Expertise pour risque grave : les témoignages anonymisés doivent être pris en compte

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La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur la valeur d’un témoignage anonymisé dans le cadre du vote d’une expertise pour risque grave au CSE. Ce témoignage devait-il être totalement écarté ou être pris en compte sous certaines conditions ? La Cour confirme sa position : pour être pris en compte, le témoignage anonymisé doit être corroboré par d’autres éléments de preuve. Cass.soc.11.12.2024, pourvoi n°23-15.154.

Des conditions de travail nécessitant une expertise selon les représentants du personnel

Un Comité Social et Economique d’Etablissement (CSEE) de l’entreprise GRDF souhaite recourir à une expertise pour risque grave en vertu de l’article L.2315-94 C trav.

En effet, il a été remonté auprès de cette instance que les conditions de travail des chargés d’affaires étaient dégradées : surcharge de travail, moyens professionnels défaillants et inadéquats, pression managériale constante dans un climat de tensions.
Pour prouver la nécessité de cette expertise, le CSEE doit justifier d’un risque grave, identifié et actuel, constaté dans l’établissement. Dans cette affaire, le CSEE se base notamment sur des attestations qu’il a pris soin d’anonymiser pour éviter d’éventuelles représailles aux témoins.
Le 24 novembre 2022, l’expertise est votée.

L'essentiel à savoir sur l'expertise pour risque grave : 

  • Le CSE vote l’expertise, désigne l’expert de son choix et rédige le cahier des charges pour la mission.
  • Ensuite, l’expert informe l’employeur du coût prévisionnel, de l’étendue et de la durée de l’expertise.
  • L’employeur finance totalement l’expertise pour risque grave.
  • L’expert a droit d'accès aux locaux et aux documents utiles pour réaliser sa mission, dans le respect de ses obligations de secret et de discrétion.
  • L’expert remet son rapport dans un délai de 2 mois maximum.

L’employeur conteste le vote de l’expertise

Le 2 décembre 2022, GRDF saisit le Tribunal judiciaire de Nancy pour contester la nécessité de l’expertise et annuler la délibération du 24 novembre 2022 comme le prévoit l’article L.2315-86 C trav.

Le 18 avril 2023, le Tribunal judiciaire de Nancy fait droit à la demande de l’employeur. Il estime que le principe du contradictoire n’est pas respecté car les témoignages sont anonymisés. Sans la connaissance du nom du salarié, l’employeur ne peut pas s’assurer de sa fonction et donc du lien avéré avec le risque grave dénoncé.

Le CSEE se pourvoit en cassation.

Le juge pouvait-il écarter totalement les témoignages anonymisés en invoquant le non-respect du principe du contradictoire ?

Ce n’est pas ce que retient la Cour de cassation en se basant sur l’article 6 §1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, disposition garantissant le droit à un procès équitable. La Cour énonce que « si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l'identité est cependant connue de la partie qui produit ces témoignages, lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence. »

Le juge procède en 2 étapes : 
-    Tout d’abord, il distingue témoignage anonyme et témoignage anonymisé.
       o    Le témoignage anonyme provient d’une personne dont l’identité est inconnue par toutes les parties.
       o    Le témoignage anonymisé est rendu anonyme a posteriori par la partie qui utilise cette pièce. Ici, les témoins sont connus par le CSEE et par le juge mais pas par la partie adverse, l’employeur, pour des raisons de protection des témoins. 
Le juge précise bien que l’anonymisation ne porte pas atteinte au principe du contradictoire car la société GRDF est en mesure d’en discuter le contenu, ce qui est sans conséquence sur sa défense. Il se base ici sur les articles 15 et 16 du Code de procédure civile.

-    Ensuite, le juge indique que pour apprécier la valeur et la portée du témoignage anonymisé, il doit être pris en considération avec l’ensemble des pièces du dossier.

L’affaire est renvoyée devant le Tribunal judiciaire de Metz.

Une position similaire en matière de contentieux disciplinaire

Ici, la Cour de cassation suit le même raisonnement que dans son arrêt du 19/04/2023.
Dans cette affaire, un salarié est sanctionné par une mise à pied disciplinaire. L’employeur s'est basé sur divers éléments pour justifier la sanction, dont une attestation anonymisée par ses soins, pour éviter toute représaille à l'encontre du témoin. Le salarié saisit la justice pour annuler la sanction et la Cour d’appel fait droit à sa demande. Elle déclare sans valeur probante l'attestation anonymisée. La Cour de cassation casse l'arrêt et retient qu'un tel témoignage peut être pris en compte s'il est étayé par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence.

La Cour de cassation affine sa position sur la force probante des éléments de preuve qui lui sont présentés et vient ainsi faciliter la recherche de la vérité.
 

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass. Soc., 11/12/2024, n°23-15-154

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