Preuve des heures supplémentaires : plus de facilité pour l’employeur ?

  • Heures supplémentaires

En cas de litige relatif à l'accomplissement d'heures supplémentaires, la charge de la preuve n'incombe spécialement ni à l'employeur, ni au salarié. En réalité, c'est sur les deux que repose cette charge. A côté de cela, l'employeur a un certain nombre d'obligations en matière de décompte du temps de travail. Dans certains cas, il doit même mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. Mais qu'en est-il lorsque l'employeur n'a pas mis en place un tel système? Peut-il, dans cette hypothèse, produire en justice des élements autres que ceux issus de ce dispositif? C'est à cette question que la Cour de cassation va répondre. Cass.soc, 07.02.24, n°22-15842.

  • Faits et procédure

Alors qu’elle travaillait en tant que coiffeuse depuis 2017, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes afin de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle en profite pour réclamer diverses sommes au titre de la rupture de son contrat et, notamment, des sommes dues au titre d’heures supplémentaires qu’elle aurait effectuées et de contreparties obligatoires en repos.

Quelles règles de preuve s’appliquent en matière de temps de travail ?

Lorsqu’il s’agit de prouver le temps de travail, le Code du travail a prévu des règles spécifiques : la charge de la preuve ne repose spécialement sur aucune des parties. Elle est au contraire répartie de manière égale entre le salarié et l’employeur(1).

Ainsi, en cas de litige sur l’existence ou le nombre d’heures de travail accomplies :

- C’est d’abord au salarié de présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir exécutées.
- C'est ensuite à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement au regard de ses obligations en matière de contrôle du temps de travail. L’employeur doit ainsi fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Puis, au vu des éléments fournis par le salarié et l’employeur, le juge forme sa conviction, si besoin, après avoir ordonné les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Plus précisément, il forme sa conviction « en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences » liées au contrôle du temps de travail qui incombe à l’employeur (2). Sachant que si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

A l’appui de sa demande, la salariée produit un tableau récapitulant ces heures, un décompte hebdomadaire, des relevés quotidiens d’heures, des témoignages, etc. De son côté, l’employeur produit des bulletins de paie, un cahier de relevé d’heures journalier ainsi que des témoignages.

Au vu des éléments fournis par elle et par son employeur, les juges du fond (conseil de prud’hommes puis cour d’appel), vont finalement considérer que les heures supplémentaires n’ont pas été accomplies par la salariée et rejettent sa demande.

La salariée conteste et saisit la Cour de cassation. Ses arguments sont très simples : lorsque l’employeur a l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du travail de chaque travailleur et que survient un litige portant sur l’existence ou le nombre d’heures de travail, le juge ne peut prendre en considération les éléments apportés par l’employeur, que si ceux-ci proviennent d’un tel dispositif de mesure du temps de travail.

Or, en l’espèce, l’employeur, et alors même qu’il y était tenu, n’avait mis en place aucun dispositif et s’était contenté de produire de simples relevés d’heures manuscrits…

Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de contrôle du temps de travail ?

Tout dépend de l’organisation du temps de travail mise en place au sein de l’entreprise, c’est-à-dire selon qu’ils sont ou non soumis à des horaires collectifs, individualisés.

-Si les salariés travaillent selon le même horaire collectif, l’employeur doit afficher les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos(3).

- Si les salariés ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, pour chacun des salariés concernés(4). La durée du travail de chaque salarié est alors décomptée par tout moyen non seulement quotidiennement, par enregistrement des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d’heures de travail accomplies, mais aussi chaque semaine, par récapitulation du nombre d’heures de travail accomplies par chaque salarié (5).
Aucune forme ne lui est en revanche imposée pour réaliser ce décompte des heures de travail, Il peut s’agir de registres, de badgeuses, de pointeuses, ou encore d’un système auto-déclaratif, particulièrement adapté aux salariés itinérants ou dont la durée du travail ne peut être prédéterminée. Sachant que si le décompte est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

 La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante : le fait, pour l’employeur de n’avoir pas respecté ses obligations en matière de contrôle du temps de travail, l’empêchait-il de démontrer l’existence (ou l’absence) d’heures de travail par d’autres moyens, tels que des relevés d’heures manuscrits ?

  • L’absence de mise en place d’un système de mesure du temps de travail ne prive pas l’employeur de produire d’autres éléments de preuve

La Cour de cassation commence par rappeler les obligations de l’employeur en matière de contrôle du temps de travail des salariés prévues tant par le Code du travail que par le droit de l’Union européenne qui demande aux Etats membres d’imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque salarié (6).

Et pourtant, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et déboute (une nouvelle fois) la salariée. Elle considère que "l’absence de mise en place par l’employeur d’un tel système ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies".

Autrement dit, lorsqu’il s’agit de prouver le temps de travail effectué par les salariés, l’employeur n’est pas limité aux seuls documents issus des dispositifs de contrôle de la durée du travail qu’il est censé avoir mis en place. Tout comme le salarié, il est libre d’apporter toute sorte d’éléments, y compris de simples relevés d’heures manuscrits. Il n’est donc pas limité ni « pénalisé » par le fait de n’avoir pas respecté ses obligations légales et règlementaires.

  • Quelle est la portée de cet arrêt ?

Il faut savoir que si le Code du travail a introduit un aménagement de la charge de la preuve en matière de temps de travail, c’est avant tout pour rétablir un peu d’équilibre dans les rapports salarié/employeur. En pratique, l’employeur a en effet beaucoup plus facilement accès à la preuve que les salariés et certainement plus encore en matière de temps de travail où il a même l’obligation d’établir un certain nombre de documents (voir plus haut). C'est d’ailleurs précisément pour cette raison que la nature de la preuve à rapporter par l’employeur était, jusqu’alors, plus « exigeante » que celle à rapporter par le salarié.

D’ailleurs, les derniers arrêts rendus en la matière semblaient plutôt clairs : « Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et règlementaires précitées », soit les articles L.3171-2 et 3 du Code du travail.  Les juges du fond devaient donc, en quelque sorte, au moment d’apprécier l’ensemble des éléments fournis par les parties, prendre en considération le respect ou non par l’employeur de ses obligations en termes de contrôle du temps de travail.

Seulement, avec cet arrêt, la Cour de cassation vient préciser, et surtout, encadrer le rôle des juges du fond. Peu importe que l’employeur n’ait pas respecté ses obligations, les juges devront examiner de la même manière les éléments produits par l’une et l’autre des parties.

Si l’on comprend qu’il s’agit-là de mettre en œuvre la répartition égalitaire de la charge de la preuve des heures de travail entre le salarié et l’employeur, il n’en reste pas moins que ce faisant, on remet les parties sur un pied d’égalité (alors même qu’elles ne le sont pas…).  

 

 

 

(1) Art. L.3171-4 C.trav.

(2) Cass.soc.18.03.20, n°18-10919 

(3) Art. L.3171-1, D.3171-1 à 4, D.3171-5 en cas d’aménagement du temps de travail au-delà de la semaine ; D.3171-7 en cas de travail en équipe.

(4) Art L.3171-2, L.3171-12 et D.3171-13 C.trav.

(5) Art. D.3171-8 C.trav.

(6) Directive 2003/88/CE du 04.11.03 ; Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art.31§2) ; CJUE, 14.05.19, C-55/18).

Ces articles peuvent également vous intéresser

  • Solde de tout compte : les conséquences en cas d’absence de signature du salarié

    Lire l'article
  • Expertise : l’audition des salariés consentants autorisée en cas de risque grave !

    Lire l'article
  • Transaction : des termes trop généraux excluent la réparation du préjudice d’anxiété

    Lire l'article