Responsabilité civile du salarié : la faute lourde n’est pas exigée au pénal !

  • Fautes et sanctions

Dans l’entreprise, l’employeur dispose du pouvoir disciplinaire pour sanctionner les agissements fautifs du salarié. Si ces agissements revêtent la qualité d’une infraction pénale, le salarié est susceptible d’être poursuivi en justice et d’engager ses responsabilités pénale et civile. Dans l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation que nous commentons, il est question de définir les conditions dans lesquelles la responsabilité civile du salarié est engagée devant une juridiction pénale. Cass.crim. 14.01.25, n°24-81.365

Un salarié reconnu coupable d’avoir commis plusieurs infractions pénales

Suite à un accident de la route avec un véhicule professionnel, un salarié est poursuivi devant les juridictions pénales. Il est reconnu coupable des chefs de conduite d'un véhicule en ayant fait usage de cannabis, en récidive, et conduite d'un véhicule à une vitesse excessive eu égard aux circonstances.

L’employeur se constitue partie civile pour obtenir réparation de son préjudice matériel s’élevant à près de 120000€. Tant les juges du fond que la Cour de cassation font droit à la demande de l’employeur.

Le salarié conteste, mais uniquement sa condamnation à la réparation civile. En effet, selon son raisonnement, pour que la responsabilité civile d’un salarié soit engagée, la faute lourde doit être reconnue. Et tel n’est pas le cas dans sa situation.

Bon à savoir

Action publique et l’action civile : quelle différence ?

Selon Lefebvre Dalloz, « l'action publique est l'action en justice portée devant une juridiction répressive pour l'application des peines à l'auteur d'une infraction. Même si elle peut être mise en mouvement par la partie civile, elle est toujours exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.

L'action civile est l'action par laquelle la victime d'une infraction peut demander réparation du dommage que celle-ci lui a causé. Elle peut être exercée devant les juridictions civiles ou, concomitamment et accessoirement à l'action publique, devant les juridictions répressives. »

La position de la Cour de cassation

Selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation, puisque le salarié a été déclaré coupable d’avoir commis deux infractions, les juges du fond n'ont à caractériser ni une faute lourde ni une intention de nuire à l'encontre de la partie civile, ici l’employeur, pour que sa responsabilité civile soit engagée et ainsi qu’il soit obligé à réparation.

Cette dispense découle de la qualification pénale des faits.

Mais devant les juridictions civiles, il est de jurisprudence constante que la responsabilité civile du salarié à l'égard de l'employeur peut être engagée uniquement en cas de faute lourde.

La Chambre sociale et la Chambre criminelle de la Cour de cassation ont donc une position différente sur la qualification des agissements fautifs : agissements qualifiés de faute lourde devant les juridictions civiles et agissements revêtant une qualification pénale devant les juridictions pénales.

Bon à savoir

Il existe 3 catégories de faute en matière disciplinaire.

La faute simple : l’agissement ou le manquement du salarié est contraire à ses obligations à l'égard de l'employeur. La gravité de cette faute n’impose pas nécessairement le licenciement, tout dépendra du contexte.

- La faute grave : l’agissement ou le manquement du salarié est sérieux. La gravité de la faute rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis.

- La faute lourde : elle est d’une particulière gravité, avec une intention de nuire à l’encontre de l'employeur. Le maintien du salarié dans l'entreprise est impossible, même pendant la durée du préavis.

L’employeur n’assume-t-il pas les risques pris par ses employés ?

En effet, en principe, l’employeur est responsable du dommage causé par ses salariés (article 1242 C civ). Il supporte les risques de l’exploitation de son entreprise, c’est la contrepartie des bénéfices qu’il en retire.

Comme le rappelle cet arrêt, par exception, la responsabilité civile du salarié peut être engagée en cas d’agissements fautifs commis à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.

La réparation civile doit-elle considérée comme une sanction pécuniaire ?

Les amendes ou autres sanctions pécuniaires infligées par l'employeur sont interdites, comme l’énonce l’article L.1331-2 du Code du travail.

Mais tout impact financier sur le salarié n’est pas considéré comme une sanction pécuniaire. Tel est le cas de la suppression de salaire pendant une mise à pied disciplinaire, la diminution de salaire en raison d’une rétrogradation comportant modification des fonctions, ou une retenue sur salaire pour absence injustifiée.

Il en est de même pour la réparation financière due par le mécanisme de la responsabilité civile. La position de la Chambre criminelle de la Cour de cassation est limpide : l’entreprise a subi « un préjudice dont elle a le droit d'obtenir l'indemnisation, ce qui ne constitue pas une sanction pécuniaire interdite par l'article L. 1331-2 du code du travail, mais la réparation d'un dommage causé à une partie civile par ces infractions ».

En conclusion, l’immunité du salarié quant à sa responsabilité civile envers son employeur a pour limite la gravité des agissements ou manquements commis, reconnus comme une faute lourde au civil et une infraction au pénal.

De plus, la réparation financière ne revêt pas le caractère de sanction pécuniaire dont le salarié ne peut se prévaloir.

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.crim.14.01.25, n°24-81.365

    PDF — 160Ko

Ces articles peuvent également vous intéresser