Le Brésil entre dans une zone de turbulences

Publié le 02/03/2015

Une délégation de la CFDT emmenée par Laurent Berger est arrivée au Brésil le 27 février. Son objectif est de renforcer la coopération internationale avec le mouvement syndical brésilien, et en particulier la CUT, la plus grande centrale syndicale du pays, avec qui la CFDT entretient des relations privilégiées depuis sa création, au début des années 80.

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La délégation CFDT avec les représentants
de l'association Eco. ©Photo Didier Blain.

La visite de la délégation CFDT qui comprend trois étapes, Rio de Janeiro, Brasilia et São Paulo, intervient à un moment qualifié de « sérieux » par le vice-maire de Rio de Janeiro, Adilson Pires. En effet, le pays est entré dans une zone de turbulences politiques, économiques et sociales. Sur le plan politique, Dilma Roussef, réélue présidente d’une courte tête en novembre dernier, fait face à un scandale sans précédent impliquant de hauts cadres du Parti des travailleurs (PT), dont elle est issue, et Petrobras, principal producteur d’énergie du pays, dans lequel l’État est l’actionnaire majoritaire. Le scandale porte sur un détournement de près de 4 milliards de dollars.

Manifestations le 15 mars

Face à cette corruption, qui n’est pas une nouveauté dans le pays, les principaux partis d’opposition soutiennent l'appel lancé sur Internet à des manifestations dimanche 15 mars. L’objectif est de mettre en route une procédure de destitution – comme en 1992, contre le président Fernando Collor de Mello. Même s’il ne parvient pas à ses fins, ce mouvement pourrait plomber, selon son ampleur, la mandature de la présidente Dilma Rousseff. D’autant que la coalition qu’elle a formée pour gouverner semble, selon des observateurs, très fragile.

Sur le plan économique, le Brésil entre dans une période de récession qui devrait se traduire par une croissance négative en 2015. Après des années de développement qui ont fait de ce pays la septième puissance mondiale, le Brésil connaît d'importants licenciements. Ainsi, la filiale de General Motors, installée à São Paulo où l’entreprise emploie plus de 5 200 salariés, a annoncé fin février un plan de 800 licenciements. L’information a fait l’effet d’une bombe dans ce secteur qui croît depuis une trentaine d’années.

Une situation sociale fragile

De plus, depuis deux ans, le Brésil connaît d’importants mouvements sociaux qui, partis de la population étudiante à São Paulo, se sont étendus aux classes populaires. À l’origine du mécontentement, une hausse de 40 % des prix des transports en commun ! Les autorités politiques ont dû faire marche arrière.

Cette grogne pourrait reprendre de plus belle si le gouvernement de Dilma Rousseff optait pour des ajustements douloureux dans ses politiques sociales en lien avec la baisse des recettes fiscales et la récession. Depuis douze ans (les deux mandats présidentiels de l’ancien syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva poursuivis par Dilma Rousseff), les politiques sociales ambitieuses, accompagnées d’une forte croissance, ont sorti 40 millions de personnes de la pauvreté dans un pays qui compte près de 200 millions d’habitants. Mais pour cette nouvelle classe moyenne basse, la situation économique demeure fragile et la peur du déclassement est forte.

dblain@cfdt.fr

     


Santa Marta, la favela dynamique

Face à la récession, Rio de Janeiro devrait mieux tirer son épingle du jeu que les autres grandes cités du Brésil. La Coupe du monde de football en 2014 et surtout l’organisation des Jeux olympiques de 2016 ont attiré d’importants investissements. « Il s’agit pour l’essentiel d’investissements privés ou d’État, reconnaît Adilson Pires. Les retombées pour la population carioca se traduiront par une amélioration de la mobilité. »

Une nécessité dans cette ville de plus de 6 millions d’habitants où le réseau de transports est vite engorgé et le trafic routier un cauchemar. Les premiers à en pâtir sont les habitants des favelas (bidonvilles) les plus éloignées du centre qui subissent des temps de transport allant jusqu’à cinq heures par jour. Les habitants des favelas représentent encore 20 % de la population carioca. « En plus des aides nationales et fédérales, la municipalité de Rio a créé une carte famille qui facilite l’accès aux services publics. Près de 90 000 familles en bénéficient aujourd’hui », affirme Adilson Pires.

LBerger ISilva SantaMarta Rio2015 PhotoDR BlainLa délégation CFDT a pu se rendre dans la favela de Santa Marta guidée par Itamar Silva, responsable de l’association Eco qui monte des projets éducatifs pour les enfants de ce bidonville de 4 000 habitants accroché aux pentes abruptes d’une colline dans le centre-ville de Rio. « Nous sommes fiers de notre projet de colonie de vacances qui permet à tous les enfants de la favela d’en sortir au moins quinze jours par an afin de découvrir le reste de la ville qu’ils méconnaissent », explique Itamar. Ce projet, l’association le conduit depuis une trentaine d’années et cela sans subvention de l’État ni de la municipalité afin de préserver son indépendance et éviter toute récupération politique. Ce sont des ONG étrangères qui participent à son financement et tous les cadres de l’association sont bénévoles. Grâce à ces colonies, Itamar est un leader respecté de tous les jeunes de la favela.

Santa Marta est « pacifiée » depuis 2009, grâce à l’omniprésence de la police. « Cela a éliminé les guerres entre les gangs et les armes lourdes ont disparu de la favela, apprécie Itamar. La population réagit bien à cette présence tout en montrant sa volonté de ne pas laisser la police empiéter sur ses libertés. » Pour autant, tout n’est pas rose dans cette favela. Pour en faciliter l’accès, un funiculaire y a été construit en 2008. Il est gratuit, mais il est souvent en panne, il est aussi très lent et « expérimental » depuis son ouverture ! Sa pérennité n’a jamais été confirmée par les autorités.  

La favela fait aussi face à une intrusion plus récente : le tourisme dit social. Itamar est partagé sur cette question. « S’il s’agit d’un tour purement commercial, je n’y suis pas favorable. En revanche, si cela donne lieu à des échanges avec la population de Santa Marta, c’est positif », conclut-il.

©Photo Didier Blain - Laurent Berger et Itamar Silva de l'association Eco, dans la favela de Santa Marta, Rio. Brésil 2015.