
Cass.soc. 12.02.25, n°23-22.310
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Le Code du travail prévoit des règles protectrices pour les salariées en état de grossesse. Le licenciement qui intervient en contradiction avec ces dispositions doit être déclaré nul par le juge. Mais par exception, l’employeur peut toutefois prononcer un licenciement en cas de faute grave. Encore faut-il que le signataire du licenciement ait bien une délégation de pouvoir de l’employeur. Si tel n’est pas le cas, le licenciement peut être déclaré nul, et c’est ce que décide la Cour de cassation dans un arrêt du 12 février 2025. Cass.soc. 12.02.25, n°23-22.310.
Une animatrice socioculturelle travaillant dans une association informe son employeur de sa grossesse, mais est licenciée pour faute grave moins de deux mois après.
Elle conteste ce licenciement auprès du conseil de prud’hommes, en invoquant sa nullité. L’affaire suit son cours et la cour d’appel fait droit à sa demande en prononçant la nullité. Les juges du fond relèvent en effet que le licenciement avait été prononcé par le directeur de l’association sans que celui-ci n’ait reçu de délégation de pouvoir par le conseil d’administration. Et selon les statuts de l’association, c’était bien ce conseil d’administration qui exerçait la fonction d’employeur…
L’article L. 1235-3-1 du Code du travail prévoit qu’un licenciement intervenant en violation des dispositions protectrices sur la maternité est sanctionné de nullité. Dans ce cas la salariée peut demander la réintégration ou obtenir une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire.
Contestant cet argumentaire, l’employeur forme un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation rejette ce pourvoi et valide l’analyse de la cour d’appel.
Elle rappelle les termes de l’article L.1225-4 du Code du travail, à savoir qu’aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes.
En revanche, poursuit la loi, l’employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
Puis, sur le fondement des articles L.1225-71 et L.1235-3-1 du Code du travail, la chambre sociale indique que le licenciement d’une salariée intervenant en méconnaissance de ces dispositions est nul.
Comme l’a relevé la cour d’appel, le licenciement avait été prononcé pour faute grave après l’annonce de la grossesse. À ce titre, si une faute grave est relevée, la protection de la maternité est atténuée par le Code du travail, et la salariée peut bien être licenciée pour ce motif. Mais encore faut-il en rapporter la preuve.
Cependant, dans cette affaire, les juges de la chambre sociale ne se sont pas prononcés sur l’existence d’une faute grave. Ils ont relevé le fait que le directeur de l’association avait décidé du licenciement alors même qu’il n’avait pas reçu de délégation de pouvoir du conseil d’administration, alors que ce dernier était l'employeur selon les statuts.
Le pouvoir de sanction est une prérogative de l’employeur, un licenciement ne peut donc être prononcé par une autre personne en l’absence de délégation de pouvoir. De ce fait, il ne pouvait y avoir licenciement et celui-ci est déclaré nul. La solution est logique et assure la protection des salariées en période de grossesse.
Elle consiste, pour le chef d’entreprise, à déléguer une partie de ses pouvoirs à d’autres salariés qui se trouvent plus proches des situations de travail. Le Code du travail ne définissant pas la notion de délégation de pouvoirs, c’est la jurisprudence qui, au fil du temps, lui a donné un cadre juridique et en a défini les conditions de validité. Pour aller plus loin, voir le document de la CFDT Cadres.
Si les juges rejettent le pourvoi de l’employeur, ils cassent toutefois l’arrêt d’appel sur les conséquences de la nullité. La cour d’appel avait, en effet, rejeté le paiement du salaire demandé par la salariée pour la période de son éviction.
Pour cela, ils se fondent sur les articles L.1225-71 et L.1234-3-1 du Code du travail interprétés à la lumière des articles 10 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail et 18 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail. En plus de l’indemnité d’au moins 6 mois de salaire réparant le préjudice, les juges indiquent que la salariée a droit aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.
Cette solution n’est pas nouvelle, mais elle a le mérite de confirmer ce que la Cour de cassation a déjà pu décider précédemment. Une salariée dont le licenciement est nul peut donc bénéficier d'un cumul d'indemnités sans avoir à avancer un préjudice distinct.
[1] Cass.soc. 06.11.24, n°23-14.706.