Expertise : l’audition des salariés consentants autorisée en cas de risque grave !

  • Droits et moyens des représentants des salariés

Lorsque le CSE décide de recourir à une expertise risque grave, l’expert désigné doit-il obtenir l’accord de l’employeur afin d’entendre les salariés consentants ? Pour la Cour de cassation, la spécificité de l’expertise risque grave justifie de ne pas avoir à obtenir cet accord. Cass.soc.10.07.2024, n°22-21.082.

Un groupe hospitalier en souffrance et un employeur qui conteste l’expertise

Le service des ressources humaines d’un groupe hospitalier comptant sept établissements est en souffrance ; des risques psychosociaux s’y manifestent si bien que certains agents quittent l’établissement. Le Comité d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail désigne donc un expert sur le fondement de l’existence d’un risque grave. 
 

Bon à savoir

Le CSE a la possibilité de faire appel à un expert agréé « lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ». Cette faculté, qui était avant les ordonnances consacrée à l’article L4614-12 du Code du travail et conférée au comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail, figure depuis 2017 dans des termes identiques à l’article L2315-94, 1° du Code du travail et relève des attributions du CSE.

Le périmètre de l’expertise demandée se limitait au service des ressources humaines. Cependant, bien que situé au siège, ce service était en constante interaction avec les autres services. C’est pourquoi, l’expert a estimé nécessaire d’auditionner non seulement le personnel du service RH, mais également un certain nombre d’autres agents de l’établissement, et même ceux étant récemment partis.
 

Le groupe hospitalier a saisi le juge afin de contester le coût, qu’il juge excessif. Il fait valoir que ce coût est en grande partie lié au nombre élevé de salariés auditionnés, ce que, selon lui, rien ne justifiait. 
 

Bon à savoir 

En application de l’article L.2315-86, 3° du Code du travail, l’employeur peut contester le coût prévisionnel, l’étendue et la durée de l’expertise. L’employeur dispose alors d’un délai de 10 jours pour saisir le tribunal judiciaire à compter de la notification du cahier des charges de l’expertise (R2315-49 C.trav.).


Toutefois, les juges du fond rejettent sa demande. Selon eux, l’expertise demandée impose que l’ensemble de la chaîne hiérarchique et organisationnelle, ainsi que les intervenants en matière de santé au travail et les représentants des salariés, de même que chacun des agents de la direction soient auditionnés.
 

L’employeur se pourvoit donc en cassation.

La possibilité pour l’expert agréé d’auditionner les salariés sans l’accord de l’employeur

Devant la Cour de cassation, l’employeur fait notamment valoir que les juges du fond auraient créé un « droit d’auditionner les salariés » au profit de l’expert, alors que le Code du travail ne prévoit pas.
 

Pour bien comprendre cet argument, il faut avoir à l’esprit que la Cour de cassation a, dans une décision de 2023, conditionné le droit pour l’expert d’auditionner les salariés non seulement à leur accord, mais également à celui de l’employeur. Autrement dit, la Haute juridiction a récusé tout droit de l’expert d’organiser des auditions avec les salariés consentants sans avoir au préalable recueilli l’autorisation de l’employeur (1). 

Toutefois, dans cet arrêt de 2023, ni l’objet du recours à l’expertise (consultation sur la politique sociale), ni le type d’expert (expert-comptable) n’étaient les mêmes que dans notre affaire. Aussi, la Cour de cassation a-t-elle dû répondre à la question de savoir si cette solution devait être étendue en cas de recours à un expert agréé sur le fondement d’un risque grave.
 

Et c’est par la négative qu’elle a choisi d’y répondre au terme d’un raisonnement reposant sur plusieurs fondements : 
 

  • celui consacrant le droit de désigner un expert agréé en cas de risque grave tout d’abord (v.ci-dessus);
  • celui affirmant ensuite du droit de l’expert d’entrer dans l’établissement et d’obtenir « les informations nécessaires à l’exercice de sa mission » auprès de l’employeur (2);
  • ceux enfin consacrant le devoir de l’employeur de prendre des mesures de prévention et permettant au CHSCT (désormais au CSE) de contribuer « à la promotion de la prévention des risques professionnels » et de susciter « toute initiative qu’il estime utile dans cette perspective ».

     

En définitive, la Cour de cassation décide que :
« l’expert désigné dans le cadre d’une expertise pour risque grave, s’il considère que l’audition de certains salariés de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, peut y procéder à la condition d’obtenir l’accord des salariés concernés ». 


Donc dans ce cas, l’accord de l’employeur n’est pas nécessaire et c’est à lui qu’il appartiendra de démontrer au juge que les auditions prévues par l’expert ne sont pas nécessaires au regard de sa mission !


Cette décision est bienvenue et semble valable sous l’empire des dispositions issues des ordonnances de 2017 et confiant la prérogative qui était celle du CHSCT au CSE. En effet, ni les textes ni les raisons de son adoption ne sont différent. La solution choisie par la Haute juridiction est d’ailleurs très bien expliquée dans l’avis rendu par l’avocate générale, Mme Laulom. A la différence de l’expert-comptable, l’expert habilité ne travaille pas à partir de documents préexistants. L’expert habilité doit lui-même construire sa méthodologie en fonction du risque à propos duquel il est missionné. Et lorsqu’il s’agit de RPS, on voit mal en effet comment il pourrait se passer d’entretiens avec les salariés. C’est pourquoi, l’obliger à obtenir l’accord de l’employeur porterait atteinte, selon l’avocate générale, au principe même de ce type d’expertise.


(1)    Cass.soc.28.06.2023, n°22-10293.
(2)    Droit à l’époque consacré à l’article L.4614-13 C.trav. et repris désormais aux articles L2315-82 et L2315-83 C.trav.

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.soc.10.07.2024, n°22-21.082

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