Le harcèlement moral

Harcèlement moral, de quoi parle-t-on ?
Le harcèlement moral est défini par l’article L.1152-1 du Code du travail.
Il y a trois points essentiels dans la qualification du harcèlement moral :
des agissements répétés : il faut donc nécessairement que les faits fautifs se soient reproduits ;
ces agissements répétés doivent être susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique et mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ;
une (potentielle) dégradation des conditions de travail.
Pour caractériser le harcèlement moral, il suffit que les agissements répétés aient pour objet ou effet la dégradation des conditions de travail.
Qui peut être l’auteur du harcèlement ?
Le lien de subordination entre harceleur et harcelé n’est pas nécessaire
La Cour de cassation (1) a maintes fois rappelé que pour être auteur de harcèlement moral envers un salarié, il ne faut pas nécessairement être dans un lien de subordination avec la victime. Autrement dit, un collègue, un supérieur hiérarchique ou un employeur peuvent tout autant être auteurs d’un harcèlement moral.
L’intention de nuire n’est pas obligatoire pour être harceleur
Pour être harceleur, l’intention de nuire de l’auteur n’est pas nécessaire. Ainsi, la Cour de cassation maintient une jurisprudence constante (2) selon laquelle l’auteur du harcèlement ne peut arguer devant les juges qu’il n’était pas dans une intention délibérée de causer du tort au salarié harcelé.
La reconnaissance du harcèlement managérial et du harcèlement institutionnel
On parle de harcèlement managérial pour définir des méthodes de gestion d’un supérieur hiérarchique lorsqu’elles remplissent les conditions du harcèlement moral.
La Cour de cassation a souvent rappelé (3) que le harcèlement managérial peut se retrouver dans plusieurs faits isolés, même de nature différente, tant qu’ils démontrent un harcèlement moral. Ces faits-là constitueront alors dans leur ensemble le harcèlement devant le juge.
Lorsque le harcèlement résulte plus globalement des conséquences d'une politique décidée au niveau de l'entreprise, on parle dans ce cas d'un harcèlement moral institutionnel.
La cour d’appel de Paris a reconnu cette forme de harcèlement dans un arrêt France Télécom (CA Paris, 30.09.22). Tel est donc le cas d’une entreprise qui a lancé un plan de restructuration prévoyant des suppressions de poste malgré les alertes psychosociales et qui a introduit parmi ses pratiques managériales des pratiques harcelantes. La Cour de cassation a confirmé cette lecture affirmant que les dirigeants d’une société peuvent être sanctionnés pénalement pour avoir commis un « harcèlement moral institutionnel », c’est-à-dire résultant d’une politique d’entreprise conduisant, en toute connaissance de cause, à la dégradation des conditions de travail des salariés (Cass.soc. 21.01.25, n° 22-87.145).
La protection offerte par la loi à la victime et aux témoins
Lorsqu’on est victime de harcèlement et/ou qu’on relate de bonne foi des faits de harcèlement moral, le Code du travail en ses articles L.1152-2 et suivants garantit une protection contre les représailles.
La mauvaise foi se trouve dans le fait de dénoncer « de façon mensongère » (4), notamment pour déstabiliser l’entreprise.
Ainsi, la rupture du contrat de travail qui serait faite pour répondre aux accusations de harcèlement moral sera nulle. La position de la Cour de cassation (5) est très claire, et le licenciement ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne soient pas établis.
La Cour de cassation (6) a renversé une jurisprudence jusque-là constante puisque désormais, le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié à ce titre, et ce, même s’il n’a pas expressément qualifié les faits de harcèlement moral lors de la dénonciation.
Le Code du travail prévoit des sanctions pénales en cas de discrimination des victimes ou témoins de faits de harcèlement moral, portées à 1 an d’emprisonnement et 3750€ d’amende (7).
Les obligations de l’employeur
L’obligation de sécurité de l’employeur
Conformément à l’article L.4121-1 du Code du travail, pèse sur l’employeur une obligation de sécurité envers les salariés. Autrement dit, l’employeur à l’obligation de mettre en œuvre des mesures pour préserver la santé mentale et physique des salariés en s’appuyant sur les principes généraux de prévention (8).
L’employeur doit mettre en œuvre :
des actions de prévention des risques professionnels ;
des actions d’information et de formation ;
une organisation et des moyens adaptés (mise à jour selon les circonstances).
L’employeur doit être acteur de la prévention de toute forme de harcèlement. Ainsi, il prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ces agissements. Il informe par tous moyens les salariés, les personnes en formation ou en stage, des dispositions pénales relatives au harcèlement.
Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le règlement intérieur doit nécessairement rappeler les dispositions relatives au harcèlement moral.
Les réactions possibles de la victime
En tant que victime, qui avertir ?
Vous pouvez demander l’intervention des représentants du personnel au comité économique et social. Ces derniers disposent d’un droit d’alerte, par lequel ils pourront saisir l’employeur. L’employeur devra alors, sans délai, procéder à une enquête et prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à la situation de harcèlement.
Bon à savoir :
Dans le cadre du droit d’alerte, en cas de carence de l’employeur ou à défaut de solution apportée, le salarié ou un élu au CSE (avec accord écrit du salarié) peuvent saisir le bureau de jugement du conseil des prud’hommes, lequel statue en procédure accélérée au fond (9).
Lorsque le harcèlement moral se couple avec un motif discriminatoire, la victime peut également saisir le Défenseur des droits.
Des associations proposent également soutien, conseil et accompagnement aux victimes.
Il vous est également possible de saisir l’inspecteur du travail, lequel constatera les faits sur un procès-verbal.
Vous pouvez aussi contacter votre médecin du travail.
Dans tous les cas, n’hésitez pas à prendre conseil auprès d’un syndicat pour vous aider dans vos démarches.
En tant que victime, quelles procédures ?
La médiation
Une procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l'entreprise s'estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause.
Le choix du médiateur fait l'objet d'un accord entre les parties.
Lorsque la conciliation échoue, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime (Art. L1152-6 C.trav.)
Agir au conseil de prud’hommes
Lorsque l’on est victime de harcèlement au travail, il est possible d'agir devant le conseil de prud'hommes pour faire reconnaitre ce harcèlement et pour obtenir une indemnisation du préjudice subi. La responsabilité de l’employeur peut être recherchée même si le harcèlement provient d’un autre salarié (un collègue, un responsable hiérarchique) au titre du manquement à son obligation de sécurité (10).
Le salarié doit agir dans les 5 ans à compter des derniers agissements fautifs (11). Plus précisément, le délai de prescription court en principe à compter du dernier agissement subit. Il s'agit du dernier acte de harcèlement commis et dès lors que l'action n'est pas prescrite le juge peut retenir l'ensemble des faits invoqués, y compris ceux commis avant le délai de prescription le cas échéant (12).

Bon à savoir :
L’article L.1154-2 du Code du travail permet aux organisations syndicales représentatives dans l’entreprise d’agir en justice, en lieu et place avec l’accord écrit de la victime de harcèlement. Cela s’applique également à la procédure devant le juge pénal.
Comment prouver le harcèlement que je subis ?
En matière de harcèlement, la charge de la preuve est allégée : la victime n’a pas a prouver le harcèlement et peut se contenter d'apporter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. De même, la victime n’a pas à prouver l’intention de nuire du harceleur (13).
En face, l’employeur s’il en est l’auteur aura à démontrer que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement ou, si sa responsabilité est recherchée au titre d’un manquement à son obligation de sécurité, qu’il a fait cesser immédiatement le trouble et mis en œuvre au préalable toutes les mesures de prévention. S’il est attrait en justice après une sanction considérée comme des "représailles" de la dénonciation d’un harcèlement, il devra justifier sa mesure par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme ensuite sa conviction après avoir ordonné, si nécessaire, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il en est de même si la victime est un candidat à un emploi à un stage ou à une formation en entreprise (14).
Quelles sanctions ?
Si l’auteur du harcèlement est un salarié, la première des sanctions est nécessairement disciplinaire, c’est-à-dire prise par l’employeur. Elle va de la mutation au licenciement pour faute grave.
Des dommages et intérêts peuvent également être alloués au salarié victime devant les juges, à la charge de l'employeur, notamment en cas de manquement à son obligation de sécurité.

Pour rappel :
Jusqu’en 2015, l’employeur était tenu à une obligation de sécurité dite “de résultats” : c’est à dire que l’obligation devait être remplie, et en l'occurrence le harcèlement évité, quelle que soit la situation à laquelle faisait face l’employeur.
Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2015 dit “Air France”, cette obligation de sécurité n’est plus qu’une obligation dite “de moyen” ou de sécurité « renforcée ».
Depuis cet arrêt, l’employeur peut dégager sa responsabilité dès lors qu’il prouve avoir satisfait à son obligation de sécurité en mettant en œuvre les mesures nécessaires visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.
Lorsqu’un licenciement a pour origine une situation de harcèlement moral subie ou dénoncée par le salarié licencié, le licenciement encourt la nullité (15). Dans ce cas précis, le salarié peut obtenir notamment sa réintégration au sein de l’entreprise, ou bien une indemnité qui ne peut être inférieur à 6 mois de salaire.
Agir au pénal
La victime de harcèlement moral au travail peut saisir la justice pénale.
Si elle souhaite qu’une enquête de police soit diligentée pour que soit établie la matérialité des faits, elle pourra effectuer une plainte simple. Si celle-ci est classé sans suite par le Procureur de la République, la victime pourra porter plainte avec constitution de partie civile pour saisir un juge d’instruction.
Si la victime dispose de suffisamment d’éléments de preuve, elle peut effectuer une citation directe pour convoquer l’auteur des faits directement devant un tribunal.
Le délai pour agir est de 6 ans, à partir du fait le plus récent de harcèlement (16).
Le jugement rendu au pénal, s’il ne reconnait pas l’existence d’un harcèlement à défaut de caractérisation de l’élément intentionnel, ne lie pas le Conseil de prud’hommes. Autrement dit, le harcèlement peut être admis au civil alors – même qu’il ne l’a pas été au pénal (17).
Conformément au Code pénal (18), toute personne qui se rend coupable de harcèlement sexuel ou moral est passible d’une sanction pénale pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison et 30 000 € d’amende (rapportés à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende en cas de circonstances aggravantes).
(1) Cass. soc., 6 décembre 2011, n°10-82.266.
(2) Cass. soc., 10 novembre 2009, n°08-41.497.
(3) Cass. soc., 26 juin 2019, n°17-20.723.
(4) Cass. soc., 6 juin 2012, n°10-28.345.
(5) Cass. soc., 10 mars 2009, n°07-44.092.
(6) Cass. soc., 19 avril 2023, n°21-21.053.
(7) L.1155-2 C.trav.
(8) L.4121-2 C.trav.
(9) L.2312-59 C.trav.
(10) L.1152-4 C.trav.
(11) 2224 C.Civil
(12) Cass. soc., 9 juin 2021, nº 19-21.931.
(13) Cass. Soc., 8 juillet 2020, nº 18-26.385.
(14) L.1154-1 C.trav.
(15) L.1235-3-1 C.trav.
(16) Art. 8 C.Proc.Penale.
(17) Cass. Soc., 18 janvier 2023, nº 21-10.233.
(18) 222-33-2 C.pén.
Pour aller plus loin
Art. L. 1152-1 et s. C.trav et 222-33 du C. pénal pour le harcèlement moral
Art. L. 1154-2 C.trav : actions en justice des organisations syndicales
Art. L. 1154-1 C.trav : charge de la preuve du harcèlement
Art. L. 1155-2 C.trav : sanctions pénales et protection des victimes et témoins du harcèlement moral