
Cass.soc.14.11.24, n°21-22.540.
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En l’absence de signature par le salarié du solde de tout compte, la Cour de cassation juge que celui-ci n’a pas valeur de preuve du paiement des sommes y figurants. Toutefois, il n’y a aucune conséquence sur le délai de prescription. Ce délai continue de courir et est suspendu uniquement en cas d’impossibilité d’agir à la suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Ce qui n’est pas le cas lorsque le salarié a été incarcéré avant de signer son solde de tout compte. Cass.soc.14.11.24, n°21-22.540.
Le solde de tout compte fait partie des documents obligatoires remis au salarié (1) lors de toute rupture de son contrat. En revanche, rien n’oblige le salarié à le signer. L’employeur a l’obligation de le remettre au salarié, lui permettant ainsi de connaitre l’inventaire des sommes qui lui sont versées lors de la rupture de son contrat de travail. Les règles régissant ce document sont souvent méconnues par les salariés.
L’article L.1234-20 du Code du travail prévoit que le reçu pour solde de tout compte peut-être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature par le salarié, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.
Le délai de prescription appliqué à cette affaire est issu de l'article L.1471-1 du Code du travail dans sa version du 14 juin 2013. Ce texte avait prévu que ce délai (passé de 5 ans à 2 ans) pour les actions portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail devait s'appliquer aux prescriptions en cours à compter de la promulgation de la loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (article 21 V de ladite loi).
Un salarié est licencié pour faute par un courrier d’avril 2013. Et son solde de tout compte est établi en juin 2013. Moins de deux semaines après la fin de son préavis, il est incarcéré pendant plusieurs années. Quelques mois après sa sortie, en décembre 2017, il décide de saisir la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de diverses sommes au titre du solde de tout compte ainsi que des indemnités pour préjudice moral et exécution déloyale du contrat de travail.
Pour les juges du fond, le solde de tout compte n’ayant jamais été signé, il n’est pas libératoire vis-à-vis de l’employeur. Ils retiennent que la prescription n’a pas commencé à courir du fait de l’incarcération du salarié et autorisent ses demandes.
L’employeur décide de former un pourvoi au motif que l’action en contestation du solde de tout compte était prescrite, peu importe l’incarcération du salarié.
Lorsque le solde de tout compte n’est pas signé par le salarié, quelle est la valeur de ce document ? Quel impact sur le délai de prescription ? L’incarcération du salarié justifie-t-elle la suspension de ce délai ?
La Cour de cassation cite stricto sensu les articles régissant le solde de tout compte (voir ci-dessus). Elle retient que lorsque le solde de tout compte n’a pas été signé par le salarié, il n’a aucune valeur. Ce qui veut dire que ce document ne constitue pas une preuve du paiement au salarié des sommes qui y sont mentionnées. Il ne libère pas l’employeur au bout de six mois de son obligation. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’aucun délai de prescription n’existe…
Contrairement aux juges du fond, la Cour de cassation ajoute que l’absence de signature n’a aucun effet sur le délai de prescription. Elle ne court pas ou est suspendue uniquement contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, d'une convention ou de la force majeure (2).
Aussi, la prescription s’appliquait dans cette affaire à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013 soit le 16 juin 2013. Le salarié avait alors jusqu’au 16 juin 2015 pour engager toute action portant sur l’exécution et la rupture de son contrat de travail. Or, le salarié a saisi la juridiction prud’homale en 2017. En outre, la cour d’appel n’a pas caractérisé une cause d’interruption ou de suspension du délai de prescription. L’incarcération n’est pas un motif en soi de suspension du délai de prescription.
La Cour de cassation a déjà précisé que le reçu pour solde de tout compte non signé par le salarié ne fait pas preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées. Il appartient alors à l'employeur de justifier de ce paiement (3).
Elle a également déjà jugé que l’incarcération du salarié ne constitue pas un cas de force majeure (4).
Si cette décision est sans surprise, c'est l'occasion néanmoins de rappeler les conséquences souvent méconnues lorsque le salarié n'a pas signé son solde de tout compte...
(1) Les autres documents obligatoires à remettre au salarié sont : le dernier bulletin de salaire, le certificat de travail et l’attestation d’assurance chômage.
(2) Art. 2234 C.civ.
(3) Cass.soc.27.03.19, n°18-12.792.
(4) Cass.soc.15.10.96, n°93-43.668.