CSE?: quel contrôle du juge sur les établissements mis en place par accord??
La mise en place des CSE implique de définir les établissements distincts au sein de l’entreprise. Si le législateur a posé certains critères, que ces établissements doivent respecter en cas de mise en place par l’employeur, qu’en est-il lorsque les établissements sont définis par la voie de la négociation, comme y encourage la loi??
Ces mêmes critères, notamment d’autonomie de gestion, s’appliquent-ils?en cas de saisine du juge ? Non, répond la Cour de cassation dans un arrêt important du 1er février?: la liberté contractuelle des partenaires sociaux a pour seule limite le respect du principe de participation !
Cass.soc.1er.02.23, n°21-15371.
Les établissements distincts sont mis en place par accord collectif, un syndicat non-signataire les conteste…
Un accord d’entreprise a été signé entre la société Air France et les syndicats représentatifs majoritaires dans l’entreprise, dont la CFDT, représentant une audience d’environ 74 %.
L’article L.2313-2 du Code du travail prévoit qu’un accord d’entreprise strictement majoritaire (sans possibilité de consultation des salariés pour ratifier l’accord dont les signataires ne recueilleraient pas l’audience nécessaire) «?détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts?».
En l’absence d’un tel accord, et en l’absence d’un délégué syndical, l’article L.2312-3 du Code du travail autorise l’employeur et le CSE (à la majorité des titulaires) à déterminer le nombre et le périmètre des établissements par accord.
Cet accord a divisé la société en 7 établissements, dont l’un d'entre eux regroupe la Direction générale des opérations aériennes (qui assure la gestion des pilotes) et la Direction générale service en vol (compétente pour la gestion des personnels navigants commerciaux et des personnels commerciaux sédentaires).
Le syndicat des pilotes assigne la société et les syndicats signataires devant le tribunal judiciaire (à l’époque TGI) afin de demander l’annulation de l’accord. Il demande en outre la mise en place d’un établissement distinct CSE propre aux pilotes de ligne.
En substance, ce syndicat prétend que les problématiques propres aux pilotes (dispositions spécifiques des accords, problèmes techniques, questions spécifiques en matière de santé et de sécurité…) ne peuvent être correctement traitées dans un CSE au sein duquel ceux-ci ne détiennent pas la majorité lors des votes.
En outre, ce syndicat soutient que, comme pour la mise en place d’un établissement distinct par l’employeur, la reconnaissance d’un établissement distinct suppose l’autonomie de gestion du responsable d’établissement en matière de gestion du personnel.
Lorsque, à défaut d’accord, l’employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, il doit tenir compte de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement en matière de gestion du personnel (art. L.2313-4 C.trav.)
La cour d’appel ayant rejeté sa demande, le syndicat forme un pourvoi.
Etablissements distincts fixés par accord?: une grande liberté laissée aux partenaires sociaux
Saisie du pourvoi, la Cour de cassation a donc dû préciser le contrôle du juge sur les accords déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts.
Se livrant à une lecture minutieuse du Code du travail, la Haute juridiction relève dans sa notice que?:
La loi privilégie la voie négociée et ne fixe aucun critère pour les établissements distincts dans ce cadre.
C’est ainsi, nous explique la Cour, qu’elle a déjà pu décider que l’employeur ne peut procéder à une mise en place unilatérale des établissements qu’en cas d’échec préalable des négociations sur ce point (1). Pour la Chambre sociale, la priorité de l’accord est clairement établie par la loi.
La Chambre sociale souligne par ailleurs que, selon la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, les Etats membres peuvent confier aux partenaires sociaux au niveau approprié, y compris celui de l’entreprise ou de l’établissement, le soin de définir librement et à tout moment par voie d'accord négocié les modalités d'information et de consultation des travailleurs.
Elle rejette donc le pourvoi, approuvant ainsi la cour d’appel d’avoir décidé que ?:
«?les signataires d'un accord (…) déterminent librement les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts au sein de l'entreprise?».
Dans sa notice, la Haute juridiction explique qu’en cas d’accord, le juge ne doit pas exercer le même contrôle que celui exercé sur les établissements fixés par une décision unilatérale de l’employeur. Ainsi, le critère de l’autonomie de gestion n’a-t-il pas à s’appliquer, ni celui, dégagé par la Cour, selon lequel l’établissement doit être «?de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative?» (2).
Un contrôle du juge à l’aune du principe de participation
A cette grande marge de manœuvre laissée aux négociateurs, la Haute juridiction pose néanmoins une limite?: le respect de la Constitution, en particulier de l’alinéa 8 du Préambule, qui consacre le principe de participation.
Pour la Cour de cassation, le juge n’a pas à appliquer des critères que ni la loi ni la Directive ne prévoient, «?à la condition toutefois, eu égard au principe de participation consacré par l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qu'ils soient de nature à permettre la représentation de l'ensemble des salariés.?»
C’est pourquoi la Cour de cassation prend le soin de vérifier le contrôle exercé par la cour d’appel à cet égard. Elle relève que cette dernière a constaté une représentation des pilotes supérieure en termes de nombres d’élus à leur proportion dans les effectifs, une CSSCT dédiée aux pilotes, ainsi que le fait que n’importe quel élu peut exercer un droit d’alerte.
Il apparaît donc que la cour d’appel avait justement vérifié que les pilotes étaient bien représentés avant de refuser d’annuler l’accord.
Cette solution permet aux partenaires sociaux de s’affranchir du découpage de l’entreprise, souvent opéré par l’employeur en termes d’autonomie de gestion. Ce niveau est certes pertinent à certains égards, mais il favorise rarement la proximité, indispensable en l’absence de représentants dédiés. A défaut de représentants de proximité, les négociateurs pourront ainsi tenter d'obtenir la mise en place de CSE à un niveau moins centralisé que celui auquel conduit souvent le critère de l'autonomie de gestion.
Quant à la question de savoir si la reconnaissance des établissements permet l’exercice effectif des prérogatives de l’institution, il appartient aux signataires d’en juger, sauf malentendu…
La prudence est de mise si le juge est saisi par un syndicat signataire de l’accord
Dans l’affaire soumise à la Haute juridiction le 1er février, le juge avait été saisi par un syndicat non-signataire de l’accord. Elle statuait donc sur la validité de l’accord.
Or, dans sa notice, la Cour de cassation nous rappelle que la solution n’aurait pas été en tous points identiques si elle avait été saisie par un syndicat signataire. Dans ce cas, un contrôle sur l’exercice effectif de ses prérogatives par l’institution s’impose. Les parties étant alors en désaccord sur ce qu’elles avaient signé, il s’agit d’un contrôle d’interprétation de l'accord, ainsi qu’elle en a décidé dans un arrêt de décembre dernier (3).
1. Cass.soc.17.04.19, n°18-22948.
2. Cass.soc.9.06.2021, n°19-23153.
3. Cass.soc.14.12.22, n°21-19551.