“La crise des réfugiés ne sera pas résolue en scellant les frontières de l'UE”

Publié le 29/06/2018

Déclaration de la CES sur l'urgence des réfugiés et des demandeurs d'asile européens et sur l'intégration des migrants sur les marchés du travail et dans la société en Europe.
Adoptée au Comité exécutif les 25 et 26 juin 2018.

La Confédération européenne des syndicats (CES) est indignée mais pas surprise par la recrudescence de la crise humanitaire impliquant les réfugiés, qui s'est accentuée dans la récente saga désolante du sauvetage du bateau Aquarius et des 629 personnes à son bord. La décision populiste du gouvernement italien de ne pas autoriser l'accostage du bateau de sauvetage dans le pays et l'offre de l'Espagne d'accepter le navire montre l'absence d'une politique européenne crédible sur les migrations que nous critiquons depuis le début de la crise.

Cet épisode, ainsi que de nombreux autres cas malheureux qui se produisent en Méditerranée mais aussi à d'autres frontières extérieures et intérieures de l'UE, est un symbole de ce qui ne va pas en Europe. Il ne s'agit pas seulement de la réforme d'un système d'asile commun, mais aussi des valeurs fondamentales de solidarité, d'unité et d'humanisme qui sont à la base du projet européen. Il concerne aussi les gouvernements populistes et nationalistes qui enfreignent ouvertement les règles juridiques européennes et internationales telles que l'article 78 du TFUE, l'article 18 de la Charte européenne des droits fondamentaux, la Convention de Genève de 1951 et le Protocole de 1967.

La CES réitère son appel aux dirigeants des institutions de l'UE et des États membres qui se réuniront lors du Conseil européen du 28 juin : la réforme du règlement de Dublin doit être achevée de toute urgence. Nous avons besoin d'une politique d'asile européenne équitable et solidaire harmonisant les normes de protection dans tous les Etats membres, établissant des mécanismes contraignants pour réinstaller les réfugiés et les demandeurs d'asile et établissant des hotspots européens avec des conditions d'accueil de qualité.

Des milliers de personnes continuent à perdre la vie en essayant de traverser la Méditerranée (792 morts depuis le début de l'année 2018 selon l'OIM). Le nombre de migrants et de réfugiés entrant en Europe a diminué en 2018 (35 504  en juin 2018, contre 73 748 arrivées dans la région au cours de la même période l'année dernière). Néanmoins, cette baisse est principalement due aux accords fortement contestables que l'UE a signés avec la Turquie et la Libye alors que les programmes de l'UE avec les pays d'origine n'apportent pas les résultats escomptés. Il doit y avoir des liens plus étroits entre l'aide financière fournie par l'UE et le développement économique et social dans les pays d'origine et de transit pour créer des emplois décents et des opportunités pour les personnes envisageant la migration.

Les mesures de réinstallation introduites avec l'agenda européen sur la migration en 2015 pour transférer certaines catégories de demandeurs d'asile d'Italie et de Grèce vers d'autres pays de l'UE n'ont pas fonctionné. Cela aurait dû concerner 160 000 demandeurs d'asile qui sont presque sûrs d'obtenir une protection - et donc des Syriens, Erythréens et Irakiens - mais comme l'Union n'a pas d'instruments législatifs pour rendre un tel instrument temporaire contraignant, beaucoup de pays ont ignoré leur engagement. En trois ans, la Hongrie et la Pologne n'ont accueilli aucun demandeur d'asile d’Italie ou de Grèce, tandis que d'autres pays n'ont accueilli qu'un nombre très limité de demandeurs d'asile. Des écarts similaires peuvent être observés pour les programmes de réinstallation introduits depuis 2015, aucun réfugié n'étant réinstallé dans le cadre des programmes de l'UE 2015-2018 par Chypre, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et la Slovénie. Il convient de noter que le Danemark et le Royaume-Uni ont un système d’opt-out.

La crise des réfugiés ne sera pas résolue en scellant les frontières de l'UE, en érigeant des clôtures, en fermant des ports, en refusant une part équitable de réfugiés ou en tentant de décharger la responsabilité ailleurs.

Les gouvernements européens ont nié le caractère inefficace de la politique migratoire basée sur la sélectivité et la circularité et totalement incompatibles avec la composition réelle des flux migratoires dans le monde.

Ce que nous voulons, au contraire, c'est un programme global en matière de migration, fondé sur la solidarité, l'intégration et l'inclusion pour le bénéfice de tous, fondé sur le principe d'égalité de traitement et de non-discrimination. Nous plaidons également pour l'établissement de nouveaux canaux sûrs et légaux pour la migration.

L'Europe doit donner l'exemple et envoyer un message d'espoir et non de menace pour le monde entier et être un leader dans l'adoption d'un Pacte mondial inclusif et équitable pour une migration sûre, ordonnée et régulière.

Une stratégie renouvelée de coopération avec les pays d'origine et de transit des réfugiés, notamment en Afrique, est essentielle et doit se concentrer sur le respect des droits de l'homme, la solidarité économique et la durabilité sociale plutôt que sur l'arrêt des réfugiés qui viennent en Europe.

Outre la nécessité d'une politique d'asile européenne humaine et progressiste, les défis d'une approche holistique du problème de la migration demeurent et il est nécessaire de renforcer davantage les actions des syndicats dans ce domaine à tous les niveaux si nous voulons réussir.

Des questions clés telles que l'intégration et l'inclusion des migrants sur le marché du travail et dans la société ont été obscurcies par la rhétorique xénophobe. L'Europe ne peut continuer à être prise en otage par une poignée d'Etats membres ayant des intentions évidentes de nourrir le populisme à des fins électorales. La CES considère que l'intégration des demandeurs d'asile et des réfugiés est essentielle, tout comme l'intégration des migrants en général.

Les migrants et les travailleurs autochtones sont joués les uns contre les autres par la propagande xénophobe, et aussi par les intérêts des entreprises pour exploiter les migrants comme une main d'œuvre bon marché. Le discours d'extrême droite, qui transforme les migrants en ennemis des travailleurs, ne peut être opposé qu'à une stratégie globale fondée sur l'investissement dans la croissance durable, la création d'emplois de qualité et l'inclusion sociale. Nous agissons pour tous les travailleurs, autochtones et migrants, afin que chacun puisse bénéficier d'un travail de qualité, d'un salaire décent, de conditions de travail équitables et d'une protection sociale universelle. Il s'agit d'une politique d'intégration basée sur l'égalité de traitement.

En outre, les preuves montrent que les populations étrangères compenseront le déclin démographique, que certains secteurs économiques ont un besoin urgent de main-d'œuvre et que la contribution des migrants rendra les systèmes de sécurité sociale viables. Mais pour en tirer les bénéfices, les réfugiés et les migrants doivent être rapidement intégrés dans les sociétés d'accueil, également en apprenant les langues locales et en montrant leur volonté de s'intégrer.

La CES et ses affiliés ont toujours été à la pointe de la lutte pour une immigration et un asile équitables dans l'UE et continueront à défendre les droits humains, sociaux et du travail, à travers leur capacité de mobilisation et de lobbying, à travers le dialogue social et la négociation collective, à travers le développement de réseaux d'assistance et de soutien aux migrants et aux réfugiés, y compris UnionMigrantNet.

Le partenariat européen pour l'intégration que la CES a signé avec la Commission européenne et les partenaires économiques (BusinessEurope, CEEP, UEAPME et Eurochambers) réaffirme l'importance de l'intégration pour relever les défis posés par la migration. Pour les migrants, le fait d'avoir un emploi et de s'affilier à un syndicat est la clé d'une intégration réussie dans les communautés d'accueil. La mise en œuvre du Partenariat à tous les niveaux pertinents devrait être notre priorité.

La solidarité syndicale européenne est essentielle pour aider les syndicats nationaux à faire face aux défis actuels posés par l'urgence des réfugiés et des migrations et la CES et ses affiliés continueront à être à la pointe de cette bataille.

Sofia, le 25 juin 2018