
Cass.soc.8.01.25, n°23-11417
PDF — 48Ko
Dans deux arrêts récents, la Cour de cassation ouvre le bénéfice de la garantie des salaires aux salariés ayant pris acte de la rupture du contrat de travail et à ceux ayant demandé une résiliation judiciaire de ce contrat, lorsque ces ruptures ont été demandées en raison de manquements de l’employeur à ses obligations. La Haute juridiction prend ainsi acte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Cass.soc.8.01.25, n°20-18484 et n°23-11417.
Dans la première espèce, un mois après l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société qui l’employait, une salariée a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur et la fixation au passif de la société des sommes dues au titre de l’exécution et de la rupture du contrat. La juridiction prud’homale a prononcé la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.
En appel, les juges ont exclu la salariée du bénéfice de la garantie des salaires au motif que la rupture ne résultait pas de l’initiative du mandataire ou du liquidateur judiciaire, mais de l’initiative de la salariée.
Dans la seconde affaire, à la suite de la mise en redressement judiciaire de la société l’employant, un chauffeur-livreur a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur et a saisi la juridiction prud’homale pour demander un rappel de salaires impayés, des indemnités liées à la rupture du contrat de travail, des indemnités pour travail dissimulé, ainsi que des dommages-intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail. Le redressement a ensuite été converti en liquidation judiciaire.
En appel, les juges du fond ont accueilli les demandes du salarié, dit que la prise d’acte s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ordonné l’inscription des sommes dues sur le relevé des créances salariales de la société.
L’article L3253-6 du Code du travail prévoit la garantie des salaires des entreprises défaillantes en ces termes : « Tout employeur de droit privé assure ses salariés (…) contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. »
Toutefois, l’article L3253-8, 2° du Code du travail ne garantit que les sommes conséquentes à la rupture du contrat de travail. Ce texte prévoit en effet que l’AGS garantit : « Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
a) Pendant la période d'observation ;
b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
d) Pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité ; ».
Dans la première affaire, la salariée a formé un pourvoi, tandis que dans la seconde c’est l’AGS qui était à l’initiative du pourvoi.
Dans son pourvoi, la salariée reprochait aux juges du fond d’avoir décidé que la garantie AGS ne porte pas sur les créances résultant de la rupture du contrat de travail du fait d’une résiliation judiciaire à sa demande et présentée après l’ouverture de la procédure collective.
En revanche, dans la seconde affaire, c’est l’AGS qui a formé un pourvoi s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette jurisprudence excluait jusqu’alors de la garantie les sommes dues en raison de la rupture dès lors que la rupture n’était pas intervenue à l’initiative du mandataire, du liquidateur, ou de l’employeur (1).
Telle était la question posée à la Cour de cassation qui jusqu’alors répondait par la négative. Position réaffirmée lors d’une question prioritaire de constitutionnalité (2) et qui excluait de la garantie les sommes dues à la suite d’une prise d’acte, d’une resiliation judiciaire et d’un départ à la retraite. Cette interprétation, défendue sur la base du droit commercial, dépassait le sens littéral du texte et c’était oublier la directive 2008/94/CE du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur.
Dans ces arrêts du début de l’année, la Cour de cassation s’appuie donc sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne pour opérer un revirement de jurisprudence, plutôt bienvenu.
Dans un arrêt du 22 février 2024 (Aff. C-125/23), la Cour de justice a en effet considéré que la directive s’oppose à ce qu’une réglementation nationale prévoit la garantie salariale pour les salariés dont la rupture du contrat de travail résulte de la partie patronale (mandataire, liquidateur ou employeur) mais exclut cette même garantie lorsque le travailleur a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de manquements suffisamment graves de l’employeur, reconnus par la juridiction nationale, et empêchant ainsi la poursuite dudit contrat. Pour la CJUE, il y a là une différence de traitement qui ne peut être justifiée par les besoins de la poursuite de l’activité de l’entreprise, du maintien de l’emploi et de l’apurement du passif.
Dans la première espèce, l’arrêt des juges du fond est donc censuré au motif qu’ « il y a lieu de juger désormais que l’assurance mentionnée à l’article L3253-6 du code du travail couvre les créances impayées résultant de la rupture d’un contrat de travail, lorsque le salarié obtient la résiliation judiciaire de celui-ci en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et que la rupture intervient pendant l’une des périodes visées à l’article L3253-8, 2° du même code ».
Dans la seconde espèce, le pourvoi de l’AGS est rejeté pour les mêmes motifs.
(1) Cass.soc.20.12.2017, n°16-19517 ; Cass.soc.19.04.20.2023, n°21-20651 ; Cass.soc.14.06.2023, n°20-18397.
(2) Cass.soc.10.07.2019, n°19-40019.