« Le vote RN vient d’une colère sociale “racialisée” »

  • Réflexions / Contributions

Félicien Faury est sociologue et politiste, chercheur au CNRS, rattaché au Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales). Dans son dernier ouvrage, ce spécialiste de l’extrême droite enquête sur les motivations du vote RN.

Afin de comprendre les motivations des électeurs à voter pour le Rassemblement national, on invoque soit des raisons économiques soit une dimension raciste. Vous dites que les deux sont liées. Pourquoi ?

 Quand j’ai commencé mon enquête, en 2016, on expliquait que le vote RN était un vote dû uniquement à un sentiment de déclassement, à l’expression d’une colère sociale, ou qu’il était motivé par des sentiments racistes, de rejet de l’immigration. En discutant avec des électeurs ordinaires (non des militants), je me suis rendu compte que c’est une erreur de choisir entre ces deux dimensions. 

Il faut prendre les deux causes ensemble : il s’agit d’une colère sociale qui est « racialisée », c’est-à-dire dirigée contre les minorités ethnoraciales. Autrement dit, si vous réduisez le vote RN au racisme, vous ne comprenez pas complètement le vote RN, car il y a du racisme bien au-delà de la seule extrême droite. De même, si vous réduisez le vote RN à un vote de classe, vous passez à côté aussi. 

Car, sinon, pourquoi cet électorat se dirigerait-il vers le RN et non pas vers la gauche ? C’est cette articulation entre souffrance de classe et racisme qu’il faut comprendre.

C’est d’ailleurs ce qu’a essayé d’instaurer le RN depuis les années 80, dont un des slogans les plus connus est : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ! » À travers cette formule, on voit bien comment il fait l’articulation entre une question sociale ET la question raciale.

Pour autant, vous dites que s’il y a une dimension raciste dans ce vote, il ne faut pas en conclure que les électeurs du RN sont racistes. Expliquez-nous…

En effet, on ne peut pas dire que les gens qui votent RN sont racistes par essence. Le racisme, ce n’est pas un tempérament, une personnalité, c’est un rapport social. On pourrait faire l’analogie avec le sexisme : on sait qu’il en existe dans tous les milieux sociaux, mais que ce rapport de pouvoir s’exprime à chaque fois de manière différente selon les milieux. Il en est de même avec le racisme. Le vote RN est une manière parmi d’autres d’exprimer son racisme, mais non la seule.

Dans votre livre, vous dites que le faible niveau de diplôme est le facteur le plus prédictif du vote RN. Pourquoi ?

Bien plus que le faible niveau de revenus, c’est le faible niveau de diplôme qui apparaît comme le facteur clé expliquant le vote RN. Ce qui ne veut pas dire que les gens sont ignorants ou limités intellectuellement. Mais le diplôme a des effets quant à l’insertion sur le marché du travail : sans diplôme ou avec un faible niveau de diplôme, les individus sont dans une situation sociale plus précaire, plus exposés à la peur du déclassement. 

Par ailleurs, je voudrais souligner que la question scolaire est fondamentale dans l’explication du vote RN. En discutant avec ses électeurs, j’ai pu mesurer à quel point leur vécu scolaire avait été conflictuel, douloureux, à quel point ils en concevaient du ressentiment et une défiance par rapport aux « postures professorales ». Cela explique d’ailleurs leur rejet des élites culturelles – les profs, les journalistes, les artistes, les politiques, etc. Toutes ces personnes cultivées qu’ils perçoivent comme « donneuses de leçons », « parlant bien mais ne faisant rien ». 

Ce ressentiment est beaucoup plus fort à l’égard des élites culturelles que des élites économiques, où cette domination de classe n’est pas vécue de manière aussi humiliante et blessante. Il faut en tenir compte dans la façon de combattre les idées d’extrême droite !

Ce n’est donc pas dans les populations les plus précaires que la tentation du vote RN est la plus forte ?

 En effet, c’est davantage chez ceux qui ont acquis un petit capital social, un petit patrimoine (ceux qui sont devenus propriétaires, par exemple), et qui ont peur de le perdre. Ces personnes éprouvent le sentiment que les changements économiques se font à leur détriment. Et surtout, ils craignent de tomber plus bas que les gens qu’ils estiment moins légitimes qu’eux à résider sur le sol français… cela est vécu comme un déclassement intolérable. 

Or la promesse du RN, c’est que la dégradation des conditions de vie des étrangers et des immigrés entraînera une amélioration de celle des « vrais Français ». C’est cela qu’il faut parvenir à dénouer : prouver à ces électeurs que leurs conditions matérielles ou symboliques d’existence peuvent s’améliorer sans avoir besoin de dégrader celles des minorités ethnoraciales.

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