Inaptitude : la qualification initiale en AT/MP ne lie pas les juges prud'homaux !

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Dans une décision rendue au mois de septembre, la Cour de cassation est venue confirmer que les juges prud'homaux ne sont pas tenus par la qualification retenue par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) en matière de reconnaissance d'accident ou de maladie professionnelle. Cass. soc. 10.09.2025, n°23-19.841.  

La reconnaissance d'un AT/MP et ses conséquences sur le contrat de travail

Les questions relatives à la reconnaissance, à la contestation et à la prise en charge de ces affections d'origine professionnelle sont régies par la législation de la sécurité sociale, et le contentieux revient au pôle social des tribunaux judiciaires. Le droit de la sécurité sociale a la particularité de régir une relation tripartite entre l'employeur, le salarié et la CPAM à laquelle ce dernier est rattaché. 

Bon à savoir !

Lorsque le salarié subit un accident au temps et au lieu de travail, ou bien lorsqu'il est victime d'une affection dont l'origine se trouve dans son activité professionnelle, la prise en charge par la CPAM au titre de l'AT/MP est plus favorable qu'en cas d'accident ou de maladie non professionnelle.  

Le Code du travail, qui régit simplement la relation entre l'employeur et le salarié, contient quelques dispositions qui tiennent compte de l'origine professionnelle de l'affection. Il accorde ainsi une protection renforcée contre le licenciement au salarié qui est en arrêt maladie pour accident ou maladie d'origine professionnelle (article L. 1226-9 C.trav.), et accorde une indemnité spéciale au salarié licencié pour une inaptitude liée à une maladie professionnelle ou à un accident du travail (article L. 1226-14 C.trav.). 

Le partage de compétence entre les juridictions du pôle social et les CPH

L'application des législations du travail et de la sécurité sociale est complexe lorsque l'on se retrouve à traiter de l'impact de l'accident ou de la maladie professionnelle sur la relation de travail. C'est le cas lorsqu'on s'intéresse aux conséquences de la reconnaissance d'un AT/MP sur la législation relative à l'aptitude (préconisations du médecin du travail, avis d'aptitude ou d'inaptitude...). 

L'autonomie du droit du travail et du droit de la sécurité sociale et "l'autonomie des rapports" en droit de la sécurité sociale : deux principes à ne pas confondre !

Le droit du travail est autonome du droit de la sécurité sociale, c'est-à-dire que chacun a un domaine de compétence bien précis. Cela implique que l'un n'empiète pas sur l'autre : par exemple, la reconnaissance d'un AT/MP, qui va pourtant avoir des conséquences sur la relation de travail, relève exclusivement de la sécurité sociale. Réciproquement, l'aptitude au travail relève strictement du médecin du travail, non pas de la sécurité sociale. 

Le principe de l'autonomie des rapports, de son côté, signifie que dans la relation tripartite caisse/salarié/employeur, une même décision peut ne pas emporter les mêmes conséquences. Par exemple, un AT/MP peut être accepté et reconnu par la sécurité sociale, ce qui emporte des conséquences pour le salarié, mais suite à un recours la décision peut être inopposable à l'employeur dans ses rapports avec la caisse : concrètement, pour lui l'AT/MP n'a jamais existé ! 

La jurisprudence a complexifié le partage de compétence entre pôle social et CPH au détriment du salarié.  

La question de l'articulation entre la législation de la sécurité sociale et le Code du travail relative à l'inaptitude est riche, comme en témoigne les nombreux exemples jurisprudentiels de chevauchement entre les procédures prud'homales et celles devant le pôle social du tribunal judiciaire, lorsque le salarié saisit concomitamment ces deux juridictions [1]

On retiendra que cette complexité ne favorise pas le salarié, qui doit être très précautionneux dans l'élaboration de ses demandes et dans leur répartition entre les différentes juridictions. 

Un revirement de jurisprudence sur les liens entre AT/MP et inaptitude ? 

Dans l'arrêt du 10 septembre, la chambre sociale juge que la prise en charge d'une affection au titre de la législation sur les maladies professionnelles ne suffit pas à elle seule à contraindre l'employeur à appliquer les dispositions de l'article L. 1226-14 du Code du travail, à savoir le doublement de l'indemnité de licenciement et l'octroi d'une indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis. Elle indique sans ambiguïté que cette reconnaissance pour le salarié, inopposable à l’employeur suite au succès de son recours, ne suffit pas à faire la preuve de l'origine professionnelle de la maladie. Elle invite les juges du fond à évaluer eux-mêmes, au vu des éléments qui leurs sont communiqués, si l'inaptitude est d'origine professionnelle !

La Cour de cassation semble ainsi laisser aux juges du fond l'entière latitude de juger si l'affection ayant causé l'inaptitude est d'origine professionnelle ou pas. 

Une solution en défaveur des salariés victimes d'AT/MP

Cette solution est tout à fait désavantageuse pour les salariés et source d'une grande incertitude. Elle est de plus incohérente car le juge prud'homal n'a pas les compétences médicales de la sécurité sociale pour évaluer aussi objectivement le caractère professionnel d'une affection.

Les juges de la Cour de cassation semblent construire une jurisprudence défavorable aux salariés victimes d'affections professionnelles, et cherche à limiter l'étendue de la réparation à laquelle ces salariés pourraient avoir droit. 

A l'heure où la recrudescence des accidents du travail et maladies professionnelles inquiètent les acteurs de la prévention et dans une société de plus en plus sensible à l'exposition aux risques chimiques et aux TMS, le message envoyé aux salariés par cette décision n'est pas rassurant. 
 

[1] A titre d’illustration, mais sans exhaustivité : Cass. soc. 09.07.03, n°01-41.514 ; Cass. soc. 15.11.23, n°22-18.848 ; Cass. soc. 18.09.2024, n°22-22.782

 

 

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