Cass.soc.14.11.24, n°23-17.917
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Un salarié victime de propos et de comportements racistes décide de rompre son contrat de travail et demande en justice que sa « prise d’acte » produise les effets d’un licenciement nul. Débouté par la Cour d’appel estimant qu’il n’y a pas de discrimination, la Cour de cassation estime quant à elle que le salarié apporte suffisamment d’éléments pour examiner s’il est victime non pas de discrimination, mais d’un harcèlement discriminatoire en raison de son origine. Cass.soc.14.11.24, n°23-17.917.
Un agent de sécurité victime de propos et d’attitudes racistes de la part de ses supérieurs hiérarchiques se résout, faute de réaction de l’employeur, à prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
La prise d’acte de la rupture du contrat de travail est la démarche par laquelle le salarié rompt unilatéralement son contrat de travail, comme pour une démission, mais en reprochant une ou plusieurs fautes commises par l’employeur.
Les conséquences sont importantes, puisque le contrat est rompu immédiatement. Le salarié devra ensuite saisir le conseil de prud’hommes afin qu’il statue sur l’imputabilité de la rupture. Deux solutions s'offrent au juge, qui pourra considérer :
soit que les faits constituent pour l'employeur des manquements d’une telle gravité à ses obligations qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail et justifient que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire d’un licenciement nul, selon la gravité des faits (harcèlement par exemple) ;
soit que les faits ne constituent pas un manquement suffisamment grave, auquel cas la prise d’acte produira les effets d’une démission.
Il saisit ensuite le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître que cette prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul au regard des faits subis.
La cour d’appel, estimant qu’aucune pratique discriminatoire ne pouvait être reprochée à l’employeur, se contente de juger que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle lui alloue une indemnité de seulement 1800€ compte tenu de son ancienneté inférieure à 1 an.
Le salarié se pourvoit alors en cassation.
Pour bien comprendre la problématique, rappelons que la discrimination peut se définir comme une inégalité de traitement dans un domaine particulier fondée sur un motif dit discriminatoire, expressément visé par la loi.
En matière de relations de travail, le Code du travail interdit à l’employeur de prendre en compte l’un des 25 motifs discriminatoires visés à l’article L.1132-1 (dont l’origine, l’âge, le sexe, le handicap…) pour arrêter ses décisions dans les grandes épreuves de la vie professionnelle, comme l’embauche, la rémunération, l’accès à la formation et les sanctions disciplinaires dont le licenciement.
Ainsi, pour débouter le salarié, la cour d’appel relève assez justement du point de vue de la définition juridique de la discrimination que le salarié n’a pas subi de discrimination et ne faisait d’ailleurs « aucunement mention de quelle mesure discriminatoire il aurait été victime ». En effet, aussi grave que cela puisse être, subir des propos racistes, être mis à l’écart par un salarié qui saluait tout le monde sauf lui, et se voir reprocher sa relation amoureuse avec une autre salariée par un responsable, ne constituent pas une discrimination au sens strict.
C’est toutefois méconnaitre l’étendue de la définition de la discrimination.
La décision de la cour d’appel est censurée au visa des articles du Code du travail relatifs à la discrimination (1) et surtout de la loi du 27 mai 2008 (2) qui assimile le harcèlement discriminatoire à une discrimination.
Au sens de la loi de 2008, la discrimination inclut également « Tout agissement lié à l'un des motifs [discriminatoires], subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; » (Art 1, alinéa 3).
Le harcèlement discriminatoire était une notion inconnue en droit français avant la loi de 2008. Il opère une sorte d’hybridation entre le harcèlement moral (ou sexuel) et la discrimination, dans la mesure où il réprime un agissement discriminatoire – la répétition n’étant pas nécessaire- dont les effets sur la personne sont proches du harcèlement en portant atteinte à la dignité ou en créant un environnement hostile, humiliant ou offensant (...).
Au regard des faits invoqués par le salarié, il est ainsi reproché au juge du fond de ne pas avoir respecté l’aménagement particulier de la charge de la preuve valable en matière de discrimination ou de harcèlement discriminatoire (3) . En effet, le salarié peut se contenter de « présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination » - ce qu’il a fait dans l’espèce – charge ensuite à l’employeur de produire des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. C’est précisément ce point que n’a pas vérifié la cour d’appel et explique la censure par la Haute Cour.
Cette décision est une très bonne illustration à la fois de l’intérêt de la notion de harcèlement discriminatoire et également, une fois de plus, de la faiblesse de l’effet dissuasif sur les comportements du barème d’indemnité en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’affaire va se poursuivre devant une cour d’appel qui reconnaitra peut-être la nullité du licenciement. Mais en attendant, pouvait-on sérieusement imaginer qu’un comportement raciste en entreprise soit sanctionné d’un si faible montant de dommages et intérêts ?
(1) Définition : Art. L.1132-1 C.trav. / Charge de la preuve : Art. L.1134-1 C.trav. / Sanction : Art. L.1132-4 C.trav.
(2) Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
(3) Art. L.1134-1 C.trav.