Télétravail : l'employeur ne peut pas se cacher derrière son obligation de sécurité pour refuser les préconisations du médecin du travail !

  • Inaptitude au travail

Dans cet arrêt, la Cour avait à se prononcer sur la légitimité du refus de l’employeur de mettre en place le télétravail sur préconisation du médecin du travail au motif qu’il n’avait pas pu vérifier la conformité du domicile du salarié.

La réponse de la cour de cassation est sans ambiguïté : au nom du droit au respect de sa vie privée, le salarié est fondé à refuser la visite de son domicile par l’employeur. Ce dernier ne peut refuser unilatéralement la mise en œuvre des préconisations du médecin du travail en invoquant son obligation de sécurité, alors que des voies de recours existent. Cass. soc. 13.11.2025, n°24-14.322

 

Dans cette espèce, une salariée d’une caisse d’assurance retraite et de santé au travail s’est vu préconiser par le médecin du travail deux jours de télétravail, dans le cadre d’une reprise suite à un long arrêt maladie. L’employeur subordonnait la mise en place de cette préconisation au fait de visiter le domicile de la salariée, afin de s’assurer de sa conformité. Face au refus de la salariée, l’employeur concluait qu’il était donc impossible de mettre en place le télétravail.

Cette dernière saisissait le conseil de prud’hommes d’une demande de dommages-intérêts, car elle estimait bien logiquement que son employeur avait manqué à son obligation de sécurité en ne respectant pas les préconisations du médecin du travail. Déboutée en première instance puis en appel, elle formait un pourvoi en cassation.

La chambre sociale rendait sa décision aux visas des articles 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, 8 de la CEDH, 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et 9 du Code civil, ainsi que des articles du Code du travail concernant l'obligation de sécurité de l'employeur et ceux régissant les préconisations du médecin du travail. 

Droit au respect de sa vie privée et de son domicile

Le visa de la Cour est particulièrement symbolique puisqu’il rappelle les grands textes de principe de protection de la vie privée et du domicile. En matière de télétravail, la Charte unilatérale ou l’accord collectif qui l’instaure peuvent prévoir des dispositions qui permettent de s’assurer de la conformité du domicile du salarié, notamment en matière de sécurité et d’ergonomie. Mais ces dispositions ne prévoient jamais d'obligation pour le salarié de laisser l’accès à son domicile. 

Bon à savoir 

L’ANI du 19 juillet 2025 relatif au télétravail prévoit que l’accès au domicile est subordonné à l’accord du salarié. 

L’ANI du 26 novembre 2020, s’il ne reprend pas explicitement cette précision, tend à confirmer cette exigence d’autorisation du salarié. Même les agents de contrôle de l’inspection du travail ne peuvent pénétrer au domicile du salarié (lorsqu'il s'agit d’un des lieux d’exercice du travail) qu’après en avoir reçu l’autorisation des occupants. 

Dans une réponse à une question écrite posée au ministre du Travail en mars 2023, s’agissant du droit de visite de l’employeur au domicile du salarié en télétravail, il était indiqué que si l’employeur reste tenu de son obligation de sécurité à l’égard de son salarié placé en télétravail, les mesures de mise en œuvre peuvent différer selon que les conditions de travail restent entièrement à la main de l’employeur (dans le cas du présentiel), ou bien qu’elles relèvent en partie de la vie personnelle du salarié (dans le cas du télétravail). 

Dans le premier cas, l’employeur peut mettre en place des actions de prévention directe, dans le second il doit privilégier les actions d’informations, de formation, d’assistance. 

L’employeur aurait pu solliciter le médecin du travail pour avoir des précisions sur la mise en œuvre de sa recommandation, demander l’aide sur service de prévention, etc. L’obligation de sécurité de l’employeur n’est donc pas atténuée, mais elle doit être adaptée et en réalité particulièrement renforcée puisqu’elle vient compenser l'impossibilité d’agir directement dans le domicile.

Respect des préconisations du médecin du travail

Comme on l’a vu plus haut, en cas de préconisation du médecin du travail, le recours au télétravail perd son caractère volontaire, il s’impose aussi bien au salarié qu’à l’employeur. Sa remise en cause ne peut passer que par la voie de recours prévue, à savoir la saisine du conseil de prud’hommes sous la forme des référés. 

C’est sur ce point que la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel : elle rappelle opportunément que quel que soit le motif invoqué, l’employeur ne peut décider unilatéralement de ne pas mettre en œuvre la préconisation du médecin du travail. Il doit saisir la formation de référés du conseil de prud’hommes dans le délai de quinze jours prévu. Il est particulièrement intéressant que la Cour rappelle ce point dans cette espèce, puisque l’employeur invoquait son obligation de santé et de sécurité envers le salarié pour refuser la mise en œuvre des préconisations du médecin du travail.

Ce cas d'espèce permet de bien distinguer entre deux modalités de mise en place du télétravail : dans un cas elle relève d’une possibilité d’organisation du travail offerte au salarié, dans l’autre elle relève d’une préconisation d’ordre médicale afin de préserver la santé du salarié. Cette préconisation s’impose alors au salarié comme à l’employeur, car elle vise à préserver la santé du travailleur. 

Bon à savoir 

Dans le cadre de ce litige, la DGT a indiqué à la Cour de cassation que les préconisations d’aménagement de poste sous forme de jours de télétravail représentaient 8,17 % des recommandations émises par les médecins du travail. L’ANI précité de novembre 2020, ainsi que la Haute autorité de santé et la Société française de médecine du travail recommandent le recours au télétravail pour éviter la désinsertion professionnelle des salariés, par exemple après une période d’arrêt de travail. 

Cette jurisprudence vient donc renforcer les droits du salarié en matière de respect de sa vie privée et de préservation de sa santé grâce à la médecine du travail. La CFDT est donc favorable à la solution retenue, qui rappelle à la fois le droit fondamental du salarié au respect de sa vie privée et de son domicile, mais aussi les obligations de l'employeur en matière de prévention. 

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