À la poursuite du rêve européen

Publié le 29/04/2016

Protéger contre de nouvelles menaces terroristes, le changement climatique, le dumping social entre les économies de l’Union ; avancer vers une Europe sociale qui prenne en compte tous les travailleurs. Tels sont les objectifs, très pratiques, du rêve européen.

«Peut-on demander à l’Europe de faire rêver ?, s’interroge Yves Bertoncini, le directeur de l’Institut Jacques-Delors. À sa création, elle répondait à des peurs comme celle de s’entre-tuer. Ensuite, elle a offert des opportunités : la libre circulation, Erasmus, les échanges éco­nomiques entre les peuples qui profitent notamment aux Français. Les exportations ont-elles donné matière à rêver ? Non, c’est juste pragmatique. En période de crise, l’Europe répond avec l’euro aux dévaluations compétitives et aux spéculations financières. Face au changement climatique, elle agit en apportant sa contribution à la Cop 21. Aujourd’hui, sera-t-elle capable de répondre à la menace terroriste en organisant la coopération policière et judiciaire ? L’Europe n’est pas dans le rêve mais dans la réalité. »

Donner une capacité budgétaire à la zone euro

Pour autant, le projet européen est bel et bien en panne depuis plusieurs années : l’intégration patine, l’Europe sociale stagne. « Pour la CFDT, la construction européenne ne pourra se prolonger que dans un cadre restreint par rapport aux 28 États membres, observe Yvan Ricordeau, secrétaire national chargé des questions européennes. Elle devra réinventer le lien entre les États et l’Europe. C’est le grand débat à venir dans la zone euro. » Il s’agit de repérer les pays qui veulent aller plus loin dans une intégration renforcée. « La monnaie commune constitue un atout dans les échanges internationaux, poursuit-il, mais il faut passer à la vitesse supérieure en donnant une capacité budgétaire à la zone euro. Quand tout va bien, sans budget, ça passe. En cas de crise, l’Europe ne peut pas dévaluer sa monnaie, ni agir avec un budget qui n’existe pas. La seule marge, c’est alors la dévaluation des salaires. »

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Couper court à la mise en concurrence des salariés

La création de l’euro aurait dû produire davantage de convergences vers du meilleur. Dans la réalité, la situation des pays diverge. « Pour couper court à cette mise en concurrence des salariés, affirme Yvan Ricordeau, il faut créer une réponse budgétaire dans la zone euro. Le ren­forcement de notre modèle social passe par là. Est-ce que cela concernera toute la zone euro ou seulement quelques pays ? Peu importe, il faut enclencher une dynamique. Dans ce cadre, nous sommes favorables à la création d’une assurance-chômage européenne (lire ci-dessous) qui jetterait les bases d’un budget commun dans la zone euro et enverrait aux citoyens un message clair d’avancée vers l’Europe sociale. » Pour l’heure, la France, déjà en précampagne électorale, reste centrée sur des pro­blèmes hexagonaux. L’idéal serait que le débat pour la présidentielle s’empare de ces questions… On peut toujours rêver !

      Consultation sur le pilier des droits sociaux      
     

La Commission européenne a ouvert au public, le 8 mars, une consultation sur le pilier des droits sociaux. La société civile est invitée à s’exprimer sur le salaire minimum, les droits à la représentation, à la santé et à la sécurité, les périodes d’essai, la durée minimale du temps de travail, la formation tout au long de la vie, l’accès à la justice, aux dispositions relatives à la maternité-paternité et au chômage. Les avis recueillis contriburont à la définition de principes essentiels visant à « garantir le bon fonctionnement et l’équité des marchés du travail et des systèmes sociaux au sein de la zone euro ». Cette consultation est ouverte sur le site http://ec.europa.eu/social

     

Des réserves sur le pilier des droits sociaux

Des avancées sur l’Europe sociale, le président de la Commission Jean-Claude Juncker en a promis lors du congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES), l’automne dernier à Paris. Il s’est engagé à redonner de l’espace au dialogue social et de l’espoir aux salariés. En janvier, il a ouvert le débat sur le pilier européen des droits sociaux (lire ci-contre). « Ce débat se présente comme une opportunité pour relancer la construction de droits pour les salariés », affirme Thiébaut Weber, secrétaire confédéral de la CES, qui émet cependant des réserves : « Les principes discutés s’appliqueront-ils à toute l’Union ou seulement à la zone euro ?, questionne le syndicaliste eu­ropéen. La CES demande à la Com­mission d’organiser une consultation spécifique avec les partenaires sociaux, qui sont les acteurs les plus représentatifs du marché du travail et de la société. » Bref, l’Europe continue d’avancer à petits pas, sans rêve mais dans la réalité.

dblain@cfdt.fr


Vers une assurance-chômage européenne ?

rea 236700 006L’idée de ce projet ambitieux fait son chemin, et différents mécanismes sont à l’étude. Explications en cinq points.

De quoi s’agit-il ?

Le but d’une assurance-chômage européenne (ACE) est d’aider les pays à faire face aux dépenses liées à l’indemnisation du chômage lorsque ce dernier augmente fortement. L’assurance européenne ne se substituerait pas à l’assurance nationale ; elle la compléterait sous la forme d’un second pilier permanent, d’un système de réassurance (qui se déclenche temporairement en cas de crise) ou bien d’un allongement temporaire de la durée d’indemnisation. Le pays qui fait face à une augmentation du chômage bénéficie automatiquement du fonds commun qui lui permet d’allonger temporairement la durée d’indemnisation du chômage, ou bien d’offrir un chèque formation aux chômeurs de longue durée. 

Quel serait l’objectif de l’ACE ?

« Il s’agit de mettre en place un outil budgétaire qui favorisera la stabilisation macroéconomique dans la zone euro en donnant du revenu aux ménages quand tout va mal et en réduisant les dépenses quand tout va bien, détaille Agnès Bénassy-Quéré (photo), présidente déléguée du Conseil d’analyse économique et coauteure d’un focus sur l’assurance-chômage européenne en juin 2015. L’ACE présente de bonnes propriétés en termes de stabilisation macroéconomique. C’est un dispositif automatique qui permet d’échapper aux cycles politiques. Lorsque l’économie va bien, avec des rentrées fiscales, il y a de fortes pressions pour dépenser et non pour constituer des réserves en cas de retournement économique. »

D’où vient cette idée ?

« Elle vient des États-Unis, où chaque État possède un système propre, explique Agnès Bénassy-Quéré. La durée moyenne de l’indemnisation est de vingt-six semaines. Lorsque le chômage augmente fortement dans un État, un dispositif cofinancé par l’État et le niveau fédéral allonge temporairement la durée d’indemnisation. Il existe un deuxième étage, uniquement fédéral, qui permet encore de prolonger les indemnisations, comme cela s’est produit pendant la crise récente, où les indemnisations sont allées jusqu’à quatre-vingt-dix-neuf semaines ! »

Quelles sont les objections ?

Certains y opposent le problème de l’aléa moral. De quoi s’agit-il ? « C’est le fait que le pays bénéficiaire pourrait se reposer sur les transferts du fonds européen et ne pas mettre en œuvre les réformes pour baisser le chômage. C’est peu crédible quand le chômage est à 25 %. Si l’ACE avait été appliquée pendant la crise, l’Espagne aurait bénéficié d’importants transferts équivalents à deux points de PIB. C’est très important du point de vue macroéconomique », affirme Agnès Bénassy-Quéré. Une autre difficulté porte sur l’abondement du fonds européen. La plupart des pays sont peu enclins à augmenter leurs cotisations. Enfin, beaucoup se méfient de ce système dont ils craignent qu’il ne se transforme en transferts permanents vers des pays peu vertueux.

À quelle échéance ?

« La tendance [nationale] des gouvernements européens est de ne rien faire tant qu’il n’y a pas de crise. Aujourd’hui, la Commission européenne travaille d’arrache-pied pour produire l’année prochaine un livre blanc. Le problème actuel est celui de l’appropriation par les États de ces questions de stabilisation économique. Elle n’est guère avancée. »

Photos : Tim Wegner/Laif-Réa - Hamilton/Réa - Vw Pics/Zuma/Réa