Présomption de démission : le salarié doit être informé des conséquences !

  • Démission

Entrée en vigueur par décret en avril 2023, le mécanisme de la présomption de démission reste un objet juridique très mal identifié et encore méconnu du grand public. Les précisions publiées dès avril 2023 sur le site internet du ministère du Travail au sein d’une « FAQ » étaient censées combler quelques lacunes. Au contraire, un doute est né sur la possibilité de licencier un salarié en "abandon de poste", amenant des critiques tant du côté patronal que des organisations syndicales. Saisi d’une action en annulation du décret et de la FAQ, le Conseil d’État tout en validant le dispositif est venu apporter une précision de taille. CE, 18.12.24, n°473640. 

Qu’est-ce qu’une présomption de démission ? 
 

Issue de la loi du 21 décembre 2022(1), le nouvel article L. 1237-1-1 du Code du travail instituant la présomption de démission s’insère dans une section du Code du travail intitulée « rupture à l’initiative du salarié ». Il permet à l’employeur de présumer démissionnaire un salarié qui a « abandonné volontairement » son poste après l’avoir mis en demeure « de justifier son absence et de reprendre son poste » dans un délai qui ne peut être inférieur à 15 jours selon l’article R.1237-13 du Code du travail issu d’un décret d’avril 2023(2)
 

Bon à savoir 

Ce délai commence à courir soit à compter de la remise en main propre de la mise en demeure soit à compter de la première présentation du recommandé. 


À défaut d’avoir repris son poste dans le délai imparti par l’employeur, ou de ne pas avoir donné une justification légitime, le salarié présumé démissionnaire ne percevra ni indemnités de rupture du contrat de travail ni allocation d’assurance chômage. Il s’agit d’une présomption simple, le salarié qui conteste la rupture de son contrat sur ce fondement peut saisir directement le bureau de jugement du CPH qui a 1 mois pour statuer au fond(3)
Pour mesurer la portée du bouleversement introduit par ces dispositions, il convient de rappeler que de jurisprudence constante la démission du salarié ne se présumait pas. La simple absence prolongée du poste de travail ne permettait pas en elle-même selon la Cour de cassation de caractériser une volonté claire et non équivoque de démissionner(4)
 

L’objet de l’action devant le Conseil d’État 
 

Plusieurs organisations syndicales, dont FO, ont saisi le Conseil d’État pour faire annuler le décret d’application de la loi, et obtenir en conséquence l’annulation de l’ensemble de la FAQ. Une organisation patronale et une association regroupant des entreprises ont agi pour faire annuler tout ou partie de la FAQ et obtenir la publication d’une nouvelle FAQ rectifiée. 
Les différents demandeurs ont pour seul point commun d’estimer que l’administration a commis un excès de pouvoir, en d’autres termes que sa décision est intervenue en violation ou par mauvaise application d’une règle de droit.  
 

L’argumentation du Conseil d’État 


Pas de contrariété à un principe constitutionnel ou au droit international 
 

Le Conseil d’État écarte tout d’abord assez logiquement le qualificatif de « réforme » s’agissant de la publication du décret. En tant que décret d’application de la loi du 21.12.22, le gouvernement n’avait pas à déclencher la procédure prévue à l’article L.1 du Code du travail qui impose une concertation avec les partenaires sociaux pouvant aboutir le cas échéant sur une négociation interprofessionnelle. Pour la même raison, les demandeurs sont déboutés de leur argumentation pointant le non-respect du principe de participation garanti par la Constitution(5)
Le Conseil d’État fait également échec à l’argumentation pointant le non-respect de la convention OIT n°158 sur le licenciement (6)– qui prévoit notamment une indemnité de licenciement et/ou un droit à l’assurance chômage (7) – en relevant que l’article 3 de cette convention a expressément délimité son champ d’application à la cessation de travail « à l’initiative de l’employeur ». Pour ranger la présomption de démission dans les ruptures à l’initiative du salarié, ce qui est assez discutable, le Conseil d’État prend soin de rappeler les dispositions protectrices permettant au salarié d’opposer un motif légitime pour justifier son absence et faire échec à la poursuite de la présomption de démission. La liste prévue par le Code du travail n’est pas limitative, elle cite à titre d’exemple des raisons médicales, l'exercice du droit de retrait, l'exercice du droit de grève, le refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l'initiative de l'employeur. 

Pouvoir du juge versus droit souple
 

L’obligation d’informer le salarié sur les conséquences 
 

Toujours pour justifier de la distinction entre démission et licenciement, le Conseil d’État rappelle également la nécessité pour l’employeur d’adresser au préalable une mise en demeure au salarié supposé démissionnaire afin de s’assurer de sa véritable intention(8). Et c’est ici que le Conseil d’État ajoute une précision de taille. La mise en demeure doit nécessairement contenir une information sur les conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail sauf en cas de motif légitime. 
 

Cette condition ajoutée par le Conseil d’État permet de voir un premier écart avec les recommandations de la FAQ contestée (et supprimée d’internet depuis l’action en justice). En effet, cet instrument de droit souple se contentait de prévoir que l’employeur « peut » préciser les conséquences de cette présomption. 
Cette jurisprudence mériterait d’être intégrée dans une FAQ pour être diffusée le plus largement possible. Si la précision a bien été faite sur le site du ministère du Travail, ce n’est toujours pas le cas sur le site du Code du travail numérique(9)


L’employeur a-t-il le choix entre licenciement et présomption de démission ? 


Pour écarter le grief de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi en ce que l’employeur aurait le choix entre le licenciement pour motif personnel – qui ouvre droit aux indemnités de licenciement (sauf faute grave) et à l’allocation d’assurance chômage – et la mise en œuvre de la présomption de démission, le Conseil d’État retient que le décret ne fait que mettre en œuvre une procédure prévue par la loi. 
 

Entre les lignes, on peut en déduire que la question/réponse n°1 de la FAQ aurait été annulée puisque le Conseil d’État semble dire que les 2 possibilités de ruptures du contrat coexistent. En effet, le doute était né suite à la réponse de l’administration précisant que l’employeur n’a « plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ». Avec les marges de manœuvre qui sont les siennes dans l’édiction du droit souple, le but était pour l’administration d’éviter dans tous les cas qu’un salarié puisse percevoir l’allocation chômage en cas d’absence prolongée conformément à la volonté du législateur. 
 

Dans le contexte contraint de l’alternative entre la présomption de démission et un licenciement, ce dernier est sans aucun doute plus favorable pour le salarié. Et surtout, à notre sens, aucune disposition légale ne vient suspendre le pouvoir disciplinaire de l’employeur confronté à un abandon de poste. Ainsi, selon nous à la suite de la décision du Conseil d’État l’employeur a en réalité 3 options principales : ne rien faire, activer la présomption de démission ou procéder à un licenciement. 

 

 (1) Loi n° 2022-1598 du 21.12.22  portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi. 
(2) Décret n° 2023-275 du 17.04.23 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié. 
(3) Art. L.1237-1-1 alinéa 2. 
(4) Cass.soc.11.07.00, n° 98-45.342 ; Cass.soc.24.11.04, n° 02-42.984.

(5)Alinéa 8 du préambule de la constitution de 1946. 
(6)Point 4 de la décision.
(7)Art 12 de la Convention (n° 158) sur le licenciement, 1982. 
(8) Point 6 de la décision.
(9) « L’employeur peut également préciser dans la mise en demeure que le salarié sera considéré comme démissionnaire et n’aura en conséquence pas droit aux allocations chômage » (au 5.03.25).

L'arrêt du Conseil d'Etat

  • CE, 18.12.24,n° 473640

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