Harcèlement moral : le salarié n'a pas à qualifier les agissements subis dans son alerte !

  • Obligation de prévention des risques professionnels

En matière de santé et de sécurité, l’exemplarité est attendue de la part de l’employeur. Dans cet arrêt du 8 janvier 2025, la Cour de cassation nous rappelle deux principes. Tout d’abord, l’employeur doit agir en cas de signalement interne, peu importe que les agissements soient qualifiés de harcèlement moral. Ensuite, l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition du harcèlement moral. Cass.soc.08/01/2025, n°23-19.996

Faits et procédure

Un salarié, licencié pour faute grave, saisit le CPH en 2017 pour obtenir la nullité de son licenciement et le paiement de diverses sommes.

Pour justifier sa demande, il invoque notamment un harcèlement moral et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. A plusieurs reprises en effet, ce salarié a fait part à son employeur des problèmes rencontrés avec son supérieur hiérarchique : difficultés à travailler ensemble, sentiment de rejet et de découragement, anxiété induisant un mal-être au travail, reproches, attitude agressive et acharnement à son égard.

Pour réponse, il est convoqué à un entretien préalable au licenciement qui aboutira à la rupture du contrat de travail…

Contrairement au CPH, la Cour d’appel reconnait la nullité du licenciement car le salarié a été licencié notamment pour avoir dénoncé le harcèlement moral qu'il disait subir. Pour autant, elle rejette deux de ses demandes en indemnisation. D’une part, le salarié n'avait jamais qualifié les faits dénoncés de harcèlement moral. Ainsi, cela libérait l'employeur de son obligation en matière de sécurité. D’autre part, elle estime que la présomption de harcèlement moral n’est pas établie par le salarié et refuse donc son indemnisation.

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel sur la nullité du licenciement et sur le rejet de la reconnaissance du harcèlement moral mais casse l’arrêt sur le manquement à l’obligation de sécurité.

Bon à savoir

Selon l’INRS, il existe 3 grandes catégories de risques psycho-sociaux :

- le stress (déséquilibre entre les contraintes et les ressources),

- les violences internes (harcèlement moral/sexuel, conflits exacerbés),

- les violences externes (insultes, menaces, agressions, incivilités).

L’exposition à ces risques peut engendrer des conséquences sur la santé des salariés : maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, affections psychiques, épuisement professionnel, voire de suicide.

Deux principes incontournables rappelés par la Cour de cassation

D’abord, en cas de signalement interne, l’employeur doit prendre des mesures immédiates propres à faire cesser les agissements susceptibles de constituer un harcèlement moral, même si le salarié n’a pas qualifié les faits ainsi.

Lorsque l’employeur reçoit un signalement interne pour une situation relevant de la santé et de la sécurité, il doit y être attentif, réactif et diligent comme l’impose l’obligation de moyen renforcée à laquelle il est tenu. Une action immédiate et efficace est attendue pour faire cesser le trouble dans l’entreprise.

Ici, la Cour de cassation apporte une précision qui faite suite à une jurisprudence constante depuis 2023 : le salarié n’a pas à qualifier les agissements subis de harcèlement moral pour que l’employeur soit obligé d’agir. Auparavant, il était exigé du salarié qu’il qualifie lui-même les agissements de harcèlement moral dans sa lettre pour bénéficier de la protection du Code du travail, notamment de la nullité du licenciement.

Une limite tout de même : la mauvaise foi du salarié révoque cette protection.

Bon à savoir 

Selon l’article L.1152-1 C.trav, le harcèlement moral suppose la réunion de 2 conditions :

- Les agissements subis doivent être répétés.

- Ces agissements ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dans une décision récente, la chambre sociale de la Cour de cassation clarifie la seconde condition : la dégradation effective des conditions de travail ou de l'état de santé du salarié n’est pas nécessaire. La simple potentialité de cette dégradation suffit pour qualifier le harcèlement moral.

Vous souhaitez en savoir plus ? Cet arrêt a été commenté la semaine dernière sur notre site. Vous trouverez le lien à la fin de l'article.

Ensuite, l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle.

L’employeur a l’obligation de prévenir l’ensemble des risques dans l’entreprise, il doit faire son possible pour éviter qu’ils se produisent. Pour cela, il doit appliquer les principes généraux de prévention énumérés à l’article L.4121-2 du Code du travail. La prévention est centrale en matière de santé au travail. Elle doit primer sur la réparation.

Le harcèlement moral porte atteinte à la dignité humaine, ce qui explique qu'il bénéficie d’une protection particulière, comme pour la discrimination. Cela justifie l’ensemble du dispositif prévu en cas d’atteinte à ce droit fondamental.

Cette jurisprudence permet de rappeler que même si le harcèlement moral n’est pas qualifié, il peut y avoir manquement à l’obligation de santé et de sécurité.

A notre sens, l’inverse est aussi possible : il peut y avoir reconnaissance du harcèlement moral sans que le manquement à l’obligation de santé et de sécurité soit caractérisé.

Bon à savoir

Les élus au CSE disposent d'un droit d'alerte pour atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles au bénéfice d'un salarié de l'entreprise (article L.2312-59 C trav). 

Pour l'actionner, l'élu qui a constaté l'atteinte saisit l'employeur afin de déclencher une enquête interne paritaire. Elle doit mener à la mise en œuvre des mesures nécessaires pour remédier à la situation.

A défaut, le CPH sera compétent pour ordonner ces mesures.

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.soc.08/01/2025, n°23-19.996

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