
Cass.soc.8.01.25, n°22-24724
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Avant de procéder à un licenciement économique, l’employeur doit mettre en œuvre toutes les mesures susceptibles d’éviter les licenciements : rechercher toutes les possibilités de reclassement et les proposer aux salariés. Lorsque l’employeur décide de diffuser à l’ensemble des salariés une liste d’offres de reclassement, la loi l’oblige à y préciser les critères de départage des salariés en cas de candidatures multiples pour un même poste. Quelles sont les conséquences de l’absence d’une telle mention ? C’est à cette question que répond la Cour de cassation. Cass.soc.08.01.25, n°22-24724, publié.
Licenciés pour motif économique, neuf salariés de l’association Transitions Pro Grand Est saisissent le conseil de prud’hommes afin de contester la validité de leur licenciement. Ils reprochent à leur employeur de ne pas avoir mentionné, dans la liste des offres de reclassement qu’il a diffusée aux salariés, les critères de départage applicables en cas de candidatures multiples sur un même poste. Or, selon eux, cette omission constitue un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement qui rend leur licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Lorsque l’employeur envisage de licencier un ou plusieurs salariés pour un motif économique, il doit, au préalable, mettre en œuvre tous les efforts possibles pour former, adapter et reclasser les salariés concernés [1]. Cette obligation, prévue par l’article L.1233-4 du Code du travail, est une condition essentielle de validité du licenciement économique car tant qu’elle n’est pas remplie, un licenciement ne saurait être justifié. Pour mettre en œuvre son obligation de reclassement, l’employeur doit donc informer les salariés des offres disponibles. Il a alors le choix entre 2 modalités [2] :
Il peut adresser de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié,
Ou bien, depuis 2017 [3], il peut aussi diffuser collectivement et par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés.
Quelle que soit la modalité retenue, le Code du travail exige que les offres soient écrites et qu’elles comportent certaines informations essentielles : l’intitulé du poste et son descriptif, le nom de l’employeur, la nature du contrat de travail, le lieu de travail, le niveau de rémunération et la classification (art. D.1233-2-1, I).
Et si l’employeur opte pour la seconde modalité (la diffusion à l’ensemble des salariés), la liste des offres devra, en plus de ces informations obligatoires, préciser les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste ainsi que le délai minimal dont disposent les salariés pour postuler. C’est ce que prévoit l’article D.1233-2-1, III du Code du travail.
Une omission sanctionnée par la cour d’appel, qui donne raison aux salariés. Pour déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel rappelle que l’article D.1233-2-1 du Code du travail impose expressément la mention des critères de départage dans la liste des offres de reclassement lorsque celle-ci est communiquée collectivement. Or, force est de constater, qu’en l’espèce, l’association n’a pas respecté cette obligation, ni même renvoyé les salariés au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui définissait pourtant ces critères.
Pour la cour d’appel, cette omission suffit à elle seule à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
L’association, évidemment, insatisfaite de cette décision, forme un pourvoi en cassation. Elle estime au contraire que la mention des critères de départage dans la liste des offres de reclassement n’est pas déterminante dans la décision des salariés de candidater ou non et qu’elle vise seulement à permettre à ceux dont la candidature a été rejetée, de contrôler, après coup, que l’employeur a bien respecté les critères de départage entre salariés. Elle ajoute :
que ces critères de départage étaient, par ailleurs, précisés par le PSE,
que la liste des offres comportait bien toutes les mentions prévues par la loi (celles prévues par l’article D.1233-2-1, I) [4] ;
et que, malgré toutes ces informations, les salariés n’avaient de toutes façons candidaté à aucune offre !
L’association minimise clairement l’importance de cette mention dont l’omission, selon elle, loin de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, ne constitue qu’une simple irrégularité de procédure qui, tout au plus, peut ouvrir droit à des dommages-intérêts pour le salarié qui démontre en avoir subi un préjudice…
La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante : l’omission des critères de départage des salariés constitue-t-elle une simple irrégularité de procédure ou bien un véritable manquement de l'employeur à son obligation de reclassement rendant le licenciement économique injustifié ?
La Cour de cassation donne raison aux juges du fond. Tout comme eux, elle considère que l’absence de la mention des critères de départage des candidatures multiples dans la liste des offres de reclassement interne suffit à elle-seule à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Elle rappelle que ces critères jouent un rôle essentiel dans le processus de reclassement : ils permettent, dans l’hypothèse où plusieurs salariés candidatent à un même poste, d’identifier celui qui sera retenu et ce, d’une manière transparente et objective. Leur absence rend donc l’offre de reclassement imprécise car elle ne fournit pas les éléments d’information de nature à donner aux salariés les outils de réflexion déterminant leur décision.
En conséquence, cette omission constitue un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Cette décision est particulièrement favorable aux salariés. Elle renforce et précise les contours de l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur et rappelle que chaque mention légale compte et que leur absence ne peut être minimisée.
Elle s’inscrit d’ailleurs dans la continuité d’un autre arrêt rendu il y a quelques mois par la Cour de cassation, qui avait jugé que l’absence d’une seule information obligatoire privait le licenciement économique de cause réelle et sérieuse [5]. Avec son arrêt du 8 janvier, la Cour de cassation porte donc au même niveau la mention des critères de départage et les autres mentions obligatoires d’une offre de reclassement. Ensemble, ces mentions permettent au salarié de prendre une décision éclairée quant à sa candidature.
Dès lors, l’absence de la mention des critères de départage constitue, non pas une simple irrégularité de procédure, mais un véritable manquement de l’employeur à son obligation de reclassement invalidant le licenciement, au même titre que les autres mentions portées dans l’offre.
[1] Art. L.1233-4 C.trav.
[2] Art. L.1233-4, al.4 C.trav.
[3] Ord. 2017-1387 du 22.09.17 ; décret 2017-1725 du 21.12.17.
[4] Art. D.1233-2-1, II C.trav.
[5] Cass.soc.23.10.24, n°23-19629 : en l’occurrence, l’offre de reclassement ne comportait ni le nom de l’employeur, ni la classification du poste, ni la nature du contrat de travail.