Chez PSA, la CFDT négocie le droit de se déconnecter

Publié le 13/06/2017

Une grande enquête sur le droit à la déconnexion a été menée par la section CFDT de PSA à Vélizy et dans deux autres sites tertiaires du groupe. Une démarche au cœur des préoccupations des salariés, qui a nourri la négociation sur le droit à la déconnexion.

Au centre technique PSA de Vélizy, 85 % des salariés se reconnectent en rentrant chez eux, dont 52 % assez souvent (le soir, le week-end et plusieurs fois par semaine). C’est ce que montre l’enquête sur la déconnexion menée en février par la section CFDT du site auprès des 4 700 salariés dont 75 % sont des cadres. Les conclusions de cette enquête vont servir à réguler l’usage des outils numériques professionnels hors temps de travail. Non seulement les réponses ont révélé un taux de reconnexion élevé le soir et le week-end, mais elles montrent que la raison principale est une charge de travail excessive (56 % des réponses). De plus, il apparaît que la moitié des mails envoyés après 20 heures et le week-end proviennent de la hiérarchie…

Des marges de manœuvre face aux décisions de l’entreprise

     

Un comparatif des bonnes pratiques
La section CFDT s’est appuyée sur d’autres enquêtes d’autres entreprises. Elle a également effectué un comparatif des bonnes pratiques en matière de droit à la déconnexion afin de déterminer ce qui pouvait être mis en œuvre sur les sites tertiaires du groupe PSA. Le choix des questions et les objectifs poursuivis sont issus de ces recherches préalables. La création d’une commission de suivi des connexions excessives prévue dans l’accord permettra d’établir un diagnostic des pratiques en matière d’utilisation des outils numériques de l’entreprise.

Une page, un stylo, dix questions
« Le choix du papier comme support était judicieux car les salariés sont sursollicités par mail. Une feuille A4 recto, dix questions, un stylo CFDT, résume Sébastien Sidoli, secrétaire de la section CFDT PSA de Vélizy. Quant aux questions, nous les avons rédigées simplement et sans ambiguïté, afin de respecter la règle d’or dans ce type d’enquête : rester factuel pour être crédible. »

Après l’enquête, sa restitution
Enquêter et restituer : les deux phases étaient d’égale importance pour la section afin d’approcher des salariés qui n’ont pas forcément une bonne image du syndicalisme. « Les cadres pensent qu’ils doivent se débrouiller seuls et, surtout, soigner leur carrière et rester en bons termes avec leur hiérarchie, constate Hervé Hottois. Notre enquête visait à faire évoluer les mentalités sur le site. Ça a marché : en trois mois, nous avons engrangé des adhésions. »

     

« Le droit à la déconnexion et son corollaire, l’organisation du travail, sont ici de vrais sujets, commente Sébastien Sidoli, secrétaire de la section CFDT PSA de Vélizy. Outre la digitalisation du travail, nous subissons les effets du dispositif d’adéquation des emplois et des compétences, le Daec, mis en place en 2007 par la direction de PSA : un plan social qui ne dit pas son nom. Résultat : en dix ans, tous ceux qui pouvaient se recaser ailleurs sont partis… » Comme les autres entités du groupe, le centre technique de Vélizy n’a pas échappé à la cure d’austérité imposée par la direction : 1 800 salariés de moins en dix ans, 20 000 à l’échelle du groupe. « Hormis le fait que les salariés ne sont pas remplacés et que les charges de travail augmentent, chaque année un poste peut être réévalué à l’aune du Daec, qui détermine la longévité des métiers ou leur obsolescence programmée. Sachant que les départs sont compensés par le recrutement de jeunes apprentis qu’il faut former, on constate depuis 2007 une perte de compétences sur le site. Quant à ceux qui restent, ils subissent beaucoup de pression et se sentent harcelés. »

À la tête de la section depuis juin 2016, Sébastien Sidoli souhaite renouveler l’image du syndicalisme dans l’entreprise afin de développer la section. « Les cadres sont formatés pour agir seuls. Ils ne savent pas du tout ce qu’une organisation syndicale peut leur apporter. Nous voulons leur montrer qu’il est possible de trouver des marges de manœuvre face aux décisions de l’entreprise. » Parce qu’elle a signé le nouvel accord de compétitivité « Nouvel élan pour la croissance » en juillet 2016, qui fait suite à l’accord « Nouveau contrat social », qu’elle n’avait pas signé en 2013, la CFDT peut désormais siéger à l’observatoire des métiers, une instance qui découle du Daec, et où seules les organisations syndicales signataires peuvent être présentes. D’où l’importance d’en être afin d’avoir les informations et d’être visible.

Et depuis novembre 2016, la direction et les organisations syndicales planchent sur le futur accord qualité de vie au travail dans le cadre de la digitalisation de l’entreprise, incluant un droit à la déconnexion. C’est dans cette optique que la CFDT PSA de Vélizy a décidé de mener une enquête auprès des salariés de trois sites tertiaires (recherche et développement) du constructeur automobile : Vélizy, Poissy et Sochaux. « Notre idée était de faire d’une pierre deux coups : booster notre image auprès des salariés en s’intéressant à un sujet qui les touche quotidiennement et collectivement, et devenir un acteur incontournable pour négocier avec la direction en lui apportant des informations qu’elle n’aurait pas pu collecter de son côté », explique Hervé Hottois qui a piloté l’enquête CFDT à Vélizy.

Un mode opératoire couronné de succès

Le sujet de la déconnexion s’est révélé être le bon levier. Avec des différences, cependant, puisque Vélizy a enregistré un taux de retour très supérieur aux deux autres sites, avec près de 88 % de questionnaires remplis sur les quelque 3 000 exemplaires distribués. « Ce qui a fonctionné chez nous est incontestablement le mode opératoire choisi : nous avons distribué le questionnaire à l’entrée du réfectoire avec un stylo et recueilli les feuilles remplies à la sortie, une heure après. C’était la meilleure méthode. À Sochaux, ils ont distribué le questionnaire dans les bureaux, ils n’ont pas obtenu le même taux de participation, bien que le sujet les intéresse tout autant. » Vu les résultats engrangés, c’est la section CFDT PSA de Vélizy qui s’est chargée de l’analyse des réponses, de sa restitution et de négocier le projet d’accord pour l’ensemble du groupe, avec les autres organisations syndicales.

La reconnexion, un souci d’organisation avant tout

L’enquête « Sous les claviers, la plage » a été conçue pour aller en dix questions à l’essentiel sur la thématique de la déconnexion (pourquoi se reconnecte-t-on ? quand ? quelles solutions privilégier pour préserver sa vie privée ?). Le questionnaire a également cherché à mieux connaître le ressenti des salariés qui restent connectés « en cas de besoin ». Les conclusions montrent une totale ambivalence par rapport à cette « reconnexion chez soi », vécue à la fois comme « plus de souplesse dans l’organisation du travail » (50 % des réponses) et « un stress supplémentaire » (46 %).

« C’est compréhensible, commente Hervé Hottois. Le secteur automobile, et particulièrement le domaine de la R&D, est un métier de passionnés. La reconnexion correspond à l’envie de se tenir informé en permanence. Elle satisfait une curiosité. En revanche, pour une autre moitié des répondants, elle crée un stress supplémentaire, surtout quand on sait que la moitié des sollicitations par mail hors temps de travail vient des managers. » Le questionnaire demandait s’il existait la possibilité de rester déconnecté pendant les périodes de repos : 35 % ont répondu non. Parmi les motifs invoqués, les soucis d’organisation arrivent en premier (27 %), puis le désir de rester informé (22 %), la consultation de l’agenda (15 %), le tri des mails (8 %). Comme le dit l’un des participants, il s’agit d’« anticiper la mauvaise surprise du lendemain matin ». Les réponses des personnes qui travaillent avec l’international (5 %) sont considérées comme des cas particuliers. Au final, 52 % des personnes ayant répondu se déclarent favorables à un encadrement de la messagerie et 80 % plébiscitent le blocage de l’envoi des mails entre 20 heures et 7 heures !

À la suite de l’enquête, la section a tracté et affiché en vue d’une restitution au plus grand nombre. De son côté, la direction a reconnu la nécessité de préserver le créneau 20 h-7 h et les week-ends d’une utilisation abusive de la messagerie, de façon que les salariés ne soient pas tenus de répondre à des sollicitations durant cette période. Mais elle a refusé un paramétrage du serveur différant l’envoi des mails.

La CFDT a donc réclamé, et obtenu, que soit mis en place un dispositif de vigilance afin d’identifier les connexions excessives de certains salariés. Pour cela, deux critères seront pris en compte : la quantité de mails envoyés et le nombre de reconnexions par salarié. « Ce que nous souhaitons, explique Sébastien, c’est sensibiliser les managers afin qu’ils respectent le repos de leurs équipes. Par ailleurs, ces indicateurs vont nous permettre de mieux identifier les services en surtension et de prévenir des cas de burn-out. »

Un plus pour les salariés comme pour le groupe

Selon la CFDT PSA, le droit à la déconnexion est un plus pour les salariés comme pour le groupe automobile, qui doit améliorer son image afin d’attirer de nouvelles promotions d’ingénieurs, plus connectés et plus autonomes. Les militants attirent l’attention des managers sur un point : à défaut d’offrir des salaires mirobolants, l’entreprise devra proposer une organisation du travail plus respectueuse des individus. Le débat ne fait que commencer…

cnillus@cfdt.fr

     


Repères

• PSA, premier constructeur automobile français, emploie 54 600 personnes en France, dont 4 700 au centre de recherche et développement de Vélizy-Villacoublay.

• Dans l’ensemble du groupe, la CFDT pèse 13,64 %, derrière FO (20,45 %), la CGT (19,58 %) et la CFE-CGC (19,35 %) mais devant la CFTC (13,4 %) et le SIA-GSEA, Syndicat indépendant de l’automobile (10,7 %).

• À Vélizy, la CFDT est la troisième organisation syndicale avec 17,72 % des voix aux élections de 2015. La CFE-CGC est arrivée en tête (39,68 %), suivie par le SIA (21,49 %). La CFDT compte 35 adhérents.