[Vidéo] Le Venezuela à “la diète Maduro”

Publié le 20/10/2016 (mis à jour le 18/11/2016)

Alors que le pays traverse une crise politique, économique, sanitaire et sociale profonde, un mouvement syndical indépendant émerge du chaos. La CFDT a décidé de le soutenir et d’établir une coopération.

 

         

« La CFDT a décidé d’apporter son soutien à l’Alianza sindical independiente (ASI) – la nouvelle centrale syndicale indépendante du Venezuela – pour la renforcer. » Par ces mots, le secrétaire national Yvan Ricordeau a confirmé début octobre à Caracas l’engagement de la CFDT aux côtés de l’ASI, en vue d’établir une coopération très concrète entre les deux organisations. Elle devrait porter notamment sur la formation des militants et l’amélioration de la communication. « Cette décision de la CFDT met fin à quinze années d’isolement syndical international », a tenu à souligner Carlos Navarro, le président de l’ASI. « Nous allons également aider l’ASI à se faire reconnaitre au niveau international, poursuit Yvan Ricordeau, à un moment où ce pays connait une crise politique, économique, sanitaire et sociale. »

Les Vénézuéliens découvrent les files d’attente dans lesquelles ils patientent parfois plusieurs jours, simplement pour manger ou acheter des produits de base.

Sur le plan social justement, c’est la catastrophe : le chômage explose, l’économie informelle aussi, et une inflation galopante de 600 % attendue cette année (beaucoup plus sur les produits de première nécessité) ronge le pouvoir d’achat des plus pauvres. Entre le chômage (25 %), les non-titulaires de l’administration, les contrats courts dans le secteur privé et les travailleurs de l’informel (5 millions), ce sont 9 millions de salariés sur les 14 millions de la population active qui vivent dans une grande précarité. Conséquences : depuis plus d’un an, les Vénézuéliens découvrent les files d’attente dans lesquelles ils patientent parfois plusieurs jours, simplement pour manger ou acheter des produits de base tels que l’huile, le riz, la farine mais aussi le papier hygiénique, les couches pour bébé, le savon, les médicaments, etc.

Le ministre de la Santé dénonce un “complot médiatique international”

« On appelle ça “la diète Maduro”. J’ai perdu 16 kilos en huit mois », ironise Ana Soto, une dirigeante du syndicat des personnels de l’Éducation de l’État de Lara, mère de quatre enfants. « On n’a plus de beurre ni de viande, ajoute-t-elle, nous consommons seulement des légumes et quelques féculents importés. Certains jours, nous ne mangeons que du riz et une fois tous les six mois, on fait la queue pour acheter un poulet. Ces derniers temps, la crise s’est encore aggravée. Nous n’avons plus de détergents, plus de dentifrice, plus de shampoing. Le pire, c’est les médicaments. Tous ceux qui, comme moi, font de l’hypertension ne peuvent plus se soigner. »

Les médicaments, les rares antibiotiques en particulier, se revendent au marché noir à des prix si élevés qu’une grande partie de la population ne peut pas se permettre de les acheter. On observe des phénomènes de malnutrition. De plus, de nombreux cas de diphtérie ont été relevés par des ONG internationales qui redoutent une épidémie. Elles ont fait remonter leurs observations sur cette situation sanitaire alarmante auprès des autorités nationales et ont proposé leur aide. Le ministre de la Santé a refusé et a même nié l’existence de risques épidémiques, il s’agirait selon lui d’ « un complot médiatique international » !

L’ASI, une organisation syndicale ouverte et indépendante

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   La délégation CFDT a rencontré les principaux responsables de l’ASI (Venezuela, octobre 2016) © DR CFDT.  

« Il faudrait 23 salaires minimum par mois à une famille de quatre personnes pour s’alimenter normalement et payer ses factures d’eau, d’électricité et de téléphone », précise Carlos Navarro [le salaire minimum équivaut à 19 euros]. Dans ce contexte dramatique, l’ASI critique vertement les failles béantes du pouvoir. Cependant, elle ne roule pour personne contrairement à la centrale bolivarienne acquise au pouvoir en place et à la centrale des travailleurs du Venezuela (CTV) qui soutient l’opposition au président Maduro. L’ASI compte dans ses rangs des « chavistes » et des opposants au régime. Elle défend les intérêts des salariés  et de ses 430 000 adhérents, en luttant contre la pauvreté, pour le respect des droits syndicaux, pour le passage de l’économie informelle à l’économie formelle. D’ailleurs, l’ASI organise les travailleurs de l’informel avec l’aide d’un syndicat dirigé par Aida Martinez dans l’État d’Aragua : « Nous avons réussi à mettre en place une instance tripartite avec le gouvernement, les patrons et les représentants des travailleurs de l’informel. Nous avons également formé 150 leaders syndicaux dans ce secteur », souligne-t-elle.

L’ASI prône le dialogue social, reste à l’écoute des salariés et recourt à la grève quand c’est nécessaire

L’ASI prône le dialogue social, reste à l’écoute des salariés et recourt à la grève quand c’est nécessaire. Mais c’est malheureusement souvent le cas lorsqu’il revient aux généraux de valider ou non des accords dument négociés entre partenaires sociaux. Depuis trois ans, les salariés de la raffinerie de sucre de Pío Tamayo à El Tocuyo, dans l’État de Lara, réclament leurs salaires. « L’usine a fermé à cause d’une mauvaise gestion et de la corruption, explique Reinaldo Bastidas, le secrétaire général du syndicat de l’entreprise. Depuis sa nationalisation et l’arrivée d’un général à sa tête, aucun investissement n’a été réalisé pour la maintenir en service. Résultat : 1 200 salariés sont à la rue et le Venezuela importe du sucre à prix d’or en dollars. » Le syndicat de la sucrerie était affilié à la centrale bolivarienne qui n’a rien fait pour les aider. Il est tout naturellement venu à l’ASI. Quant au général, fossoyeur de l’entreprise, il fait désormais une brillante carrière diplomatique.

Des alliés naturels : Cuba, la Chine et la Russie

Sur le plan politique, le président Nicolás Maduro, au pouvoir depuis trois ans, successeur d’Hugo Chávez, apparaît de plus en plus impopulaire, y compris parmi les plus chavistes de ses soutiens. Selon les sondages, entre 70 et 80 % de la population souhaite son départ, même si le chavisme a toujours les faveurs du peuple. L’opposition, qui détient les deux tiers des sièges à l’Assemblée nationale, a lancé une procédure de destitution. Celle-ci doit passer par un référendum que le pouvoir tente de faire échouer par tous les moyens. Début septembre, une manifestation anti-Maduro a rassemblé plus d’un million de personnes dans les rues de Caracas. Mais le pouvoir « hyper présidentiel » mis en place par Hugo Chávez résiste, notamment grâce à la bienveillance de ses alliés naturels que sont Cuba, la Chine et la Russie.

La prochaine échéance électorale devrait avoir lieu à l’été 2017 avec les élections des gouverneurs initialement prévues fin 2016. Après cela, le pays attendra 2019, le scrutin présidentiel pour envisager un changement… d’homme et de régime. À moins que le processus international de dialogue, dirigé par l’Espagnol José Luis Zapatero et les ex-présidents du Panama et de la République dominicaine, ne parvienne à trouver un compromis entre le président Maduro et son opposition. « C’est peu probable, estime un observateur, il n’y a pas de désir authentique de parvenir à un accord de part et d’autre.»

L’économie ne se porte pas mieux que la politique. Le pétrole (le pays dispose des plus grandes réserves mondiales) qui représente 96 % des revenus du pays a vu son cours divisé par trois depuis un an et demi. Résultat : le pouvoir coupe les dépenses, réduit les aides sociales et limite les importations. Dans un pays où l’économie est administrée par des militaires dits de gauche, souvent corrompus, cette chute du cours du brut provoque des pénuries de médicaments et de matières premières. Elle illustre aussi l’incapacité du régime à anticiper une telle chute, à préparer l’économie à une diversification de ses activités alors que le pays détient bien d’autres richesses peu ou mal exploitées telles que l’or ou la bauxite. Le régime se défend en niant les difficultés et en accusant l’opposition de sabotage économique. 

dblain@cfdt.fr

©Photos DR

 

Cecosesola, la coopérative autogestionnaire qui alimente 60 000 familles

En ces temps de pénurie alimentaire, la coopérative vénézuélienne des consommateurs Cecosesola installée à Barquisimeto dans l’État de Lara fait figure d’exception. Sur trois sites répartis dans cette ville d’un million d’habitants, Cecosesola parvient à alimenter en produits de base, légumes, féculents et produits d’hygiène, près de 60 000 familles des quartiers les plus pauvres de Barquisimeto. Cecosesola dispose également d’une coopérative de soins très moderne. Cette dernière profite à plusieurs centaines de familles moyennant une contribution mensuelle de 150 bolivars (0,15 euros).

Venezuela2016 CFDT DR« Près de 600 personnes travaillent sur nos trois sites, explique Teresa Correa, l’une des fondatrices de Cecocesola. Nous recevons tous le même salaire et nous pouvons être amenés à travailler sur tous les postes. » L’organisation, qui refuse toutes les subventions, travaille avec d’autres coopératives, de producteurs celles-là, mais aussi de boucherie et de distribution de produits de première nécessité (savon, lessive, etc.) avec lesquelles elle entretient des liens étroits. Dans un dialogue permanent, et de nombreuses réunions, les coopératives s’entendent pour planifier les cultures de manière à ce que les « ferias » (marchés) de Cecosesola soient régulièrement achalandées. La quasi-totalité des légumes arrivent à moitié prix par rapport aux tarifs pourtant imposés par le gouvernement. Les prix des autres produits varient jusqu’à 30 % moins chers du prix maximum imposé.

Tous au même niveau de responsabilité

« Si nous parvenons à maintenir ces prix bas, cela tient principalement à notre organisation et à notre manière de travailler, explique Gustavo Salas, l’autre fondateur de la coopérative. Avec les producteurs, nous ne nous référons pas au prix du marché. Parfois, nous sommes au-dessus, parfois en dessous. Nous pratiquons ce que nous appelons le juste prix qui rémunère correctement le producteur et reste acceptable pour l’acheteur. Cecosesola n’a pas de hiérarchie et a supprimé le maximum de bureaucratie et d’intermédiaires. De plus, tous les coopérateurs sont au même niveau de responsabilité. Nous n’avons pas d’instance décisionnelle, les décisions sont prises à l’unanimité. Nous travaillons également à grande échelle ce qui permet de réaliser des économies. »

Avec la crise qui sévit dans le pays, les activités de Cecosesola se sont complexifiées. L’approvisionnement en riz, huile, haricots rouges, sucre, farine qui constituent les premiers aliments consommés dans le pays s’est raréfié. « Nous achetons les haricots en sac de 50 kilos, nous voulions les vendre dans des petits sacs pour satisfaire davantage de monde mais c’est interdit pour des raisons sanitaires, raconte Teresa Correa, certains de nos producteurs ont été dévalisés en route. Des bandes mafieuses se sont introduites dans les files d’attente pour entrer dans les ferias et monnayer leurs places. Nous avons dû faire face et nous adapter à ces problèmes qui ont généré beaucoup de tensions dans la population. »

Depuis un an, des militaires sont présents dans les ferias de Cecosesola pour assurer la sécurité. « Ce n’est pas facile à gérer, souligne Endel Duarte, un coopérateur, nous avons beaucoup réfléchi à cette présence. Nous avons dû résister aux tentatives de certains militaires de se servir gratuitement. L’important pour nous est de ne pas laisser entrer l’esprit militaire dans nos têtes. »

Cecosesola a aujourd’hui une quarantaine d’années. Après avoir travaillé dans les pompes funèbres pour enterrer les morts des familles pauvres, puis transporté dans la ville les populations des quartiers les plus mal desservis, elle démontre qu’il est possible de nourrir des centaines de milliers de personnes dans un pays en crise et en marge d’une économie administrée. Un défi majeur !