Harcèlement sexuel : illustration du rôle fondamental du Défenseur des Droits !

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Dans une décision de juillet dernier, le Défenseur des Droits (DDD) a mené une instruction auprès d’un employeur après une dénonciation de potentiels faits de harcèlement sexuel. A cette occasion, le DDD est venu rappeler les règles relatives à la lutte contre les formes de harcèlement, et plus particulièrement celles concernant l’usage de l’enquête interne. Cette décision est l’occasion de rappeler le rôle du DDD au sein des entreprises, ainsi que les principes devant guider le recours à l’enquête interne. Décision 2024-105 du 11.07.2024 

Une situation de harcèlement sexuel en lien avec un mandat syndical 

Une salariée ayant des fonctions syndicales affirme avoir subi un harcèlement sexuel de la part d’un autre représentant syndical au sein de l’entreprise. Après avoir alerté la secrétaire générale du syndicat en cause, la salariée a dénoncé ces faits auprès de la direction de l’éthique de sa société.  

La société a alors initié une enquête interne menée par une salariée de la direction, ainsi qu’une psychologue agréée auprès d’une cour d’appel. Sept auditions ont eu lieu dont celle de la salariée victime et du potentiel harceleur. L’enquête a conclu qu’aucun témoin ni éléments transmis par la salariée dénonciatrice ne pouvaient venir étayer les allégations de harcèlement sexuel.  

La salariée a par la suite déposé des plaintes pour harcèlement sexuel et agression sexuelle auprès des services du procureur de Paris.  

C’est dans ce cadre que le Défenseur des droits est intervenu dans l’entreprise et a rendu sa décision.  

Rappel sur la compétence du Défenseur des droits 

L’ancienne Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) a été remplacée en 2011 par le Défenseur des droits. Cette autorité est prévue par l’article 71-1 de la Constitution. 

La mission du Défenseur des droits est prévue par l’article 4 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 qui prévoit que le DDD est notamment en charge :  

“3° De lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l'égalité ;” 

La lutte contre le harcèlement sexuel n’est pas expressément prévue dans les missions du DDD. Cependant, la directive européenne 2006/54/CE du 5 juillet 2006 en son article 2, ainsi que la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 en son article 1 et 2, considèrent que le harcèlement est une forme de discrimination lorsqu'un comportement indésirable, lié notamment au sexe, se manifeste et a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. 

Ainsi, grâce au droit de l'Union européenne et à sa transposition en droit interne par la loi du 27 mai 2008 qui assimile le harcèlement discriminatoire à une discrimination (plus d'informations dans cet article), le cas d'espèce permet de reconnaître la compétence du Défenseur des droits, ainsi habilité à recevoir des réclamations de personnes se considérant victimes de harcèlement sexuel assimilé à une discrimination fondée sur le sexe. 

En effet, l’article 23 de cette même loi de 2011 donne compétence au DDD pour agir dans le domaine de l’article 4 précité, après avoir recueilli l’accord préalable des juridictions saisies ou du procureur de la République. 

La situation de la salariée ayant fait l’objet de plusieurs plaintes auprès du Procureur de la République de Paris, celui-ci a autorisé le DDD a mener une instruction. C’est dans ce contexte que la décision du DDD vient se positionner sur le comportement de la société face à cette dénonciation de harcèlement sexuel.  

L’appréciation du DDD des mesures prises par l’employeur 

Tout d’abord, en se fondant sur les pièces justificatives fournies par l’employeur et notamment sur les comptes rendus des auditions de l’enquête interne, le DDD conclut à la présence d’un harcèlement sexuel et contredit l’avis de l’employeur.  

D’autre part, si le DDD relève dans sa décision une situation de harcèlement sexuel assimilable à une discrimination fondée sur le sexe, l’autorité indépendante relève également un harcèlement d’ambiance.  

BON A SAVOIR 

Cette notion de harcèlement d’ambiance a été initiée par le DDD lui-même, à la suite d’observations effectuées devant la cour d’appel d’Orléans. La cour avait ainsi affirmé dans un arrêt de 2017 « que le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d'ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables »(1).

Si cette notion de harcèlement d’ambiance n’a pas encore été reconnue par la Cour de cassation, d'autres juridictions du fond ont reconnu pareillement un harcèlement sexuel d’ambiance ou environnemental (2). 

Ici, le DDD relève que le harcèlement sexuel et le harcèlement d'ambiance se trouvent caractérisés, tant par les agissements perpétrés par le salarié mis en cause, qu'au regard des faits dénoncés au travers de certains témoignages de collègues.  

Il ressort du dossier, les éléments suivants : une agression sexuelle subie par la salariée dans un local syndical, corroborée par plusieurs collègues, outre des propos à connotation sexuelle sur la tenue vestimentaire de la salariée. Des témoignages concordants relatent également des insultes, des propos à caractère déplacé à connotation sexuelle ou sexiste, des plaisanteries graveleuses et propos grivois. 

Enfin, le DDD souligne une mauvaise application de l’aménagement de la charge de la preuve par l’employeur dans l’établissement des faits de harcèlement. 

Pour rappel, au sens de l’article L.1154-1 du Code du travail(3) le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. 

La charge de la preuve du harcèlement ne repose donc pas sur le salarié exclusivement. Il lui appartient « seulement » de constituer un faisceau d'indices afin d'inciter le juge à enclencher la seconde étape du mécanisme, la justification par l'employeur de l'absence de harcèlement et l'existence d'éléments objectifs.  

Or en l’espèce, le DDD relève que les attestations et témoignages présentés, pris dans leur ensemble, suffisaient amplement à constituer ce faisceau d'indices au regard de leur multiplicité et de leur concordance. C'est sur ce fondement que devaient être examinés les justificatifs apportés par l'employeur, lesquels n'étaient pas suffisants. Pour autant, l'employeur a exigé de la victime présumée des preuves directes du harcèlement au lieu de demander des indices de présomption de harcèlement.  

Dès lors le DDD souligne ainsi l’inversement de la charge de la preuve par l’employeur au détriment de la salariée victime.  

L’encadrement des enquêtes interne par le droit et la jurisprudence 

Le DDD est également revenu sur la manière dont l’employeur a mené l’enquête interne au sein de son entreprise à la suite de la dénonciation des faits.  

POUR RAPPEL  

En vertu de l’article L.4121-1 (4) du Code du travail l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. C’est sur ce fondement que l’employeur peut voir sa responsabilité engagée en cas de harcèlement en lien avec le travail. Il est plus précisément tenu par l’article L.1153-5 (5) du Code du travail de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner. 

En pratique, il est fortement conseillé à l'employeur qui a eu connaissance d'une situation potentielle de harcèlement au travail, de diligenter une enquête interne. Le but de cette enquête est d'établir la matérialité et la preuve des faits ainsi que leur qualification (6). 

Cet outil trouve son origine dans l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 (7) sur le harcèlement et la violence au travail. Son article 4 précise que « les plaintes doivent être suivies d'enquête et traitées sans retard ». Cependant en l’absence de texte législatif dédié, c’est la jurisprudence qui est venue encadrer l’usage d’une enquête interne.   

La Cour de cassation a posé les exigences d'impartialité et d'exhaustivité de l'enquête. Elle a ainsi affirmé que constituaient des manquements à l'obligation de sécurité le fait de confier l'enquête à un salarié en mésentente avec la personne visée (8). La Cour de cassation a par ailleurs prohibé le fait de mener une enquête sans discrétion, à charge et sans permettre au mis en cause de faire entendre ses témoins. De même le fait d'ouvrir une enquête tardivement (9) ou de la faire durer un temps excessif (10) constituent des manquements à l'obligation de sécurité. 

Par ailleurs, la Cour de cassation a admis que le CSE ne doit pas obligatoirement être associé à l'enquête (11), et les conclusions de l'enquête interne ne lient pas le juge (12). 

Pour autant, la Cour de cassation énonce que le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n'impose pas que, dans le cadre d'une enquête interne le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies ou qu'il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ni qu'il soit entendu, dès lors que la décision que l'employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement (13). 

Les observations du DDD sur le déroulement de l'enquête interne

Dans le cas d’espèce le DDD relève des carences dans la réalisation de l’enquête interne. 

Il relève tout d’abord que les conclusions de l'enquête interne ne sont pas cohérentes avec le contenu des auditions menées, et souligne que des témoins potentiels n'ont pas été entendus, alors même que cela aurait permis de renforcer les présomptions de harcèlement. Selon le DDD, dès lors qu'une audition est indispensable à la manifestation de la vérité et sans qu'il soit nécessaire que la victime l'ait demandée explicitement, l'employeur doit veiller à ce que l'enquêteur y ait procédé, l'enquête devant être effectuée loyalement.  

De plus le DDD a découvert l'existence de mesures de représailles à l'égard de la victime présumée, le rapport d'enquête recommandait à cette dernière de ne plus recourir aux enregistrements de ses collègues et indiquait que cela pourrait conduire à des poursuites pénales.  

Or, le DDD rappelle la protection accordée par l’article L.1153-2 du Code du travail : 

« Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel définis à l'article L. 1153-1, y compris, dans le cas mentionné au 1o du même article L. 1153-1, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés, ou ayant, de bonne foi, témoigné de faits de harcèlement sexuel ou relaté de tels faits ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-2 ».  

En effet, le salarié « qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis » (14). A noter que mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce (15). 

En conclusion, le DDD énonce des recommandations fermes à l’encontre l'employeur qui est incité à contacter la salariée afin de procéder à la juste réparation de son préjudice. Il lui est d’autre part fortement recommandé de modifier ses pratiques d'enquête.  

Si les décisions du Défenseur des droits n’ont pas valeur de jugement, celui-ci tente d’influer sur les règles encadrant la lutte contre le harcèlement.  

 

1 CA Orléans.soc. 7.02.17, RG n°15/02566. 

2 CA Agen.soc.13.12.22, RG°21/00653 ; CPH St-Denis, 8 septembre 2017, n°15/00279 et Défenseur des droits, déc. n°2016-037, 10 février 2016 ; CA Agen. 13 décembre 2022, n° 21/00653 ; CPH Paris. 1er septembre 2023, n°22/05519, non définitif ; CA Paris 26 novembre 2024, 21/10408. 

3 L1154-1 C.trav. 

4 L4121-1C.trav. 

5 L1153-5 C.trav. 

6 Cass. soc. 29.06.22, n°20-22.220.   

7 ANI 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail. 

8 Cass.soc. 27.11.19, n°18-10.551. 

9 Cass.soc.12.06.24, n° 23-13.975.  

10 Cass.soc. 06.07.22, n°21-13.631.

11 Cass.soc.29.06.22, n°21-11.437. 

12 Cass. soc. 08/01/20, n°18-20.151. 

13 Cass. soc. 29.06.22, n°20-22.220  op. cit. 

14 Cass. soc.10.06.2015, n°14-13.318. 

15 Cass. soc.07.02.12, n°10-18.035. 

 

 

La décision du DDD :

  • Décision 2024-105 du 11 juillet 2024 DDD

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