Discrimination : les préconisations du médecin du travail considérées comme des éléments de fait !

  • Discrimination et égalité de traitement

En matière de discrimination, la charge de la preuve est aménagée entre le salarié et l’employeur tel que le prévoit l'article L.1134-1 C trav. Le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination et l’employeur doit prouver que sa décision se fonde sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. C'est avec l'ensemble de ces éléments que le juge pourra former sa conviction. Dans un arrêt du 2 avril 2025 que nous commentons aujourd’hui, la question est de savoir si les préconisations du médecin du travail relèvent d’éléments de fait suffisants ou si d’autres éléments doivent les corroborer. Cass.soc.02.04.25, n°24-11.728.

Faits et procédure

En 2018, une salariée reconnue travailleuse handicapée signe un CDD de 6 mois pour un poste de conseillère client. Elle rencontre rapidement le médecin du travail qui préconise plusieurs aménagements et notamment la fourniture d’un siège ergonomique, jamais commandé par son employeur …

Une fois son contrat terminé, elle saisit le CPH pour discrimination en raison de son handicap et pour diverses demandes relatives à l’exécution de son contrat de travail.

Le CPH déboute la salariée de sa demande alors elle interjette appel. La cour d’appel, quant à elle, reconnait la violation du contrat de travail à défaut de la discrimination. Insatisfaite par cette décision, la salariée se pourvoit en cassation.

Bon à savoir : qu'est-ce que la RQTH ?

Selon le site service-public.fr, la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) est une décision administrative accordée par la Commission des Droits et de l'Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH).

L’article L.5213-1 C.trav indique qu’est considérée comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont réduites du fait de la dégradation d'au moins une fonction physique, sensorielle, mentale ou psychique.

Bien que facultative, la RQTH facilite la vie professionnelle en offrant des avantages favorisant le maintien dans l'emploi ou l'accès à un nouvel emploi : aménagement des horaires de travail, adaptation du poste de travail, dispositifs dédiés à l'insertion professionnelle, obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH).

Sa durée de validité varie de 1 à 10 ans, avec possibilité de renouvellement. Elle peut aussi être permanente lorsque le handicap est définitif.

Vous souhaitez en savoir plus ? Contactez la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) dont vous dépendez : https://mdphenligne.cnsa.fr/ 

La charge de la preuve partagée en matière de discrimination

Le régime probatoire de la charge de la preuve partagée combine 3 étapes pour prouver l’existence d’une discrimination, comme l’expose l’article L.1134-1 C trav :

1/ Le candidat à un emploi ou le salarié amène des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination.

2/ Au vu de ces éléments, l’employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

3/ Enfin, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

 

Un désaccord entre les juges du fond et les juges du droit sur l’appréciation des éléments de fait

Dans notre cas d’espèce, la 1ère étape pêche d’après la cour d’appel.

En effet, selon son raisonnement, le non-respect des préconisations du médecin du travail n’est pas un élément de fait suffisant pour laisser supposer l’existence d’une discrimination. C’est un manquement au contrat de travail.

La cour d’appel attendait que la salariée fournisse d’autres éléments de fait pour consolider la supposition d’une discrimination à son encontre.

Mais la Cour de cassation n’est pas de cet avis. Et pour affirmer son point de vue, elle se base sur une jurisprudence récente (lien vers la brève juridique CFDT en bas de page) dans laquelle la problématique était proche de la nôtre(1). En voici les grandes lignes :

A la suite d’un accident du travail, une salariée est arrêtée pendant plusieurs mois et la RQTH lui est accordée. Elle est déclarée inapte à son poste avec des consignes de reclassement. S’ensuit son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement. La salariée saisit le CPH afin de demander la nullité de son licenciement au motif d’une discrimination fondée sur son handicap. Les juges du fond font droit à sa demande, mais pas sous le visa adéquat. La Cour de cassation casse donc l’arrêt et apporte des précisions sur la 1ère étape du mécanisme de la preuve partagée en se basant sur des dispositions d’ordre international, européen et national qui se réfèrent à la notion d’aménagement raisonnable pour une discrimination en raison du handicap.

Ainsi, les juges du droit établissent que « le juge, saisi d'une action au titre de la discrimination en raison du handicap, doit, en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination, tels que :

- le refus, même implicite, de l'employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d'aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le comité social et économique …,

- ou son refus d'accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d'aide à l'emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures ».

Revenons à l’affaire qui nous intéresse. Ici, la Cour de cassation applique ce même raisonnement : l’employeur n’a pas mis à disposition de la salariée un fauteuil ergonomique avec un repose-pieds malgré les préconisations du médecin du travail, éléments considérés comme des éléments de fait laissant supposer un refus de prendre des mesures appropriées d'aménagement raisonnable.

Bon à savoir : l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés

Tout employeur d’au moins 20 salariés doit employer des bénéficiaires de l’Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés (OETH) dans la proportion minimale de 6 % de l’effectif total de ses salariés. 3 options sont à sa main pour répondre à cette obligation :

1/ Il peut procéder à des embauches directes de bénéficiaires de l’OETH.

2/ Il peut également appliquer un accord de branche, ou négocier un accord collectif de groupe ou d’entreprise agréé prévoyant la mise en œuvre d’un programme pluriannuel en faveur des travailleurs handicapés. Ce programme contient un plan d’embauche et un plan de maintien dans l’emploi avec des objectifs, ainsi qu’un plan prévisionnel des actions programmées (partenariat avec des organismes spécialisés, modalités d’aménagement du poste de travail ou des transports/déplacements, absences médicales facilitées etc).

3/ Si l’entreprise n’a pas atteint le quota de 6% de TH, elle devra verser une contribution annuelle à l’Agefiph pour chaque bénéficiaire de l’OETH manquant. Lorsque l’entreprise est pourvue d’un accord, cette somme sert à financer les projets prévus. Si la somme n’est pas dépensée en totalité, la différence doit être reversée à l’Agefiph.

Le poste de travail occupé par le TH aura peut-être besoin d’être adapté. Pour cela, l’Agefiph recense toutes les aides dont peut bénéficier l’employeur pour faciliter l’insertion ou le maintien en poste du TH. Mais attention, comme le rappelle l’article L.5213-6 C trav, « ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées », en tenant compte des aides dont l’employeur peut bénéficier !

Vous souhaitez en savoir plus ? Consultez le site de l’Agefiph : https://www.agefiph.fr/articles/obligation/tout-savoir-sur-lobligation-demploi-des-travailleurs-handicapes

La preuve d'éléments objectifs et non discriminatoires à la charge de l’employeur

Comme le précise la Cour de cassation, concernant la 2nde étape du mécanisme de la charge de la preuve partagée, la cour d’appel de renvoi devra « rechercher si l'employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l'impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l'entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre ».

Ce raisonnement combine les articles L.1134-1 et L.5213-6 C trav et il est issu de l’arrêt du 15 mai 2024 cité précédemment. L’employeur dispose donc d’un moyen de s’exempter : lorsque les frais à engager pour mettre en œuvre les mesures d’adaptation sont disproportionnés.

Pour la Cour d’appel de Douai, l’employeur a, ici, tout simplement renoncé à fournir le matériel ergonomique compte tenu de la proximité de l’échéance du contrat.

Reste à savoir comment se positionnera la cour d’appel de renvoi.

 

(1) Cass.soc. 15.05.24, n° 22-11.652.

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.soc.02/04/2025, n°24-11.728

    PDF — 54Ko

Ces articles peuvent également vous intéresser

  • Licenciement pour inaptitude du salarié handicapé : l’absence d’aménagement du poste laisse supposer la discrimination

    Lire l'article