois préexistantes. Aussi parle-t-on du « pouvoir législatif » détenu par le Parlement (qui inclut les députés et les sénateurs, ou autrement dit, l’assemblée nationale et le Sénat). Pour autant, toutes les règles, tous les droits, toutes les libertés ne relèvent pas du pouvoir législatif. Certaines règles relèvent du pouvoir dit réglementaire, c’est-à-dire qu’elles sont adoptées par le Gouvernement (c’est-à-dire le Premier ministre et ses ministres), sans passer par le Parlement. D'autres sont inscrites dans la Constitution, ce qui signifie que seule une révision constitutionnelle peut les modifier.
Il est donc utile de comprendre ce que peut contenir une loi, ce que peut contenir un règlement et comment les droits et libertés garantis par la Constitution et les textes internationaux les encadrent.
Quelles règles peut-on modifier par la loi, quels droits et libertés sont garantis par la Constitution et quelles règles relèvent du règlement ?
Selon le principe dit de « hiérarchie des normes », la Constitution est au sommet de l’ordre juridique. Par conséquent, tous les autres actes juridiques doivent la respecter, et au premier chef la loi. Le travail du pouvoir législatif est ainsi encadré par les droits et libertés reconnus dans la Constitution, mais également par les droits et libertés consacrés par les textes européens et internationaux ratifiés par la France, auxquels la Constitution donne une valeur supra-légale.
Dans le même ordre d’idées, la loi est au-dessus du règlement, qui ne doit pas la contredire.
- Les droits et libertés garantis par la Constitution
La Constitution du 4 octobre 1958 consacre très peu de droits et libertés de manière directe. Par exemple, on peut citer :
- le principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ( 1er de la Constitution) ;
- le principe de laïcité, qui impose notamment le respect de toutes les croyances (art. 1er de la Constitution) ;
- le principe à valeur constitutionnelle de fraternité, qui implique notamment la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ( 2, al. 4, et 72-3, alinéa 1er, de la Constitution) ;
- la liberté individuelle, qui interdit les détentions arbitraires ( 66 de la Constitution),
- la libre administration des collectivités territoriales ( 72, al. 3, de la Constitution).
Mais en réalité de nombreux autres droits et libertés ont valeur constitutionnelle car ils sont intégrés à d’autres textes auxquels la Constitution de 1958 renvoie. Il s’agit de :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen(DDHC) du 26 août 1789,
- le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
- la Charte de l’environnement de 2004.
Tous ces droits et libertés ont « pleine valeur constitutionnelle » (2) et encadrent le travail du pouvoir législatif. En effet, depuis sa décision Liberté d'association du 16 juillet 1971 , le Conseil constitutionnel contrôle la loi, non plus seulement au regard des règles de procédure prévues par la Constitution de 1958, mais également au regard des droits et libertés consacrés par ces textes. On parle de « bloc de constitutionnalité ».
On y trouve par exemple la liberté syndicale (alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946), le droit de grève (alinéa 7 du Préambule de la Constitution de 1946), le principe de participation (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946) ou encore le droit d’obtenir un emploi (alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946), le droit à des moyens convenables d’existence et à la protection de la santé (alinéa 11) mais aussi la résistance à l’oppression, la liberté, la sûreté et la propriété (article 2 de la DDHC de 1789) ou encore le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (article 1er de la Charte de l’environnement)…
Par ailleurs, en plus de fixer une limite au pouvoir législatif, qui ne peut les remettre en cause, ces droits et libertés sont protégés de plusieurs manières.
- Par le Défenseur des droits, tout d’abord (article 71-1 de la Constitution de 1958). Celui-ci a pour mission veiller « au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences.»
Il peut être saisi par toute personne s'estimant lésée par exemple par le fonctionnement d'un service public.
- Par une protection de type juridictionnel. En particulier, le Conseil constitutionnel fait figure de gardien des droits et libertés. Il peut être saisi soit en amont, c’est-à-dire avant la publication de la loi (par le Président de la République, les Présidents de chacune des assemblées, 60 députés ou 60 sénateurs) ou bien en aval dans un contentieux devant une juridiction judiciaire ou administrative (on parle alors de question prioritaire de constitutionnalité).
Concernant les droits et libertés fondamentaux reconnus aux niveaux international et/ou européen, on trouve par exemple la liberté syndicale (article 11 CESDHLF), l’égalité en droit et la non-discrimination (articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), la liberté professionnelle et le droit de travailler (article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne).
Le respect de ces droits peut être sanctionné par les juges nationaux en écartant la règle interne non-conforme (à condition que les droits soient d’application directe). En effet, depuis les années 70-80, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat opèrent un contrôle de conventionalité des lois.
- Les règles qui relèvent du pouvoir législatif, c’est-à-dire du Parlement
Le vote de la loi est de la compétence du législateur, c’est-à-dire du Parlement (article 24 de la Constitution).
Avant de devenir une loi, le texte est présenté soit par des parlementaires (des députés ou des sénateurs), on parle alors d’une proposition de loi, soit par le Gouvernementt, il s’agit alors d’un projet de loi. Le texte est ensuite voté par le Parlement, c’est-à-dire qu’il doit obtenir la majorité dans les deux assemblées.
Néanmoins, le Parlement n’a pas tous les droits. Les domaines dans lesquels il peut légiférer sont strictement limités par la Constitution et énumérés en son article 34. Ainsi, l’Assemblée nationale et le Sénat sont compétents pour fixer les principes fondamentaux dans les domaines suivants :
- l'organisation générale de la défense nationale ;
- la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ;
- l'enseignement ;
- la préservation de l'environnement ;
- le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;
- droit du travail, droit syndical et sécurité sociale.
En outre, depuis la révision constitutionnelle de mars 2024, la loi doit également déterminer « les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Ainsi par exemple, en droit du travail et en droit syndical, il appartient au Parlement de fixer les règles du licenciement ou encore celles de la négociation collective. Cependant, depuis à la loi du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social, les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnelle doivent être consultés et invités à négocier lors de l’élaboration d‘une loi dans le domaine du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.
- Les règles qui relèvent du pouvoir réglementaire, donc du Gouvernement
Pour être mises en œuvre, certaines lois exigent l’adoption de textes réglementaires (à savoir des décrets d’application, des arrêtés). Dans ce cas, il y est fréquemment renvoyé dans le corps même de la loi pour indiquer que les modalités plus précises d’application doivent être adoptées par la voie réglementaire.
Par ailleurs, l’ensemble des domaines non mentionnés par l’article 34 de la Constitution peuvent être fixés par voie réglementaire, il s’agira alors de règlements autonomes, prévus par l’article 37 de la Constitution.
Le domaine réglementaire n’est donc délimité que par le domaine législatif. En droit du travail, la procédure prud’homale, par exemple, relève principalement de textes réglementaires, les règles en matière de santé et de sécurité sont également souvent précisées par des textes réglementaires.
Toutefois, en droit du travail, il arrive que le pouvoir législatif renvoie en priorité à la négociation collective pour prévoir les dispositions d’application des principes fixés par la loi. Par exemple, l’article L.3141-10 du Code du travail (article en L donc de niveau législatif) prévoit qu’un accord d’établissement ou d’entreprise ou, à défaut, de branche peut fixer le début de la période d’acquisition des congés. Un texte réglementaire a toutefois été adopté et l’article R. 3141-4 du Code du travail fixe le début de la période d’acquisition au 1er juin lorsqu’il n’existe pas d’accord collectif sur ce point.
Contrairement aux normes législatives, aucune condition de forme ou de procédure n’est en principe exigée pour l’édiction de normes réglementaires dès lors que c’est bien l’autorité compétente qui élabore et signe le texte.
Un texte réglementaire est donc plus facilement modifiable qu’une loi.
Cependant, pour les décrets (que seuls peuvent prendre le Président de la République et le Premier ministre), certaines formalités sont parfois exigées : l’avis du Conseil d’État, du Conseil économique social et environnemental (Cese), de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), la délibération en conseil des ministres, le contreseing des ministres intéressés. Pour les autres actes réglementaires (arrêtés ministériels, préfectoraux…), la procédure est souvent simplifiée.
Le contrôle d’un texte réglementaire est soumis au contrôle du juge administratif.