
“La promesse implicite d’améliorer son niveau de vie grâce au travail est rompue”
Spécialiste des questions sociales, Antoine Foucher a été directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud de 2017 à 2020. Trois ans durant lesquels il a notamment mené la réforme de l’apprentissage. Dans son dernier ouvrage*, il change de registre pour proposer un « big bang populaire » qui permettrait d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés. Explications.

Vous affirmez que le travail ne paie plus. Comment en êtes-vous arrivé à ce constat ?
Ce que j’affirme dans cet ouvrage, c’est que le travail ne permet plus à la majorité des travailleurs d’améliorer leur niveau de vie. Il n’y a rien de populiste ou de démagogique derrière cela. C’est factuel. Les statistiques de l’Insee montrent que l’on doublait son niveau de vie en quinze ans pendant les Trente Glorieuses. Des années 1980 aux années 2000, une vie de travail permettait encore de multiplier par deux son niveau de vie. Au rythme des quinze dernières années, en revanche, il faudrait travailler quatre-vingt-quatre ans pour doubler son niveau de vie. Bien sûr, on parle de moyenne. Certains salariés continuent d’améliorer leur niveau de vie mais pour la grande majorité, ça stagne et c’est la première fois depuis 1945 que les travailleurs sont dans cette situation. C’est en ce sens que les gens ont raison quand ils disent que le travail « ne paie plus ».
Comment expliquer cette stagnation depuis quinze ans ?
Je vois trois raisons principales. Tout d’abord, la désindustrialisation de la France. Or, c’est dans l’industrie qu’il y a le plus de gains de productivité, et ce sont eux qui permettent d’améliorer le pouvoir d’achat. On comptait quatre travailleurs sur dix dans l’industrie au début des années 1980, contre un sur dix aujourd’hui. La deuxième raison, c’est que nous sommes devenus un peuple moyennement compétent à force de sous-investir dans l’école, l’enseignement supérieur et la recherche. On est dépassés par beaucoup de pays en Europe et même en Asie.
Dans les différents classements, on est au-delà de la 25e place, aussi bien chez les jeunes que chez les travailleurs. On ne joue plus en phase finale de Coupe du monde en termes de compétences. Nous sommes devenus une économie de consommation, de distribution et de services plutôt que d’inventions, d’innovations et de production.
Enfin, la troisième raison est que l’on a considérablement augmenté les dépenses sociales, et pas les dépenses d’éducation ou plus généralement de services publics, en ne sollicitant pour les financer que les travailleurs, que ce soient les salariés, les fonctionnaires ou les indépendants. Aujourd’hui, quand on gagne 100 euros en travaillant, on en garde 54, en moyenne. On en gardait 60 dans les années 1990 contre 69 euros à la fin des années 1960. Pour résumer, le pouvoir d’achat progresse moins vite et, dans le même temps, on ponctionne davantage les travailleurs pour financer les dépenses sociales.
*Auteur de Sortir du travail qui ne paie plusAntoine Foucher
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Nous sommes devenus une économie de consommation, de distribution et de services plutôt que d’inventions, d’innovations et de production.
Que proposez-vous pour inverser cette tendance ?
Il faut, bien entendu, réindustrialiser le pays et investir massivement dans l’éducation et l’innovation, mais cela prendra deux décennies à bénéficier à des millions de gens. D’ici là, je propose un « big bang populaire » afin de faire en sorte que le travail paie à nouveau, et pour tous les travailleurs.
L’idée est de rééquilibrer à court terme le financement de la protection sociale. Je propose 100 milliards d’euros de baisse de cotisations salariales en cinq ans, ce qui conduirait à une augmentation de salaires nets de 30 % pour la grande majorité des gens qui travaillent. Et pour ne pas toucher à notre modèle social, je propose de financer cette mesure par une hausse des taxes sur le capital, une sous-indexation des pensions de plus de 2 000 euros et une augmentation des droits de succession de plus de 500 000 euros par personne. Enfin, pour boucler financièrement, on a besoin d’une hausse différenciée de TVA de 4 points en moyenne, en baissant les taux sur les biens de première nécessité et en augmentant ceux sur les produits importés très carbonés.
Et comment pensez-vous pouvoir convaincre de la nécessité d’un tel big bang ?
Il faut avant tout partager plus largement le diagnostic. Cela demande du temps. Ensuite, cette refondation du contrat social, cette nouvelle vision de la place du travail dans la société ne peut voir le jour qu’à l’occasion d’une présidentielle ou d’un référendum. Le big bang populaire que je propose est un tout que l’on ne peut pas saucissonner. C’est un compromis qui permet de valoriser le travail tout en préservant notre modèle social.
Propos recueillis par Jérôme Citron pour CFDT Magazine N° 510 - février 2025.