Transaction : des termes trop généraux excluent la réparation du préjudice d’anxiété

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Le salarié qui signe une transaction avec son employeur lors de la rupture de son contrat de travail peut-il encore réclamer l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété lié à une exposition à l’amiante ? Notamment lorsque ce préjudice n'a été révélé qu’après la signature de cette transaction et n'existait donc pas à la signature de celle-ci ? Pour la Cour de cassation, tout dépend des termes de la transaction. Cass.soc.6.11.24, n°23-17699, publié.

Les faits 

La salariée travaille depuis 1968 pour la Société Renault Truck lorsque son contrat est rompu. Elle signe alors une transaction avec son employeur. Transaction dans laquelle elle se déclare remplie de ses droits, renonce de façon irrévocable, à toute instance ou action née ou à naître au titre de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail, admet que plus aucune contestation ne l'oppose à l'employeur et qu'il est mis fin à leur différend. Nous sommes alors en 2009.

Or, 8 ans plus tard, en 2016, il se trouve que l’établissement, dans lequel la salariée a jadis travaillé, est inscrit, par arrêté, sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante pour la période allant de 1964 à 1996. Cette période coïncidant avec sa période d’emploi, l’ancienne salariée saisit le conseil de prud’hommes afin de demander réparation de son préjudice d’anxiété.

Amiante et préjudice d’anxiété ?

Pour protéger et surveiller la santé des travailleurs et réparer les dommages causés par une exposition à l’amiante, les pouvoirs publics ont mis en place certains dispositifs:

- En 1998, ils permettent aux salariés  particulièrement exposés(sans avoir nécessairement développé de maladie) de cesser leur activité professionnelle de manière anticipée, tout en bénéficiant d’une allocation spécifique, dite ACAATA [1]. Pour cela, les salariés doivent avoir travaillé dans un établissement inscrit sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y ont été fabriqués ou traités de l’amiante ou des matériaux en contenant ou bien avoir exercé l’un des métiers figurant sur une liste spécifique.  

- En 2000, ils créent un fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.

Mais jusque-là, aucune mesure ne permettait d’indemniser le préjudice moral lié à l’inquiétude permanente dans laquelle le risque de développer une maladie liée à l’amiante, pouvait plonger les salariés qui n’avaient pas (ou pas encore…) déclaré de maladie liée à cette exposition. Ce qu’on appelle le préjudice d’anxiété.

Ce n’est qu'en 2010 [2] que la Cour de cassation a reconnu  le droit pour les salariés de demander réparation d’un tel préjudice. Un droit à réparation automatique d’abord, pour les salariés ayant travaillé dans l’un des établissements classés sur la période concernée (automatique dans le sens où le salarié n’a pas besoin de démontrer une exposition significative aux poussières d’amiante, un manquement de leur employeur à son obligation de sécurité ou un dommage). Un droit à réparation étendu, en 2019, aux salariés d’établissements non classés « amiante », sur le fondement de l’obligation de sécurité de leur employeur [3].

 

Une demande de réparation rejetée par les juges du fond

Les juges du fond rejettent pourtant la demande de réparation de la salariée et la déclarent irrecevable. Pourquoi ? Parce que la salariée a signé une transaction rédigée en des termes généraux dans laquelle elle avait renoncé à exercer toute instance ou action née ou à naître au titre de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail et reconnu que plus aucune contestation ne l’opposait à l’employeur et parce que cette transaction a autorité de la chose jugée… Peu importe que sa demande d’indemnisation résulte de l’inscription de son ancien établissement sur l’arrêté de classement postérieure à la signature de la transaction.

Quelle est la portée d'une transaction ? 

A la suite de la rupture du contrat de travail [4], l’employeur et le salarié peuvent se mettre d’accord pour mettre fin amiablement à un litige existant ou à venir portant sur cette rupture [5]. Le désaccord entre les parties peut alors tout aussi bien porter sur les conséquences pécuniaires de la rupture (primes, salaires, etc.) que sur la nature même de cette rupture. On parle de transaction.

Pour être valable, une transaction doit remplir certaines conditions : respecter les conditions générales de validité des contrats [6], faire apparaître un conflit entre les parties et prévoir des concessions réciproques. Par exemple, l’employeur s’engage à verser une indemnité au salarié en contrepartie de quoi ce dernier s’engage à ne pas saisir le conseil de prud’hommes.

En revanche, dès lors qu’elle est valable, une transaction est définitive et ne peut plus être remise en cause, du moins s’agissant des situations et des points qui en sont l’objet et qui ont été décrits par les parties. Sa portée est limitée à son objet : les parties ne renoncent qu’aux droits, actions et prétentions sur lesquels porte la transaction [7]. On dit qu’elle a autorité de la chose jugée [8]. Ce qui signifie, qu’à l’inverse, rien n’interdit au salarié de faire une demande qui n’a pas été comprise dans le champ de la transaction. Si, par exemple, celle-ci a pour seul objet de fixer le montant du préjudice subi par le salarié suite à la rupture de son contrat de travail, ce dernier peut très bien demander ultérieurement un complément de son indemnité conventionnelle de licenciement [9].

Une fois signée, la portée de la transaction, et par conséquent, la capacité d’action du salarié, va donc dépendre des termes de la transaction. Or il arrive que les transactions soient rédigées en des termes généraux, c’est-à-dire qu’elles comportent une clause par laquelle le salarié renonce de façon très générale à toute demande ou action ultérieure contre l’employeur relativement à l’exécution ou à la rupture du contrat. Dans une telle hypothèse, le salarié ne peut plus former la moindre réclamation à l’encontre de son ex-employeur, qu’elle soit liée au litige initial ou à toute autre conséquence de l’exécution et de la rupture du contrat de travail. Depuis 2014, la Cour de cassation considère que ces transactions ont un effet libératoire pour l’employeur [10].

Mais la salariée conteste. Elle considère, au contraire, que la portée d’une transaction, qui ne règle que les différends qui s’y trouvent compris, se limite aux seuls différends que les parties ont eu l’intention d’y inclure. Or, elle ne pouvait pas, en 2009, avoir renoncé à un droit qui n’existait pas encore au jour où elle a signé sa transaction….

Elle se pourvoit donc en cassation. La question étant de savoir si le fait d’avoir signé une transaction rédigée en termes généraux l’empêchait de réclamer la réparation du préjudice d’anxiété résultant de l’inscription postérieure de son établissement sur la liste des établissements ouvrant droit à l’Acaata ?

La transaction en des termes généraux a un plein effet libératoire

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel. Elle juge que dès lors qu’une transaction a été rédigée en termes généraux à l’occasion de la rupture du contrat de travail, « la demande indemnitaire formée à l’encontre de l’employeur résultant de l’inscription de l’établissement (…) pour la période de 1964 à 1996 sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre de l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante, intervenue postérieurement à la transaction, n’était pas recevable ».

Autrement dit, dès lors qu’un salarié a signé une transaction rédigée en des termes généraux et qu’il renonce définitivement à toute action née ou à naître, il s’interdit de réclamer par la suite l’indemnisation du préjudice d’anxiété lié à son exposition à des fibres d’amiante sur une période donnée. Quand bien même cette exposition n’aurait été officiellement révélée qu’après la transaction.

Quelle est la portée de cette décision ?

Après avoir un temps limité la portée des transactions rédigées en termes généraux, la Haute Cour interprète désormais très largement l’étendue des droits auxquels les parties, en particulier le salarié, entendent renoncer dans ce cadre [11]. Cette décision vient donc conforter la position qu’elle a eu l’occasion d’adopter ces dernières années, notamment face à des demandes indemnitaires liées au préjudice d’anxiété résultant d’une exposition à l’amiante [12].

Attention donc aux transactions rédigées en des termes généraux ! Aussi séduisantes soient-elles, leur portée peut être très large et peut conduire le salarié à renoncer non seulement à des droits existants (dont il ignore parfois même l’étendue), mais également à des droits futurs.

Vous l’avez compris, la manière dont une transaction est formulée est fondamentale. Alors ne vous engagez pas à la légère et, surtout, n’hésitez pas à demander conseil ou  accompagnement auprès de vos représentants du personnel !

 


 

[1] Loi de financement de la sécurité sociale n°98-1194 du 23.12.98.

[2] Cass.soc.11.05.10, n°09-42241 à 09-42257.

[3] Cass.soc.5.04.19, n°18-17442.

[4] Une transaction peut également porter sur les conditions d’exécution du contrat de travail, mais c’est plus rare.

[5] Art.2044 C.civ.

[6] Cause licite, consentement libre et éclairé de chacun, capacité de contracter.

[7] Art. 2048 et 2049 C.civ.

[8] Art. 2052 C.civ. : « La transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ».

[9] Cass.soc.2.12.09, n°08-41665.

[10] Cass.Ass.Plén.4.07.97, n°93-43375 : lorsqu’elle a pour objet de mettre fin à toute contestation à née ou à naître résultant de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail en contrepartie de concessions réciproques. Cass.soc.5.11.14, n°13-18984 ; Cass.soc.11.01.17, n°15-20040 ; Cass.soc.30.05.18, n°16-25426.

[11] Cass. Soc.17.02.21, n°19-20.635 : le salarié ne peut pas revendiquer le versement d’une indemnité de non-concurrence, même si l’employeur n’a pas expressément renoncé à appliquer la clause au moment du licenciement.

[12] Cass.soc.21.02.17, n°15-28720 ; Cass.soc.6.10.17, n°16-23896.

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.soc.6.11.24, n°23-17699

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