Discrimination : la recherche de preuves initiée par le juge relève d’une simple faculté !

  • Discrimination et égalité de traitement

Lorsqu’un salarié est amené à prouver qu’il a subi une discrimination, il bénéficie du régime de la charge de la preuve aménagée. Ce régime assure un certain équilibre entre les parties, le salarié étant désavantagé par rapport à l’employeur dans l’accès à la preuve. Le juge, quant à lui, est susceptible d’ordonner des mesures d’instruction pour aider à révéler la vérité : c'est une faculté et non une obligation de sa part. Cass.soc.05.02.25, n°23-15.776.

 

Les faits

En 2018, un jeune retraité saisit le CPH car il soutient avoir subi une discrimination durant sa carrière en raison de son origine et de ses activités syndicales. Il indique notamment que son grade ne correspondait pas à sa qualification et à son diplôme.

Afin de prouver ses allégations, il demande au CPH d’ordonner des mesures d’instruction pour obtenir divers justificatifs auprès de son ancien employeur. Sa demande est rejetée par le magistrat chargé de la mise en état.

Débouté en 1ère et 2e instance de ses demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, le retraité se pourvoit en cassation.

Bon à savoir

Selon l’article L.1134-1 C trav, la charge de la preuve partagée implique un raisonnement en 3 étapes pour prouver l’existence d’une discrimination :

1/ Le candidat à un emploi ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination.

2/ Au vu de ces éléments, l’employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

3/ Enfin, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Peuvent servir d’éléments de preuve : les fiches de paie, le contrat de travail, les entretiens d’évaluation, les témoignages. Les parties peuvent aussi utiliser des documents rédigés dans le cadre d’instances internes et par des intervenants externes (CSE, inspection du travail, médecine du travail, Défenseur des droits).

La temporalité entre la décision discriminante et un évènement peut servir à prouver une discrimination : progression salariale/professionnelle stoppée ou réduite suite à la prise d’un mandat syndical, à une maladie ou à une grossesse.

L'application par la cour d'appel du régime de la preuve aménagée

Revenons ici en détail sur le raisonnement de la Cour d'appel qui a appliqué la méthode définie par le Code du travail :

1/ Le salarié doit apporter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination :

Le salarié fournit ses diplômes et les fiches de poste des emplois occupés tout au long de sa carrière pour prouver qu’il aurait dû être positionné au grade supérieur. Il indique aussi avoir été victime d’une inégalité de traitement car des collègues avec une ancienneté et un niveau d’étude moindres bénéficiaient d’un grade ou d’une classification plus favorable que la sienne. Un témoignage soutient qu’il a été victime de discrimination raciale.

2/ L’employeur doit apporter des éléments objectifs pour justifier sa décision :

L’employeur démontre qu’au niveau d’ancienneté et de diplôme du salarié, son grade était cohérent par rapport à celui de ses collègues qui exerçaient des missions similaires aux siennes.

Les options de promotion internes lui étaient ouvertes : formation, concours, mobilité interne. Il pouvait s’en saisir pour passer à un grade supérieur.

3/ La décision de la cour d’appel :

Après avoir étudié la matérialité des éléments présentés par le salarié, la Cour d’appel a estimé que ces éléments laissaient supposer l'existence d'une discrimination. L'employeur, quant à lui, a démontré que le statut professionnel de son ancien salarié était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Une bonne application du droit selon la Cour de cassation qui rejette le pourvoi du jeune retraité.

Bon à savoir

La comparaison est-elle indispensable en matière de discrimination ?

Non, la discrimination n’implique pas automatiquement une comparaison. Mais la comparaison est une méthode qui peut permettre de prouver la discrimination devant le juge. Le principe de non discrimination interdit le traitement défavorable d'un salarié fondé sur un motif prohibé dans les situations prévues par la loi.

Par contre, en cas d’inégalité de traitement, la comparaison est incontournable.

En effet, le principe d’égalité de traitement a pour objectif d’assurer un traitement identique des salariés d’une même entreprise à toutes les étapes de la vie professionnelle.

Quel est l'office du juge quant aux éléments de preuve ?

Si le juge estime détenir suffisamment d’éléments de la part des deux parties pour former sa conviction, il n’est pas tenu d’ordonner des mesures d’instruction. C’est une faculté pour le juge et non une obligation, peu importe que ce soit de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, comme le soulignent les articles L.1134-1 C trav et 144 CPC.

Bon à savoir

En amont d'une procédure judiciaire, le CPH peut être saisi en référé pour demander la communication de certains éléments sur le fondement de l’art 145 du CPC dit "référé probatoire".

Cette possibilité est ouverte au salarié même s'il envisage d’engager ensuite une action au fond lui permettant de bénéficier de l’aménagement spécifique de la preuve en matière de discrimination.

Cette solution, qui n'est pas nouvelle, rappelle aux parties la nécessité d’être minutieux à tous les stades de la procédure judiciaire. La requête de saisine du CPH, la rédaction des conclusions, la demande de mesures d’instruction, vont dresser un cadre dans lequel le juge sera lié (articles 4 et 5 du CPC).

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.soc.05/02/25, n°23-15.776

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Le podcast de la Cour de cassation

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